Les Sept Péchés Capitaux [1/2]

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L'amphithéâtre Richelieu a été construit en 1901 par l'architecte Henri-Paul Nénot, qui l'a inauguré de ce nom en l'honneur du cardinal Richelieu. Ecclésiaste et Duc Armand Jean du Plessis de Richelieu et de Fronsac devenu proviseur du Collège de la Sorbonne le 29 août 1622, avait de ce fait ordonné à son architecte, Jacques Lemercier, d'agrandir l'établissement pour une valeur de 500 000 Livres. Il repose toujours sous la chapelle de la Sorbonne.

Je suis le premier arrivé sur les lieux. Être seul au milieu de ce décor époustouflant d'Histoire et d'Art, me submerge forcément d'émotion et de reconnaissance.

Un escalier secret permet d'accéder aux combles de l'amphithéâtre et à la verrière. On peut y voir la structure du bâtiment, qui rappelle les matériaux utilisés pour la Tour Eiffel.

L'espace est tellement grand que les élèves, à partir du quatrième rang, ne pourront plus m'entendre même avec le micro. Ou sinon va falloir que je force sur ma voix. Les bancs en bois dur et aux dossiers très droits sans table ont été mis à la demande de l'architecte, pour éviter que les étudiants s'endorment. Bonne veine pour moi !

Apposée au-dessus de l'estrade, la fresque de Dagnan-Bouveret - peintre français naturaliste de la fin du XIXème et début du XXème siècle - peinte à l'huile sur toile marouflée et intitulée Apollon et les Muses au sommet du Parnasse, prône en maître sur l'ensemble de l'amphithéâtre.

C'est un cours plus que magistral aujourd'hui. En plus de mes quatre groupes de TD, des normaliens qui font partie de la communauté d'anciens élèves, viennent assister à ce cours sur la symbologie et l'allégorie. Ceux-là même qui, après s'être informés en suffisance, vont prendre le temps de faire quelques recherches et poursuivront ces mêmes débats dans des colloques ou des séminaires, pour en faire un sujet influent auprès des plus ambitieux du monde des Arts et de l'Histoire.

Les premiers entrent, me serrent la main, me congratulent de mon travail et me demandent ce que je vais inculquer à mes étudiants dans ce cours. Je leur donne pour seul réponse, Les Sept Péchés Capitaux de Jérôme Bosch.

Peu à peu la salle se remplit d'une horde de personnes de tous âges confondus. Je n'ai pas pour habitude de voir autant de monde dans l'un de mes cours et je reste ému. Habitué à ma centaine d'étudiants, je me retrouve confronté à près de deux cent cinquante têtes qui me font face. La pression monte puis soudain, Charlie fait son entrée. Elle me jette un regard avant de prendre place au deuxième rang à ma gauche.

Ce cours va être intéressant !

— Mesdames et messieurs, bonjour ! Aujourd'hui, nous avons l'honneur d'accueillir d'anciens élèves de la Sorbonne et autres personnalités du marché de l'art et agrégés en Histoire de France. N'y prêtez pas attention. Ceci reste un cours, tout ce qu'il y a de plus normal. Est-ce que vous m'entendez assez bien, même ceux du fond ? Sinon rapprochez-vous.

Surpris, un bon nombre d'étudiants désireux de ne pas perdre le moindre mot se relève et se rapproche juste devant le premier rang. Assis à même le sol, stylo en main et calepin ouvert déposé sur leurs cuisses.

— Très bien. Êtes-vous sûrs de vous ?

Ils répondent par l'affirmation.

— Avant tout de chose, j'aimerais rappeler l'usage du symbolisme dans l'art – qui n'est pas un phénomène récent –, de son importance dans notre milieu, dans votre futur métier. De nombreux tableaux déploient un langage spécifique où les objets et les personnages illustrent, par-delà les représentations au sens propre, des idées et des concepts plus approfondis. En examinant une œuvre d'art à travers le prisme du symbolisme, il semble donc possible de dévoiler et de comprendre les croyances, les émotions et les idéologies qui ont guidé la main de l'artiste et hanté son imaginaire. Que ce soit par la nature, comme Friedrich ou Bruegel. Par la religion, comme Bosch que nous allons analyser. La politique, ou même le rêve et l'âme, dont Le Cri d'Edvard Munch reste un bon exemple. Pour ne pas vous laisser languir plus longtemps, je vous présente Les Sept Péchés Capitaux de Bosch.

Le tableau s'affiche de façon grandiose dans l'amphithéâtre, laissant un public subjugué.

— Meyer Schapiro, grand historien de l'art américain, indique que la peinture de Jérôme Bosch marque. Je cite : « une contre-offensive de la conscience religieuse malheureuse contre l'attachement au monde matériel. » ; œuvres d'un « ascétisme effrayé et exaspéré, plus conscient de l'homme que de Dieu », « symboles monstrueux des désirs, jetés pêlemêle sous le titre de la conception religieuse du péché », les « drôleries » de Bosch ne visent certes pas l'harmonie de la beauté.

Les XVe et XVIe siècles ont été traversés par de grands bouleversements politiques. Doué d'un talent hors du commun, le peintre en question – né vers 1450 et mort en 1516 – a su exprimer, à travers son art, les angoisses de son époque. Ce tableau représente les Sept Péchés Capitaux disposés en cercle autour du Christ rédempteur.

Commençons : Superbia.

— L'orgueil, la vanité, répond l'un des anciens élèves.

— Où se trouve-t-il ?

— De souvenirs, il se trouve en bas à droite.

— C'est exact.

— L'orgueil prend les traits d'une femme qui se veut aisée, interrogeant son reflet dans le miroir. Celui-ci est le symbole de la connaissance en soi. C'est un démon qui le tient et la femme ne le remarque même pas, commence Charlie. Nous nous attribuons nos propres qualités et mérites, oubliant que c'est Dieu qui nous en a fait don.

— Bien...

— Pardon, je n'avais pas vu le canidé dans la salle du fond à la droite du tableau, dit-elle tentant de se rapprocher pour mieux voir. Je ne vois pas très bien d'ici, est-ce un lévrier ?

— Il me semble, oui, réponds-je en attendant son interprétation.

— Le lévrier sur les armoiries, également représenté avec le mastiff. Représente-t-il la vigilance ?

— Oui, le chien est là pour aviser sa maîtresse du danger. C'est très bien. Passons au suivant : Ira.

— La colère ! s'écrie une TD3.

— La colère, le courroux, représenté où ?

— En bas, assure un autre invité du cours. La scène de rue où une querelle éclate entre deux paysans ivres. La scène de bagarre où l'ivrognerie prend sa part puisque l'un des protagonistes, qui menace l'autre en levant le sabre, tient dans sa main une bouteille à la sortie d'une auberge. L'objet de sa colère porte encore un tabouret sur la tête. Ce qui donne à la scène son aspect comique et grotesque. La colère est un désordre, elle contrevient à l'ordre du monde. Au lieu d'être assis sur le tabouret, l'homme est dessous, littéralement cul par-dessus tête. Ne disons pas : ivre de colère ? ajoute un homme avec une grosse moustache.

— Vous avez bien appris vos leçons mon cher Monsieur, m'amusé-je à dire tandis qu’il sourit fièrement. Quoi d'autres plus symboliques ?

— Nous constatons un pan de la robe de cette femme essayant d'interagir, au sol et déchirée, de couleur saumon. Teinte qui se veut entre le rose et le rouge, explique mon étudiante. Le rouge, comme nous savons, est assimilé à l'agressivité. Or ce n'est pas cette couleur que Bosch utilise, ni le rose qui représente la sensualité. C'est bien la colère qui est symbole de cette couleur, mais plus foncée, c'est la rage et plus claire, la contrariété.

— Très bien analysé ! C'est effectivement le cas que l'on perçoit en géobiologie sur les chakras. Ensuite, Invidia : la jalousie, l'envie. Représenté par ?

— Kevin Spacey, s'exalte Liam.

Je souris à son audace. Seven de David Fincher, est un film traitant sur les Sept Péchés Capitaux de Thomas d'Aquin.

— Vous spoliez Monsieur Rocha, non ?

Des éclats de rire s'intensifient un peu plus après ma réplique.

— Parlons-nous de la scène dépeinte en bas à gauche ? ironisé-je.

— Oui, oui ! Celle des deux chiens qui réclament le même os alors qu'ils en ont déjà un chacun ? répond Liam.

— Une forme de convoitise ? demande une autre élève.

— C'est évident ! Cette envie. Cette même convoitise a mené l'Humanité à sa perte ! ajoute un vieil homme, aux cheveux grisonnants, nez pincé.

— C'est-à-dire ?

— Je parle évidemment d'Ève.

Erreur, mec.

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