A celui qui se préservera [2/2]

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— Bon tant pis, s'exclame-t-elle en faisant mine de partir.

— D'accord ! m'alarmé-je en la retenant par le bras. Si tu insistes.

— Ah non ! Je n'insiste pas, lâche-t-elle en tournant les talons.

— Très bien, alors c'est moi qui insiste. Je peux t'inviter à boire un café ? Un café en body ? Ou un café toute nue ? Ou pas du tout de café, en fait, la dissuadé-je avec humour.

— De toute façon, je ne suis pas fan de caféine.

— Moi non plus, ça tombe bien ! Et les bodys en dentelle aussi d'ailleurs ! Surtout quand ils sont trop longtemps portés.

Elle pouffe de rire entre ses mains. Je souris face à cette coquetterie innocente.

— Sois chez moi dans une dizaine de minutes, lui ordonné-je.

— Très bien... Et du coup, je fais quoi pendant ce temps si précieux ? sermonne-t-elle en perdant son sourire. Je compte le nombre de passants dans la rue entre le trottoir de gauche et le trottoir de droite ?

— Non. Mais peut-être le nombre de voitures qui passent ! rentré-je dans son jeu. J'aimerais me plaindre auprès de la mairie sur ce bruit permanent. Cependant, faut-il que je vienne avec des preuves et des statistiques, sinon ça ne fonctionne pas !

— Bien sûr ! Je vois. Et pensez-vous que si je prends le métro direction chez moi, je puisse faire ce genre de statistiques ?

— Eh bien, non. Ça ne fonctionne pas vu que c'est loin de chez moi. Il faudrait que tu le fasses tout près. Mais pas trop, on pourrait te voir...

— Personne ne nous verra. Si c'est ça qui vous inquiète, clarifie-t-elle en levant les yeux au ciel.

— Que tu dis ! Je me rends compte que Paris n'est pas bien grande, conclus-je.

— Surtout quand on s'appelle James Taylor..., murmure-t-elle en croisant les bras.

— S'il te plait, Charlie. C'est pour toi que je fais ça, essayé-je de la convaincre d'une voix douce.

— D'accord, abdique-t-elle. Oh ! J'ai une idée ! Je vais aller acheter de quoi nous amuser au Sex-Shop.

— C'est à dire ? demandé-je soudain soucieux.

— Des accessoires, des films X... Je vais regarder. Vous voulez venir ?

— En se tenant la main ? Je trouve qu'on ne se montre pas assez.

Elle éclate de rire face à mon ironie paniquée.

— Je plaisante ! J'attendrai dix minutes avant de venir.

— Mais c'est sérieux cette histoire d'accessoires ?

— Non.

— Parce que sinon...

— Non, vous rêvez.

Dix minutes. Montre en main. La voilà devant ma porte d'entrée. Alléchante sans son manteau ni son pull qu'elle a déjà rangés soigneusement dans son sac en arrivant devant mon appartement.

J'ai pris soin d'ambiancer le moment en y ajoutant un fond de musique. Elle entre sur La Javanaise de Serge Gainsbourg. L'alchimie érotique entre la chanson et la présence de ma magnifique Vénus est parfaite. Écrite pour ce passe-temps charnel entre nous.

Elle passe toutes les pièces de mon appartement en revue, se déshabillant avec des gestes lents. Je ne sais pas pourquoi je revois la scène de Et Dieu créa la femme, la scène où Brigitte Bardot danse. Et je l'assimile à Charlie. Peut-être par son indomptable beauté. Par ce corps de déesse. Celle d'une séductrice parfaite me jetant quelques regards aguicheurs. Prenant soin d'enlever, un à un, chaque vêtement qui la recouvrent, pour finir dans ce body remodelant ses formes que j'aime tant parcourir de mon regard d'expert. Guidé par la musique sensuelle. Envoûté par la voix de Gainsbourg, je m'appuie sur le mur séparant de la cuisine au salon en allumant une cigarette. Je la dévore des yeux, captivé par le somptueux spectacle qu'elle m'offre.

— Mes derniers souvenirs de chez vous sont quelque peu troubles, m'annonce-t-elle de sa voix cassée, continuant de danser lentement. Au premier abord, votre prestance très masculine, tirée à quatre épingles, nous laisse penser que vous êtes simplement élégant. Mais vous êtes si soigné pour un homme quand on regarde votre appartement. Votre côté féminin qui se fait ressentir plus que jamais.

— Chaque moment passé avec toi. Chaque parole échangée me montre de plus en plus ton opiniâtreté. Puis-je alors supposer que c'est ton côté masculin ? Même si ton charisme et ton allure te féminisent grandement, lui certifié-je, cigarette à la main.

— On est fait pour s'entendre alors, conclut-elle.

Sa démarche gracieuse s'avance vers moi. Rythmée par la mélodie me laissant figer sur place. De son corps à moitié nu ou à moitié vêtu – je préfère la première vision-, elle me pique la cigarette des mains pour l'attirer à ses lèvres afin d'y tirer une bouffée. Elle me lorgne sans ciller. Et me souffle la fumée en plein visage avant d'écraser la clope et de déboutonner très doucement chaque bouton de ma chemise, afin d'y glisser ses mains. M'attirant vers elle à reculons, elle prend la direction de mon lit et je me laisse guider.

« La vie ne vaut d'être vécue sans amour

Mais c'est vous qui l'avez voulu mon amour

Ne vous déplaise

En dansant la Javanaise

Nous nous aimions

Le temps d'une chanson »

Nu sous le drap, je l'observe mettre son jean et son pull - le body a été souillé en quelques minutes - deuxième sous-vêtements que je vais devoir lui offrir. Non : racheter.

Prêt à dégainer mon interrogatoire, je ne perds plus de temps avant de lui poser la question :

— Comment connais-tu si bien le codage et la symbolique ?

— Je suis tombée dans la marmite quand j'étais petite, réplique-t-elle en boutonnant son jean sur son sexe épilé à la brésilienne.

— J'aimerais savoir sans blaguer cette fois-ci, dis-je d'un ton ferme.

— Et si on ne parlait pas de notre vie ?

— C'est une simple question ! Je ne pense pas avoir été indiscret, rétorqué-je sèchement.

— Plus que vous ne l'imaginez. Cette partie de ma vie reste privée, explique-t-elle en voulant mettre fin à cette discussion, sans compter sur moi.

— Tu pars avec un avantage, je te signale. Tu peux taper mon nom et mon prénom sur Internet et tu y trouveras tout ce que tu as besoin de savoir sur moi. Enfin, le principal...

— Sur quoi ? Que vous êtes galeriste et londonien ? On a fait le tour. Je n'ai pas besoin de savoir plus, lâche-t-elle en enfilant son pull par-dessus ses seins nus.

— Tu n'es jamais allée y faire un tour ?

— Non. Si vous avez quelque chose à m'annoncer, je préférerais le savoir par vous-même. Ou le déduire, ricane-t-elle.

Ingénieuse.

— Charlie ? Tutoie-moi, s'il te plaît, lui dis-je en mettant fin moi-même à cette conversation.

Alors, elle ne connaît rien sur moi. Aucune information ? Je décrypte son visage en espérant voir une expression qui la trahirait. Elle n'a ni cillé des yeux ni bafouillé. Elle a annoncé cela paisiblement. Ses yeux rieurs justifient ce jeu qui la passionne et ne peut que donner raison à ses paroles : la déduction. Charlie en raffole. Apprendre d'elle-même par la supposition.

Ainsi, elle ne se soucie pas de connaître mon passé ou savoir qui je suis ? Mon estime personnelle prend un coup. Elle n'a que faire de ma personne, du moment que je lui procure un orgasme ?

— Autre chose, continué-je en fin de compte.

— Oui ?

— Pourquoi ne veux-tu pas des moments de tendresse ?

— Qu'est-ce que tu veux dire ? demande-t-elle en attachant ses cheveux en un chignon mal fait.

— Je veux dire un peu de douceur pendant qu'on baise, enfin, faire... Non. Laisse tomber, en fait, finis-je par dire.

— Faire l'amour ?

— Ouais.

— Je n'aime pas ça. Pourquoi ? Ça ne te plaît pas ? s'étonne-t-elle en se mettant sur le bord du lit.

— Oh si ! Plus que tu l'imagines. Simplement, je pensais qu'il y avait une raison à cela, la défie-je en remontant mes lunettes.

— Et bien, non ! lâche-t-elle si spontanément, que le doute me submerge durant quelques instants. Ce sont des fantasmes enfin assouvis. Tu n'en as pas ?

— J'ai la chance de pouvoir les réaliser aussi..., lui fais-je remarquer pour lui laisser entendre qu'elle en était la protagoniste.

Elle sourit avec grâce, laissant ses fossettes apparaître au coin de sa bouche.

— Je dois partir, James. Tu pars pendant les vacances de Noël ?

— Oui à Londres durant toutes les vacances.

— Tu passes quand tu reviens ? me propose-t-elle en se levant.

— Tu ne pars pas ?

— Si, mais je serais de retour. De toute façon, tu sais où j'habite, décrète-t-elle en prenant son sac.

— Comment oublier !

Elle se penche et m'embrasse sur la joue. Je la retiens par le bras.

— Pourquoi tu ne veux pas que je t'embrasse ? demandé-je, désireux de le faire fougueusement.

— Embrasser, c'est s'attacher.

— Pas forcément. C'est sensuel.

— Oui mais dans le cas de l'amour pas du sexe, lâche-t-elle d'un ton ferme.

— Un jour, tu m'embrasseras.

— L'espoir fait vivre.

— Je suis tenace, Charlie.

— Et moi déterminée, James.

— Tu craqueras, continué-je.

— Et toi, tu as déjà craqué.

Un ange passe.

— Merci pour le compte-rendu, me remercie-t-elle avec un clin d'œil.

Je souris, fier. Elle se retourne une dernière fois et claque la porte. Ce n'est qu'en me levant que je remarque son numéro de téléphone sur ma table de chevet.

Charlie Mahé, tu es surprenante.

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