Troubles coïncidences

3 minutes de lecture

— Avez-vous pu contacter votre interlocuteur ? me demande gracieusement Victor Dauger.

— Oui mission accomplie. Mais, je n'ai pu m'empêcher de m'arrêter devant le Delacroix. Mademoiselle Mahé marquait un temps d'arrêt. Et je peux vous dire que vous avez l'œil ! Un véritable chef-d’œuvre ! On reconnait bien la signature de Delacroix. Même jeune, il avait déjà ses nuances de couleurs qui lui sont propres. Extraordinaire !

— Oui. Je peux m’en remettre à Mademoiselle Mahé pour en faire revivre la toile de son éclat, assure-t-il, tandis que Durand se détourne de sa montre et que Chambers, assis sur une chaise, nous écoutent d'une oreille attentive.

— C'est incroyable. Je n'aurais jamais pensé que cette œuvre puisse être si bien restaurée. Un coup de neuf impressionnant, grâce à vous Monsieur Dauger et à votre stagiaire, congratule Luke Chambers, ravi.

— Elle a fait du chemin cette jeune fille, rajoute Pascal Durand.

— Il est vrai qu'elle a beaucoup de talents, affirmé-je aux deux hommes. Vous allez en faire l'une des plus brillantes restauratrices françaises, dis-je en me tournant vers le chef d'atelier.

— Malheureusement, elle ne reste pas à Paris. Il est convenu qu'elle finisse sa Licence et qu'elle parte faire ses études à Rome. Une collaboratrice la prend sous son aile en tant que stagiaire pour des restaurations de fresques.

— Ah bon ? Quelle nouvelle ! m'exclamé-je, les tripes nouées. Elle doit être impatiente. C'est une grande opportunité qui s'offre à elle.

— Suis-je bête ! C'est Maria Federighi, rajoute-t-il en se tapant sur le front. Le monde est petit, n'est-ce pas ?

Mon sourire se fige. Pardon ? Mon cœur s'arrête de battre durant une fraction de seconde. L'afflux de mon sang cesse de s'écouler dans mes artères. Ou peut-être est-ce mon sang qui se glace et n'alimente plus mon rythme cardiaque ? Ou bat-il si fort au point que je ne ressente plus rien ? Tout ce petit monde devient bien trop lié pour être le fruit du hasard. Je tente rapidement de combler la conversation pour éviter de montrer ma surprise.

— Ma femme a voué une extrême idolâtrie pour cette autre femme. Nous nous sommes rendus quelques fois à Florence et à Rome, il y a bien des années de cela - même si j'ai fait connaissance très rapidement avec son mari- on a pu la rencontrer dans quelques expositions ou des conférences. En tout cas, Mademoiselle Mahé apprendra beaucoup de Maria. Je crois que le grand spécialiste de la symbolique des couleurs, Michel Pastoureau, s'est aidé de ses conseils, non ?

— Oh oui, Monsieur Pastoureau a pu travailler en collaboration avec Madame Federighi. Certaines de ses préfaces sont d'elle, explique-t-il avant de poursuivre sur le sujet Charlie. Mais bon, notre stagiaire a déjà eu l'occasion de travailler avec Maria, puisque c'est elle qui l'a formée en peinture. Je crois bien qu'elle a fait un an à l'Atelier d'Or dans le quartier, lorsque Maria était encore à Paris.

— Oui ! L'Atelier d'Or a formé plusieurs artistes-peintres. Je me souviens de Maria Federighi. Une femme avec un sacré caractère ! Je ne savais pas qu'elle avait été dans la Résistance durant la Seconde Guerre Mondiale en Italie ? s'étonne le commissaire-priseur.

— Oh ! J'avais même entendu dire qu'elle et son mari avaient craché sur le corps de Mussolini, certifie Dauger.

Tandis que les trois hommes discutent sur l'histoire du fascisme en 1945 en Italie, je suis présent sans l'être. Accaparé par des millions de questions qui me traversent l'esprit.

Ai-je mal entendu ? Charlie Mahé a déjà eu affaire à Maria Federighi ? Un point obscur qui s'éclaircit d'un coup et qui explique ce code des couleurs qu'elle connaît sur le bout des doigts.

Peut-elle être assez proche de Maria au point de que mon étudiante lui dévoile son amant ? Et si tel est bien le cas, comment réagirait Maria, en tant que mentor ? Telle que je la connais - et si elle avait constaté que Charlie avait un don - elle me dirait de la laisser tranquille. De ne plus l'approcher, par peur que cela vienne à se savoir et interfère sur sa réputation, qui l'entraînerait dans une histoire à laquelle elle n'a même pas participé, et finisse par gâcher son avenir. Et si... ? Je m'enlève cette idée de la tête. Non, grand jamais Maria ne trahirait notre secret. Cela impliquerait plusieurs personnes. Il ne restait plus qu'elle et moi dans cette affaire. Impossible. Pourtant, les faits sont là : les signes du destin jouent encore avec moi. Charlie. Une attention dans un café. Une rencontre d'une soirée. Une étudiante dans mon cours. Ce Delacroix sorti de nulle part dont elle en est l'une des restauratrices. Puis, dans la foulée, apprendre qu'elle a été l'élève de Maria Federighi. Où vais-je aller ainsi ? Qui est-elle ? Ou mieux : Quel rôle joue-t-elle dans ma nouvelle vie parsemée de sinueux chemins aux présages troublants ?

Annotations

Vous aimez lire Laurie P ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0