Rendez-vous au Grand Véfour [1/2]

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Aujourd'hui, j'ai rendez-vous avec le commissaire-priseur à onze heures. Mon taxi est là. Je n'apprécie ni être en retard ni être en avance. Environ trente minutes de trajet. Le soleil est revenu en cette matinée, laissant filtrer un peu de chaleur. Je mets un jean Levis rebroussé à mes chevilles avec des Adidas blanches et ajuste une chemise de la même couleur pour se marier avec elles, recouverte d'une veste casual chic bleu marine. Mes cheveux sont entre les crins de chevaux et une étoffe très soyeuse. Ma coupe consiste à mettre peu de gel pour donner un effet décoiffé, tout en me prêtant une allure détachée, sans laisser aller. Le genre passe-partout, mes lunettes toujours tendance sur le nez.

Arrivé, au Grand Véfour, on me salue et je vois le commissaire-priseur se lever pour me signaler sa présence. Près de lui, se tient un vieil homme élégant que je suppose être le collectionneur anglais, impeccablement vêtu d'un costume anthracite modèle Kingsman, 100 % british.

Le restaurant étoilé est l'un des plus chics de Paris, niché sous les arcades du jardin du Palais-Royal. L'intérieur est le joyau de l'art décoratif du XVIIIe siècle. Il s'orne de délicates boiseries sculptées style Louis XVI. Grands miroirs d'époque qui reflètent la lumière et laissent entrevoir les divers motifs muraux et les toiles dépeintes, protégées sous verre. Inspiré des fresques pompéiennes du style néoclassique, le plafond possède des rosaces et guirlandes en stuc à la manière des plafonds italiens de l'époque du Quattrocento de la Renaissance.

Je m'avance vers Pascal Durand en lui tendant la main, qu'il serre avec poigne. Je ne m'attendais pas à un homme présomptueux, ce que je n'avais pas pressenti dans sa voix lors de notre conversation téléphonique. Je sens aussitôt une montée d'adrénaline. J'aime paraître naïf devant ce genre de personnes. Pouvoir les laisser débiter leur orgueil, sans crainte face à un homme simplet. Et un jour, surprise ! Est-ce une forme d'insolence ? Quelque chose d'inné apparemment.

— Bonjour, M. Taylor, ravi de vous rencontrer.

— Moi de même, Me Durand.

Le visage radieux, je tends la main à Luke Chambers. Le vieil homme me la serre aimablement avec le sourire. Confronté à un tel homme, je me laisse gagner par la nostalgie. La Grande-Bretagne et surtout Londres me manque plus que tout à cet instant. Je suis si fier d'avoir un compatriote face à moi.

Je prends place, alors qu'un serveur arrive déjà à notre encontre. Nous lui commandons une bouteille de vin blanc Chignin Bergeron 2008 et nous passons commande. C'est à ce moment-là que j'aperçois Mme Kriegerman accompagnée de deux autres femmes. Gloussements et discussions sont agrémentés par des regards furtifs à mon égard. Sans y faire grand cas, je détourne le regard et porte mon attention sur ce que Durand et Chambers ont à me conter sur ce Delacroix.

— Alors, dites-moi, Sir Chambers. Parlez-moi de cette merveilleuse trouvaille.

— D'abord, je tiens à vous dire que je suis honoré de votre présence. Un jeune homme en possession d'un talent tel que le vôtre, c'est si rare. Je n'ai entendu que du bien sur vous et votre œil d'expert en la matière. Cela peut se comprendre toutefois, entre les études que vous avez entreprises et la brillante épouse que vous avez eue à vos côtés. Cela m'amène à vous présenter mes plus sincères condoléances. Mrs Smith était une virtuose dans le marché de l'art, me dit-il en toute franchise.

— Je vous remercie Sir Chambers. Cela me va droit au coeur et je ne saurais que rajouter à ses louanges.

— Bien évidemment, Maître Durand se joint à moi pour vous présenter toute sa compassion et son soutien dans l'épreuve que vous aviez dû traverser.

Je jette un œil à Pascal Durand qui acquiesce d'un hochement de tête, mains liées et jambes croisées. Une gestuelle que je n'interprète pas sous le signe de la compassion et encore moins sous celui d'un quelconque soutien. Sous cette posture, il apparaît plutôt comme un homme sur la défensive. Comme si quelque chose l'avait dérangé dans le discours de Luke Chambers.

Les présentations d'usages faites, Durand s'approche pour me parler, lorsque le serveur vient nous déposer nos entrées. Ce n'est qu’au départ de ce dernier qu'il entame son dialogue :

— C'était une femme remarquable ! J'ai eu l'occasion de la rencontrer il y a deux ans lors d'une exposition. Un brillant savoir sur l'Art et son histoire.

— Elle était très talentueuse. La meilleure, certifié-je. Elle m'a beaucoup appris, je le reconnais. L'avez-vous rencontrée lors de l'exposition de Georges Segal ?

— C'est cela, oui. J'ai pu également rencontrer Mr Williams qui l'accompagnait. Mais, quelle déception de ne pas vous avoir vu !

— J'étais sur une exposition à la galerie de Londres. Il m'était impossible de me déplacer à Paris à ce moment-là.

Nous entamons notre repas et je ressens l'étrange sensation d'être observé. En jetant un œil à la table de droite à quelques mètres, Mme Kriegerman me salue en présentant son verre comme pour trinquer. Par politesse, je fais de même en hochant de la tête. Durand et Chambers suivent mon regard et saluent les femmes à la table. Elle me sourit avant de porter son verre à ses lèvres, sans me quitter du regard. Il ne faut pas être synergologue pour comprendre cette attention particulière qui m'est adressée. Étant dans un déjeuner d'affaires, je ne peux pas me laisser troubler.

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