Un peu de tranquillité

4 minutes de lecture

Je consulte ma montre, il est midi quinze. Un restaurant au coin de la rue me tape dans l'œil. Je m'installe en terrasse et passe commande. Une fois rassasié, je m'allonge sur ma chaise, les jambes tendues en fermant les yeux, les mains jointes sur mon torse. Le murmure de la ville qui effleure mon cou m'incite à m'assoupir, jusqu'à ce que je sente mon portable vibrer. Je décroche :

Hello.

— Arsenal vous a mis une déculottée !

Sasha Davis est l'une de mes plus vieilles amies. Elle était au secondaire avec Simon et moi. Elle avait été ma petite copine, ma première fois. L'amour de jeunesse comme on dit.

— Déculottée ? Quand on se fait voler la victoire par l'arbitre, je n'appelle pas ça une déculottée.

— T'es vraiment de mauvaise foi ! Manchester Utd a été nul, reconnais-le !

— Non, il y avait deux penaltys pour nous. Rooney s'est pris un tacle par Sagna alors qu'il n'avait même pas le ballon et je ne te parle pas de la main volontaire de Ramsey !

— Ne me raconte pas de conneries ! C'est limite si vous n'avez pas marqué contre votre camp.

— Ça ne sert à rien de discuter avec toi. On verra au match retour, ma grande.

— Ouais c'est ça. Mauvais joueur ! Bon, qu'est-ce que tu fais ?

— Je flânais en terrasse dans le Quartier Latin, les yeux clos et les jambes allongées. Puis, tu as tout gâché.

— Je te manque, dis-le, ça te soulagera d'un poids.

Je souris bêtement.

— Et t'as fait quoi de ta matinée à part rien foutre ? reprend-elle.

— Je suis allé voir la cathédrale Notre-Dame avant de faire mon nostalgique et revenir dans notre bon vieux quartier parisien aux merveilleux souvenirs.

— Oui, aux souvenirs de m'avoir trompée des tonnes de fois.

— On avait fait un break !

— Mouais... un break dont je n'étais pas informée.

Et voilà, on y est. Mon fameux procès qui court depuis quatre-vingt-seize.

De retour, à Londres - c'est-à-dire dix-neuf ans auparavant - je lui avais dit que c'était mieux qu'on fasse une pause, hormis, quelques parties de jambes en l'air à chaque fois que je revenais de Paris. Sasha s'était mise en tête que nous étions encore en couple, mais j'avais été clair. Depuis, c'est un éternel débat entre elle et moi. Je suis sûr que Ross et Rachel s'étaient inspirés de notre idylle.

— Oh non ! Sasha, c'est fou après autant d'années, après avoir refait nos vies, tu arrives encore à m'en vouloir.

— Parce que tu n'as jamais su le reconnaître.

— C'était il y a quinze ans, peut-on faire la paix ?

— Si je n'avais pas déjà fait la paix, on ne serait pas amis, toi et moi... Et sinon, comment tu vas ? Est-ce que Paris t'aide dans ta quête de renaissance ?

— Pour le moment, je profite de la beauté de la ville, je ne recherche rien du tout. Juste quelques souvenirs qui me rendaient heureux avant que tout se complique...

Poor dear... Si tu as besoin, tu m'appelles, je suis de meilleur conseil que Simon, tu le sais ? Lui, son seul remède c'est que tu ailles voir ailleurs.

J'éclate de rire. C'est la solution à tous les problèmes selon Simon.

— Ça va aller, ne t'inquiète pas, Sash'. Et toi, comment vas-tu ?

— Ça va, je suis sur un nouveau roman. J'espère que tu seras là le jour de sa sortie en librairie, histoire qu'on trinque ensemble.

— Évite de le sortir en pleine semaine d'examens et ça sera bon.

— Je penserai à toi. Bon, je te laisse profiter de ta tranquillité, je t'embrasse Jamie.

— Moi aussi je t'embrasse. À très vite.

De nouveau solitaire, buvant une petite bière, sous le soleil, sans que rien ni personne ne perturbe mes pensées.

— Vous êtes anglais ? entends-je près de moi dans ma langue.

Ce n'est pas vrai ! Ils sont infatigables les gens. Qui plus est cette dame s'était postée devant moi, en me faisant de l'ombre. Je peine à ouvrir les paupières et j'aperçois une femme aux yeux bleus.

— Bonjour, oui, réponds-je sans bouger d'un poil. Et vous ..., galloise, non ?

— Vous avez l'oreille. Bravo !

— Pas autant que vous.

— En vacances ?

— Non, pour le travail.

— Ah ! Euh.... Je suis venue voir une amie, se justifie-t-elle, légèrement prise au dépourvu par ma courte réponse. J'habite à Londres. Vous aussi ?

— Oui, c'est ça. Excusez-moi je ne suis pas doué pour tenir la conversation.

— Je vous ai dérangé peut-être ?

— Si vous aviez été un homme, oui.

Elle rit, laissant apercevoir une autre beauté sur son visage, elle a beaucoup de charme.

— Je m'appelle Victoria.

— James.

— Mon amie va arriver d'une minute à l'autre, si vous souhaitez je peux vous donner mon numéro, au cas où... Lorsque vous reviendrez sur Londres. Vous pourriez m'appeler, on bavardera plus.

— Madame..., commencé-je en me redressant.

— Mademoiselle.

— Mademoiselle, répété-je en me reprenant et lui montrant mon alliance au doigt. Je suis marié.

— Ah, pardonnez-moi.

— Je suis flatté, vous êtes une très belle femme.

— Merci, lance-t-elle, gênée, plus par son invitation que pour le compliment. Et votre femme a beaucoup de chance, il est rare de voir des hommes fidèles en amour. Bon et bien... bonne journée à vous, James.

— À vous aussi, Mademoiselle.

Elle tourne les talons en trifouillant à l'intérieur de son sac à main, les joues embrasées de honte. Je la suis du regard, puis ferme les yeux en jurant à voix basse. Mal à l'aise après cette conversation, je mets fin à mon temps de repos et de tranquillité.

Annotations

Vous aimez lire Laurie P ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0