Terreur nocturne

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La paralysie du sommeil, c’est comme la grippe ; si vous n’en avez jamais fait, vous ne pouvez pas comprendre, vous n’en avez que l’illusion. Vous voyez ce que je veux dire ? Je rapproche ça à ces gens exaspérants qui se disent en “état grippal” parce qu’ils ont le nez qui coule et un peu de fièvre... On en connaît tous (dieu qu’ils m’exaspèrent). Pourtant, entre être patraque ou être grippé, il y a un monde de différence ! Quand on se chope la grippe, la vraie, on envisage plus de l’avoir jusqu’à sa mort tellement la sensation est atroce. La fièvre est en général si forte qu’elle provoque le délire, on ne sait plus où se mettre (je me revois encore arpenter mon lit à quatre pattes, ne sachant ni où j’étais, ni ce qu’il m’arrivait) et on prie pour que cela s’arrête. La paralysie du sommeil, c’est un peu ça... Je connais beaucoup de gens qui pensent en avoir fait l’expérience, racontant leurs divagations avec désinvolture comme s'il s’agissait de simples cauchemars. Cependant, la paralysie du sommeil est un niveau supérieur de confusion mentale : on est plus maître de son corps... Ni de sa tête. J’aurais voulu ne jamais connaître cette impression mais personne ne m’en a laissé le choix. Et croyez-moi, si j’avais pu éviter de sortir de mon corps endormi, j’y serais restée sans problèmes. Je n’étais pas préparée la première fois. Encore moins les autres, d’ailleurs. Je crois qu’on n’est jamais vraiment prêt à vivre ce genre d’expériences...

La première fois que c’est arrivé, je logeais dans un studio prêté par un collègue. Je travaillais tard le soir et je n’avais pas la possibilité de rentrer chez moi avant le premier bus du matin. Cette solution me convenait jusqu’à cette nuit-là. Il faut vous imaginer l’ambiance de l’endroit : une petite pièce de douze mètres carrés où se trouvaient un divan-lit, une étagère et une kitchenette. Pas de télévision, pas de décoration, à peine quelques livres. Cela ne me posait pas de soucis vu que je n’y faisais rien d’autre que me reposer quelques heures avant de gagner mon propre lit. L’immeuble se situait en bord de fleuve et l’immense fenêtre du studio ne comportait ni stores, ni tentures. Chaque fois que j’y dormais, je ne pouvais m’empêcher de fixer le plafond où dansaient les reflets pailletés de l’eau mêlés aux phares des voitures. Cette fois-là, j’ai probablement répété le même rituel avant de sombrer comme une masse après une bonne dizaine d’heures au boulot. Quelques temps après (je ne saurais dire l’heure mais il faisait toujours noir) je me souviens avoir ouvert les yeux un instant, regardant les mouvements lancinants du fleuve au-dessus de ma tête pour finir par m’asseoir sur le lit. Je suis restée comme ça quelques secondes avant de me rendre compte que je n’étais pas seule : une vieille femme toute ridée se tenait à même pas deux mètres de moi. Elle regardait dans ma direction avec ses yeux vides. En fait, c’était plutôt comme s’ils me transperçaient de part en part. Je ne saurais vous décrire avec exactitude l’état dans lequel je me trouvais : un mélange d’incompréhension, de peur, d’angoisse, d’étonnement... Je me rappelle que j’ai voulu crier mais qu’aucun son n’est sorti de ma bouche. J’ai essayé de me lever... Impossible. J’étais tétanisée. Paralysée. J’ai fermé les yeux et quand j’ai osé les rouvrir, la vieille avait disparu. Je me suis immédiatement recouchée, persuadée d’avoir fait un mauvais rêve. Bien qu’elle ne fût plus devant moi, je sentais sa présence à mes côtés. Je n’étais vraiment pas à l’aise, je me sentais oppressée et vulnérable. J’ai dû finir par m’assoupir, fatiguée comme jamais. Je me souviens que je n’avais plus aucune force, vidée du peu d’énergie qu’il me restait. Plus tard, mon sommeil fut encore dérangé mais cette fois, par la lumière froide du plafonnier. Je trouvais ça étrange car je ne l’avais pas allumé, je n’avais même pas su me mettre sur mes deux jambes ! J’ai fermé les yeux et quand j’ai osé regarder, j’étais à nouveau dans la pénombre... et la vieille était revenue, exactement au même endroit. Je frissonne d’angoisse en repensant à ce qu’il s’est passé ensuite.

J’ai encore fermé les yeux, espérant faire disparaître ce satané cauchemar. Grossière erreur ! Elle a foncé vers moi comme une folle. Ses mains émaciées se sont refermées autour de ma gorge, j’étais littéralement en train d’étouffer. J’ai vu son visage de tout près, la détaillant en vitesse avant de m’évanouir. Elle ressemblait à l’idée de ce que je me faisais d’une vieille gitane ridée à l’excès, un peu comme celle que j’imaginais en lisant le bouquin de Stephen King, “La peau sur les os”, vous voyez ? Un cliché, certes... Mais c’est ce que j’ai vu. Et je ne l’oublierai jamais. Je ne suis pas morte cette nuit-là, bien que j’en étais persuadée sur le moment. Je me suis réveillée pour de bon, seule dans la pièce à moitié sombre. Pas de vieille femme, pas de lumière artificielle. Ce petit jeu entre elle et moi a duré une bonne partie de la nuit, laissant une marque à vie dans mon esprit. Ce qui est le plus bizarre dans cette histoire, ce sont les traces de strangulation bien visibles sur mon cou et ma nuque ainsi que l’impression d’avoir été écrasée par quelque chose sur ma poitrine. Dès que le soleil eut envahi le studio, je me suis enfuie. L’air frais et l’effervescence de la ville m’ont fait oublier pendant un moment ce que j’avais subi chez mon collègue. Néanmoins, ce fut la dernière fois que j’ai dormi là, préférant pendant quelques mois attendre mon premier bus sur mon lieu de travail (je bossais dans un bar).

Environ un an après cette horrible expérience, j’ai à nouveau été victime d’une nouvelle paralysie du sommeil (à l’époque, j’ignorais que ça portait un nom). Ce coup-ci, pas de vieille gitane flippante, juste un jeu incessant de lumière allumée/éteinte à chacun de mes réveils en sursaut. Tout semblait si réel ! C’était étrange mais pas aussi effrayant que la première fois. L’embêtant, c’était surtout de ne pas savoir si j’étais consciente ou pas car tout était à sa place dans la chambre jusqu’au moindre détail.

La troisième fois n’a malheureusement pas été aussi cool, que du contraire ! Je pensais ne pas pouvoir rivaliser avec l’histoire de la gitane... Je me suis royalement trompée. Je venais de me mettre au lit avec Nico, mon compagnon, sombrant tous les deux presqu’immédiatement dans un profond sommeil. Ce fut le black-out jusqu’à ce que j’entende des voix derrière la porte de notre chambre. Je me rappelle avoir essayé de réveiller mon mec, sans succès. Pourtant, je me revois vouloir le secouer, le frapper, crier fort mais j'étais inerte. J’avais vraiment peur, je crois que je n’ai jamais été aussi effrayée de toute ma vie. La porte coulissa rapidement et deux hommes très laids – un genre de consanguins/zombies de film de genre - rentrèrent en trombe dans notre chambre. En quelques secondes, j’étais maintenue par un des deux affreux qui tentait de me déshabiller tandis que l’autre me mordait la main. Oui, vous avez bien lu, il me mordait la main et j’avais très mal. Je voulais hurler, me débattre, fuir... Tout sauf endurer leurs sévices. Mon copain s’est enfin réveillé, m’a regardé comme si j’étais tarée pour finir par se relever et allumer sa lampe de chevet. Il n’y avait personne dans la pièce à part lui et moi... Je me suis sentie bête d’avoir paniqué autant pour un "simple" cauchemar. Nous nous sommes finalement blottis l’un contre l’autre pour nous rendormir calmement. Ce que je ne savais pas, c’est que Nico ne s’était pas réellement réveillé (donc, moi non plus) et que mon calvaire n’était pas fini. J’ai passé une nuit épouvantable, violée et torturée par deux clones de “La colline a des yeux”. Le plafonnier était allumé, je n’ai pas perdu une miette de ces abominations. À chaque fois que je sombrais, ils revenaient exactement de la même façon. Lorsque j’ai réussi à véritablement émerger, ma main mordillée me faisait souffrir, ainsi que mon entrejambe... Je ne comprenais pas ce qu’il s’était passé mais autant vous dire que j’ai eu beaucoup de mal à dormir après ça.

Le dernier souvenir que j’ai d’une paralysie du sommeil concernait un conquistador espagnol (en tous cas, il était habillé comme tel) qui restait planté sans bouger à m’observer, juste devant notre lit. Le même sentiment d’oppression bloquait tout mon corps, m’empêchant de bouger.

J'avoue, j'ai toujours rêvé et apprécié ces moments privilégiés avec mon subconscient, même lorsqu'il s'agissait de cauchemars. J'adore l'idée de vivre une autre vie la nuit. Cependant, toutes ces histoires flippantes avaient l'air tellement vraies que je me suis décidée à faire quelques recherches. C'est là que j'ai découvert l'existence de la paralysie du sommeil. Il y a des études plus poussée sur le sujet que la page Wikipédia qui lui est consacrée mais il me semble qu'elle résume bien ce que j'ai vécu (peut-être en avez-vous fait sans le savoir ?). En voici un extrait : "La paralysie du sommeil est un trouble du sommeil, ou plus précisément une parasomnie selon la Classification internationale des troubles du sommeil, qui se caractérise par le fait que le sujet, sur le point de s'endormir (paralysie hypnagogique) ou de s'éveiller (paralysie hypnopompique) mais tout à fait conscient, se trouve dans l'incapacité d'effectuer tout mouvement volontaire. À cette sensation d'immobilisation sont couramment associées des hallucinations auditives, kinesthésiques ou visuelles ainsi que des impressions d'oppression, de suffocation, de présence maléfique et de mort imminente. Le sujet, dans l'impossibilité d'articuler les sons et de prévenir l'entourage, éprouve le plus souvent un sentiment d'anxiété et de frayeur".

Je ne suis peut-être pas folle (pas totalement jusqu'ici), il n'empêche que si ce genre d'épreuves étaient récurrentes, je ne me risquerais plus à dormir et encore moins à rêver. Je ne suis pas du genre à me gaver de somnifères ou autres médicaments, j'ai pris sur moi et à ce jour, je ne compte "que" quatre terreurs nocturnes. Ce que je ne m'explique pas par contre, ce sont les douleurs physiques et les marques laissées par certains de mes obscures agresseurs...

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