Histoire parallèle : Ueda Gon

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Je m’appelle Ueda Gon. Seize ans, élève au lycée Hoshi, ancien lycée pour filles. N’appartient à aucun club. Peu d’amis. Préfère être seul…

Enfant, déjà, les autres me mettaient de côté parce qu’il me trouvait bizarre. Je ne faisais rien de particulier à l’époque. Mon apparence était normale aussi, mais pour une raison qui m’échappait, personne ne voulait traîner avec moi. Si bien que j’ai dû apprendre à m’occuper seul. J’ai alors commencé à lire des mangas, à jouer aux jeux vidéo, à m’intéresser à la pop-culture de manière générale… En bref, selon les critères de la société, je devenais un otaku. Et franchement, ça me convenait.

Au début, mes parents étaient inquiets que je délaisse mes études pour ma passion mais en voyant que j’arrivais à avoir d’assez bon résultats, ils m’ont laissé tranquille. Hypocrites ! Ils ne voulaient surtout pas perdre la face devant leur entourage ! Un enfant otaku qui néglige ses études pour collectionner les posters et les figurines de filles à moitié dénudées, sans parler de ses lectures peu recommandables… Voilà de quoi mes parents avaient réellement peur ! De toute façon, ils ont fini par abandonner leurs attentes me concernant lorsque je suis arrivé au collège et ont préférés concentrer tous leurs espoirs sur ma petite sœur qui était « normale ».

Ma petite sœur… Petits, nous étions assez proche. Jusqu’à ce qu’elle devienne une étrangère à mes yeux. Si nous étions dans un manga dans un cadre scolaire, elle serait à la fois l’archétype de la petite sœur dont les parents sont fiers et celui de la fille populaire aimé de tous, tout en étant l’héroïne principale. Alors que moi, je ne serais qu’un personnage secondaire oubliable. Inévitablement, un fossé s’est construit entre nous, au point où nous ne nous parlions presque plus, sauf pour se dire « bonjour ».

De toute façon, de manière générale, j’échangeais peu avec ma famille et en-dehors de ma chambre, je ne me sentais plus chez moi depuis un moment. Si bien qu’en dernière année de collège, je rentrais souvent tard le soir. Non pas après avoir pris des cours du soir ou quelque chose comme ça, mais après avoir traîné dans des manga café pour lire, surfer sur le net… Ce fut d’ailleurs à cette époque que j’ai eu envie d’apprendre le dessin.

J’ai passé l’examen d’entrée du lycée Hoshi car j’étais sûr de ne croiser personne de mon collège de l’époque si j’étais admis. À vrai dire, tous mes vœux d’orientation se sont faits sur ce critère. L’établissement en lui-même, je m’en fichais. Je me fichais aussi d’être entouré de filles. Elles étaient inintéressantes au possible, en plus d’être aussi méprisable les unes que les autres. Moi, j’avais l’habitude de me faire harceler durant ma scolarité et j’encaissais si bien à présent que cela ne faisait plus rien. Si vous voulez savoir qui sont les pires harceleurs entre les filles et les garçons, d’expérience, je dirais que ce sont les filles. Les garçons sont plus dans l’action, à l’abri des regards des professeurs. Les filles, elles, sont plus sournoises et mènent de vraies attaques psychologiques bien plus efficaces contre les plus fragiles d’esprit. L’un des garçons de ma classe actuelle, Yagihara Ryôkan, que j’ai vite surnommé Yagi, en avait fait les frais. Son crime ? Être gros. Tout simplement. Une cible facile pour les petits tyrans. Certes, j’étais du genre à me ficher des autres mais lui, il m’avait fait de la peine et j’ai essayé de l’aider à supporter les brimades de ces garces. En vain. Il était trop sensible. Dans un sens, heureusement que Masauchi, l’autre mec de notre classe, était là pour nous unir et faire front contre l’ennemi commun, même si on ne se considéraient pas comme des amis.

Enfin, je désignais les filles comme étant l’ennemi en général mais ce n’était pas totalement vrai. La déléguée de la classe, Kinoshita Saya, essayait de faire en sorte que tout le monde s’entende bien dans la classe. Sur le court terme, c’était un échec cuisant. Ses efforts n’ont commencé à payer que sur le long terme, vers la fin de l’année scolaire dernière. On aurait été tenté d’espérer que la deuxième année serait moins pire…

Au début de la nouvelle année, un nouvel élève avait rejoint notre classe : Nishiyama Shûhei, transféré depuis sa ville natale, suite à la mutation de sa mère. Dès la rentrée, Masauchi l’invita à rejoindre nos forces d’auto-défense contre la gente féminine de notre classe. Bien que le nouveau ait accepté, il n’avait clairement pas besoin de nous puisqu’il avait démontré aux filles qu’il n’était pas du genre à se laisser faire. Surtout contre Aoyama Saeko, la plus virulente antagoniste dans notre petite histoire. Et puis, il avait le soutien de Kinoshita, l’autorité suprême de la classe. Je veux dire… Ils étaient rapidement devenus proches. Du moins, c’était l’impression qu’ils donnaient, de l’extérieur. Au point où des rumeurs ont commencé à circuler comme quoi Nishiyama tournait autour de la déléguée. Mais apparemment, il avait déjà une petite amie, qui l’avait suivi à Tokyo ou quelque chose comme ça… Je n’avais écouté qu’à moitié.

Lui et moi, on se parlait peu, au début. Je préférais écouter le dernier générique de mon animé préféré de la saison ou dessiner dans la marge d’un de mes cahiers plutôt que de discuter. En voyant l’un de mes dessins, il m’a complimenté dessus. À part Yagi, personne ne complimentait mes dessins. Au fur et à mesure, on échangeait plus et il a vite compris que j’étais un otaku mais il s’en fichait un peu. Au contraire, j’avais l’impression que pour lui, ma passion était comme une autre. Il ne jugeait pas et se montrait parfois intéressé. Nous n’avions pas pour autant de grandes discussions sur, par exemple, la dimension psychologique qu’explorait Evangelion ou l’évolution du personnage d’Eren de protagoniste pathétique à antagoniste quasi-divin dans Shingeki no Kyôjin mais au moins, il ne regardait pas la pop-culture d’un œil méprisant. Je lui accordais au moins ça.

Mi-mai.

On était en train de déjeuner entre mecs. Masauchi rageait contre Serizawa, un autre élève transféré qui a intégré notre classe récemment, qui flirtait sans honte avec des filles qui l’invitaient à déjeuner. Il s’en plaignit à Nishiyama, devenu récemment délégué garçon, mais ce dernier lui fit comprendre que tant que Serizawa n’avait pas de comportement vraiment déplacé, il n’avait pas de raison d’intervenir. Logique. J’ai vite terminé le sandwich que j’avais acheté à la cafétéria pour reprendre ce que je dessinais pendant le dernier cours. J’avais eu une petite idée pour une histoire courte en manga il y a quelques jours et je voulais avancer le plus possible le story-board avant de rentrer chez moi. Yagi, qui jeta un coup d’œil sur ce que j’avais déjà terminé, me disait que c’était bien. Mais ça ne me servait à rien car il disait ça de tous mes dessins. Quand Nishiyama a jeté un coup d’œil rapide à son tour, il m’a signifié que telle ou telle case serait mieux en faisant tel ou tel changement. Que pour rendre une action plus spectaculaire, il ne fallait ne pas hésiter à faire sortir le personnage ou les onomatopées de la case, etc… Ses conseils étaient assez pertinents mais aussi étonnant pour nous. Quand je lui ai demandé s’il avait déjà dessiné un manga avant, il nous a expliqué que, dans son ancien lycée, après avoir démissionné de son club de littérature suite à un renvoi temporaire, il avait aidé des membres du club de manga à mieux structurer leurs histoires. Vu qu’il lisait beaucoup, structurer une histoire pouvait être dans ses cordes. Mais il dut également apprendre comment on faisait un manga. Comment raconter un récit par l’alliance du texte et de l’image. Comme quoi, il n’était pas juste l’archétype du lycéen qui s’investit uniquement dans ses études…

J’ai suivi ses indications et ma foi, même si ce n’était que le story-board, ça avait l’air d’avoir de la gueule. Il m’a demandé si je comptais envoyer cette histoire pour qu’elle soit publié. J’ai un peu ricané, avant de lui dire que mon histoire n’était pas assez qualitative pour qu’elle soit publié. Lui a assuré que je ne pouvais pas savoir, si je ne l’envoyais pas à un éditeur pour au moins avoir un avis.

Il… n’avait pas tort, dans un sens. Mais bon, ce n’était qu’un story-board… En tant qu’amateur, un éditeur voudra lire mes planches finies. Et encore, si ces planches ont été réalisés par un lycéen, je n’étais pas sûr qu’on veuille le lire.

On va dire que je vais mettre l’idée de côté, pour l’instant…

La cloche sonna la fin de la pause-déjeuner et la reprise imminente des cours. J’ai rangé mes dessins rapidement, en me disant que je reprendrais plus tard.

La fin des cours était toujours une délivrance. Sauf exception, et puisque je n’étais membre d’aucun club, j’allais passer le reste de ma journée dans un manga café ou dans un restaurant familial pour dessiner ou passer le temps. Aujourd’hui, j’optais pour le restaurant familial.

Après avoir commandé une formule boisson à volonté et un truc à grignoter, je me suis installé à une table et j’ai repris mon dessin là où je l’avais laissé.

Pour une concentration optimale, mes écouteurs, mon mp3 et de la musique pour former cette bulle qui me permettra de visualiser ce que je veux coucher sur le papier. Cette réalité s’efface peu à peu pour être remplacé par la mienne. Les habitants de mon univers reprennent vie sous la mine de mon crayon. L’espace d’un instant, je deviens le Dieu de ce monde…

Je suis resté dans cet état d’esprit deux bonnes heures. Le story-board était fini (quoique mériterait peut-être une ou deux corrections) et j’ai décidé de me lancer dans le character design de mes personnages. Une autre heure après, j’avais finalisé l’apparence de tous les personnages de mon histoire. Tous… sauf l’héroïne. Je ne trouvais aucun design bon ou alors, ils faisaient trop cliché à mon goût. J’ai toujours eu du mal, avec les personnages féminins. Autant pour les écrire que pour les dessiner. On dit que pour représenter un personnage fictif, on s’inspire de personnes qu’on connaît ou qu’on a connu. Le problème venait peut-être de là…

Enfin, ce n’était pas demain la veille que j’allais apprendre le fonctionnement des filles. Surtout si c’était le genre à me prendre de haut…

(Tsk…)

Un petit groupe de collégiennes venait de passer à côté de ma table et rigolèrent en voyant mes dessins, ce qui m’a fait claquer la langue contre mon palais. Déjà que je ne supportais pas la vue des filles de mon âge alors les gamines…

(Du calme, Gon… Elles n’en valent pas la peine…)

Je me suis calmé en respirant un bon coup et je me suis remis au travail. Je ne voulais pas rentrer avec du travail inachevé !

Le soleil était bientôt couché et je n’étais toujours pas satisfait de l’apparence de mon héroïne, ce qui me frustrait ! Et pour ne rien arranger, mon téléphone n’arrêtait pas de vibrer depuis un moment. Encore ma génitrice qui voulait savoir où j’étais…

(Arrête de jouer la mère inquiète, hypocrite !)

Après un énième essai de design raté, je me suis rendu compte que j’étais à court de papier pour dessiner. Il ne me restait qu’un carré de libre sur ma feuille en cours pour dessiner une tête et deux ou trois expressions. J’ai poussé un profond soupire face à ça, sans compter la multitude d’échecs qui traînait sur la table.

(Bon… On dirait que ça sert à rien de forcer. Autant remballer et…)

-Ouah… C’est vraiment bien fait ! fit une voix bien aigue.

Mon cœur a manqué un battement, tellement j’ai été surpris. Quelqu’un était près de ma table et tenait l’un de mes dessins dans ses mains. J’ai alors reconnu l’une des collégiennes qui étaient passés devant moi en se moquant. Une gamine avec une queue de cheval portant un uniforme marin…

-C’est vraiment vous qui avez dessiné tout ça ? Ça ressemble presque à ceux qu’on voit dans les magazines !

-En quoi ça t’intéresse !

Je lui ai alors pris la feuille de force et j’ai rangé mes affaires, irrité par cette gamine qui riait de ce que je faisais un peu plus tôt et qui maintenant jouait les intéressés.

-Pas la peine de s’énerver…, a-t-elle dit. Je voulais vous faire un compliment.

-Ben voyons…

Comme si j’allais la croire ! Une fois mes affaires rangées, je suis allé payer mes consommations et suis parti. Et contre toute attente, cette gamine m’avait suivi.

-Attendez ! J’étais sincère, tout à l’heure, quand j’ai dit que je voulais vous faire un compliment !

-Oui, bien sûr… C’est pour ça aussi que tu te moquais de moi avec tes copines, tout à l’heure.

-Ah, c’est que… Non, j’ai pas d’excuses pour ça. Je vous prie de me par… Hé ! J’essaie de m’excuser convenablement, là ! Vous pourriez écouter !

-Une perte de temps !

-HÉ !

Elle m’avait dépassé en courant et me barrait la route.

-Quoi, encore ? ai-je demandé avec irritation.

-C’est malpoli, de ne pas écouter les gens quand ils vous parlent !

-C’est malpoli de rire des autres, encore plus devant eux…

-Bon… On va dire qu’on est quittes, alors.

-Je m’en fous. Dégage de mon chemin !

-Ah ! Pas la peine d’être grossier !

On s’est mutuellement fusillé du regard. Comme elle commençait à me faire vraiment chier, je l’ai contourné et ai marché en direction de la gare, pour prendre le train qui me ramènerait chez moi. Pour une fois, j’étais pressé de rentrer pour ne plus avoir affaire avec cette gosse. Sauf qu’elle m’avait suivi ! Du restaurant jusqu’à la gare, elle me collait aux basques ! Jusque sur les quais ! Je me suis énervé et lui ai ordonné de me ficher la paix. En guise de réponse, elle m’a tiré la langue.

(Sale gosse !)

Quand mon train est arrivé, j’ai pensé profiter de l’afflux de passagers pour la semer mais la chance était contre moi car il y en avait peu. Aussi, quand je suis monté, elle m’a suivi. Pour me poser des questions.

-Cet uniforme… C’est celui du lycée Hoshi, non ?

-Et alors ?

-J’ai prévu de m’y inscrire l’an prochain. Si je réussis le concours d’entrée. Ah, mais si j’y suis et que vous y êtes encore l’an prochain, ça fera de vous mon senpai.

-…

-Hé ! Mais réponds !

Elle laissa tomber son côté poli, lorsqu’elle me donna ce coup de pied au tibia.

(Sale gamine !)

-T’es pas sympa, senpai !

-J’ai pas demandé ta sympathie et si c’est comme ça que tu la montres, je m’en passerai volonté, ai-je déclaré en massant mon tibia endolori.

-Ah, pardon…

(T’es pas convaincante du tout, idiote !)

La douleur est finalement passé et le reste du trajet s’est fait, pour mon plus grand bonheur, dans le silence. Du moins, j’aurai aimé…

-Senpai ! Tu dessines un manga ?

(Ne pas lui répondre…)

-Je peux le lire ?

(Ne pas lui répondre !)

-Senpai ! Réponds-moi, s’il te plaît !

-La ferme ! Tu m’emmerdes ! Oui, je dessine un manga ! Qu’est-ce que ça peut bien te foutre, espèce de… !

-Senpai, tout le monde te regarde…

En effet, j’avais haussé le ton au point d’interpeller les autres passagers. La honte ! Je me suis excusé auprès d’eux puis on annonça dans les haut-parleurs que le train allait arriver à mon arrêt.

-Au fait, Senpai ! Je m’appelle Sasaki Rua. Et toi ?

-John Smith…

-Tu te moques de moi ?

-Ta gueule !

CLIC !

(Clic ?)

Cela ressemblait au bruit que faisait un téléphone lorsqu’il prenait une photo. Je vis alors que cette satané gamine venait de me tirer le portrait !

-ESPÈCE DE… !

Le train s’est alors arrêté. J’avais un choix à faire : soit je restais dans le train et j’étranglais cette collégienne que je trouvais insupportable, soit je descendais.

Ne voulant pas d’un casier judiciaire, j’ai préféré descendre. Avant que les portes ne se referment et que le train reparte, elle m’a dit « Au revoir » avec un grand sourire et m’a déclaré qu’elle espérait me recroiser un de ces jours.

Comme si j’avais envie de revoir cette gamine !

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