Cet avant si présent.

6 minutes de lecture

Merci pour ce beau challenge qui vient en quelques secondes me replonger en enfance.
Pour comparer mon avant/après dans l'écriture je dois retourner dans le passé.

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J'ai appris à écrire en maternelle, seule dans ma chambre sur la comptine du petit chat gris, essayant tant bien que mal de réécrire toutes ces lettres dans le bon ordre, correctement et lisiblement.

"Un petit chat gris
qui mangeait du riz
sur un tapis gris
sa maman lui dit
ce n'est pas poli
de manger du riz
sur un tapis gris"

Pourquoi ces mots m'inspiraient tant ? Je ne saurais dire. Mais je n'arrivais pas à me détacher d'eux. Toute mon année a été bercée par ce petit chat qui hantait bien ma mère.

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J'ai appris la rime et le rythme en CP par ces quatres petits vers de Frédéric que j'ai longuement tenté d'imiter, mais en vain, il faudra attendre l'année d'après pour que j'atteigne ce niveau tant recherché.

"Frédéric, tic, tic,
Dans sa p'tite boutique
Marchand d'allumettes
Dans sa p'tite brouette."

Pourquoi ce Frédéric m'a tant marqué ? Je ne saurais dire. Mais il est le premier poème de mon premier bloc note de poésie.
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J'ai ouvert mon premier recueil de poésie l'année suivante, lorsque j'avais enfin réussi à égaler l'élégant Frédéric. Maman m'avait ramené un petit bloc note de 8 pages floqué au nom du boucher du quartier. Petit bloc si précieux, que j'ai depuis toujours gardé au fond de ma table de nuit. Encore aujourd'hui. Il retrace mon année de CE1 marqué par de tendres déclarations d'amour à mon chéri de bébé.

Je compose alors mon tout premier poème de quatre vers, à l'image de Frédérique.

"L'amour c'est beau,
Le soleil tient chaud.
Florian m'émerveille
Comme les arcs en ciel."

Cette ode à Florian est le deuxième poème de mon bloc de boucher. S'en est suivi des tas d'autres.

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Puis je suis en CM1, la maîtresse nous fait enfin travailler sur la poésie. Elle nous apprend ce qu'est un sonnet. Elle nous distribue à tous ce beau poème de Rimbaud, "le dormeur du val". Nous apprend à décortiquer un poème et nous donne la consigne d'en écrire un en s'inspirant de ce dormeur, pas sur la forme mais sur le fond. Nous avons une heure.

Prise d'une grande inspiration, j'ai composé immédiatement. Je me rappelle que je tremblais. Je sens encore mon coeur battre la chamade en écrivant ma première grande poésie.

Mes mots se sont aposés sur le papier en dix minutes.

Je me souviens avoir levé mon stylo et sans me relire avoir levé la main pour prévenir la maîtresse que j'avais fini.

J'ai été reçu par un éclat de rire et un "Non mais n'importe quoi, ne te précipite pas, prends le temps de te relire et n'oublie pas toutes les consignes. Quand tu seras sure d'avoir fini, tu viendras me le faire lire"
J'ai versé une larme, j'étais si sûre de moi.

J'ai fait mine de me relire et me suis levée. Moi, élève timide, muette et discrète j'ai bravé les consignes, affronté les regards moqueurs de mes copains, je me suis risquée au retour immédiat à ma place par cette maîtresse qui ne croyait pas en moi sans même avoir lu un mot.

Une fois ma feuille déposée sur sa table, elle me fait me rasseoir, je distrayais la classe.

Puis elle vint à ma table me murmurant : " Je n'ai pas demandé de copier Rimbaud ! Tu aurais pu faire marcher ton imagination ! Mais dis moi, tu es sûre que c'est de toi ?"

La petite fille que j'étais est restée tétanisée sur sa chaise, chuchotant un oui timide et culpabilisant à l'idée d'avoir plagié ce poème que je trouvais pourtant si différent de l'original.

Elle m'a demandé de lui prouver que je venais vraiment d'écrire ça en en réécrivant un autre.

Je n'ai pas réussi à écrire plus d'une phrase et je n'ai pas rendu mon travail. J'ai eu un zéro et un mot sur mon cahier.

Je suis rentrée chez moi criant à l'injustice. Ma mère m'a grondé pour mon insolence. Poursuivant par un "Les artistes ne sont jamais compris ma fille, tu l'apprends aujourd'hui" Mais impossible pour moi de comprendre cette phrase du haut de mes 9 ans. J'en ai déduit que ma mère non plus ne me croyait pas.

Ce poème que j'aime tant, encore aujourd'hui, a développé une rage et une confiance en moi inébranlable face à mes écrits. J'ai appris grâce à lui à aimer mes poèmes sans rien attendre en retour. Et j'ai ainsi constitué des tas de petits poèmes au fil des années. En silence. En secret.

Voilà l'objet de toutes les incompréhensions :

Seul, endormi. Par moi même.

"C'est un coin perdu au beau milieu de la montagne,
Où se repose un homme, seul et endormi,
Dans l'ombre qui le suit toute la nuit.

Il tient un fusil à la main,
Et seule l'inconnu qui passera,
Le lui enlèvera.
S'il l'ose,
Car personne d'autre ne le fera."

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Je suis en 4 ème. En permanence avec mes amis et nous avons un grand débat sur l'amour.

Ces frissons, ces tremblements, ce palpitant, m'a habité une deuxième fois.

J'ai arraché le cahier de texte de ma copine de droite et j'ai écrit.

Une minute après, tout sourire, j'ai lu.

Mes amis ont tous pleuré et nous avons pris une heure de colle pour avoir trop parlé pendant les heures de permanence. Mais j'avais suscité une telle émotion, que je compris ce jour que mes mots pouvaient toucher. Et j'ai ressorti mon endormi des placards pour leur faire lire. Ils ont a nouveau pleuré. Sans même me demander si c'était de moi. De ce jour là, j'ai voulu écrire pour susciter l'émotion. C'était devenu une obession. Je ne voulais plus me taire et me terrer. Je voulais crier et lire à tous.

L'objet de tant d'émotions d'adolescents :

L'amour. Par moi même.

"L'amour est précieux
Il ne faut pas le perdre,
Il te rendra heureux,
Tout au long de ta vie.

Quand tu étais petit,
L'amour était jeu,
Maintenant tu es grand,
Il devient dangeureux.

Il ne faut pas le croire,
Il faut juste le vivre.
Il ne faut pas le voir,
Il faut le ressentir."

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Les années ont passé, je me suis détachée de la poésie. J'ai écrit des lettres, des tas de lettres à ce père absent, à cette mamie que j'aime tant, à ma soeur de coeur à qui j'ai tout livré.

Puis j'ai appris à dompter mon inspiration. A la provoquer.

Je suis devenue accros aux frissons, aux tremblements et aux palpitations.

A chaque envolée littéraire ils m'habitaient. Et en quelques secondes ils se traduisaient par des mots jetés sur du papier.

J'ai beaucoup joué avec eux. Je suis devenue accro aux bistros. J'y passais mes après-midis crayon à la main à griffoner le monde qui m'entourait.

Puis j'ai voyagé. Mes carnets se sont remplis de toute cette vie d'aventure.

Puis j'ai travaillé. Les feuilles blanches se remplissaient de mots envahis d'émotions.

Puis j'ai aimé. Mes poèmes sont revenus et ne me quittent plus.

Je connais aujourd'hui ma plume. Je l'aime et l'encourage.

Elle m'a tant appris.

Je sais aujourd'hui que certains l'apprécient, que d'autres n'adhèrent pas.
Je veux aujourd'hui pour les uns publier, pour les autres m'éclairer.
Pour moi continuer.


Je me suis inscrite à ce défi parce qu'il est venu immédiatement titiller cet enfant écrivain qui a vu en ce jeu une fenêtre d'expression.
J'ai foncé tête baissée laissant aller mes doigts sur le clavier, lui donnant toute sa place pour s'exprimer.

Je fais le choix de ne pas relire pour respecter ce bébé entêté que j'étais.

Je publie frissonante, tremblante et palpitante.

Merci pour ce joli défi



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