12/ Arrestation

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 Je ne sais pas combien de temps j'ai passé à rester plantée là. Je regardais le sang se répandre sur le carrelage. Je pensais qu'il continuerait pendant longtemps à s'étaler, jusqu'à recouvrir toute la pièce, mais non, il s'est déjà arrêté. Il ne reste plus qu'une mare poisseuse. Que je ne peux m'empêcher de fixer.

 J'ai pensé à cacher le corps, à m'en débarrasser. Mais je ne m'en suis pas sentie capable, paralysée. Trop éprouvant. Trop écœurant. Trop long, aussi. Ça va me prendre un temps fou à tout nettoyer. Toutes les tâches, par terre, sur les meubles, sur mes vêtements, sur ma peau. De toute façon, c'est moi la victime, on va m'aider. Je ne dois pas me faire paraître coupable.

 Mon corps tout entier tremblait légèrement. Je n’arrive pas à me déplacer. Mais qu’est-ce que j’ai fait ? Non, j’étais obligée. Je n’avais pas le choix.

 Quand j’ai entendu les sirènes s’approcher, les tremblements s’étaient progressivement accentués, jusqu’à un point où je me suis senti faillir.

 On toque à la porte. Je me ressaisis. Quelqu’un crie dehors, mais je ne comprends pas, les sifflements dans tympans recouvrent sa voix. Je m’approche tout doucement de l’entrée. De nouveaux coups retentissent, différents cette fois-ci. Puis un grand fracas. J’atteins à peine le couloir quand la porte est défoncée. Deux hommes apparaissent. Le premier, un grand gaillard baraqué en uniforme et à la peau noire, braque son flingue vers moi :

— Les mains en l’air ! Ne bougez plus !

 Paniquée, je m’exécute et dis :

— Il m’a forcé !

— On nous a signalé une intrusion, que s’est-il passé ?

— Oui, il m’a attaqué, j’ai dû me défendre, je…

— C’est quoi ce sang sur vous ?

— C’est à lui. J’étais obligée…

 Le policier me fait signe de son pistolet de me décaler. Je retourne à reculons dans la cuisine. Mon talon bute sur la friteuse renversée. L’agent, suivi par son collègue, rentre à son tour, et, découvrant la scène, lâche un :

— Doux Jésus ! …

 Le second policier, blanc, chauve et rasé, est plus petit et mince que son coéquipier. Son comportement indique qu’il est débutant dans le métier. D’ailleurs, en voyant le cadavre, il ne peut s’empêcher de s’exclamer :

— Oh, bordel de merde !

— Du calme Jhonattan. Madame, que s’est-il passé ?

— Il voulait me tuer. J’ai eu beaucoup de chance, j’ai réussi à m’en sortir, mais… J’ai dû le…

— C’est vous qui avez fait ça ?

— Oui…

— Jhonattan, passe-lui les menottes, ordonne le plus expérimenté en prenant le pouls de Bertrand, par acquis de conscience.

— Mais, c’est moi qui ai appelé ! C’est lui l’intrus !

— Je ne prends aucun risque.

— C’est ridicule ! Laissez-moi ! je supplie en me débattant.

— Madame, savez-vous combien de criminels nous appelle après avoir agi pour se faire passer pour innocents ?

— Mais enfin...

 Le flic blanc force sur mes bras et je sens le métal froid des menottes me serrer les poignées.

— S’il vous plait, laissez-moi tranquille, j’ai déjà assez souffert…

— Nous ne vous ferons pas de mal, rassurez-vous. Mais vous avez tué cet homme, nous sommes bien obligés, c’est la procédure.

— T’as vu ça Marc, fait Jhonattan, il correspond à la signalisation. J’avais du mal à comprendre la description… Mais c’est encore plus bizarre de le voir. C’est quoi ce truc qui pend de son ventre ?

— J’en sais rien, ça nous regarde pas pour le moment… Bon, je vais appeler les gars, qu’ils sachent que la situation est sous contrôle et qu’ils préviennent les enquêteurs.

 Les policiers se dirigent vers leur voiture, le plus jeune des deux me récite mes droits en me saisissant avec fermeté. Celui nommé Marc prend de son talkie-walkie et communique dedans tandis que l’autre me fait rentrer à l’arrière du véhicule. Soudain, un bruit métallique résonne dans toute la maison.

— Y’a quelqu’un d’autre là-dedans… comprend Marc.

— Quoi ? Non, y’avait personne, on était que deux ! je m’écrie.

— Faut croire qu’un second individu a profité que vous soyez diverti par le premier pour s’infiltrer. Jhonattan, viens, couvre-moi.

— Me laissez pas seule ici ! je crie.

 Mais ils m’ignorent. Je les vois rentrer chez moi et disparaître derrière les murs. Je me rends alors compte que le jeune flic a fait une erreur bête ; il n’a pas verrouillé les portières. Je me contorsionne sur mon siège pour parvenir à ouvrir la plus proche de moi, puis me positionne, un pied à l’intérieur, un à l’extérieur, prête à m’enfuir ou à m’enfermer.

 J’entends leur voix :

— Oh putain… Il est plus là !

— C’est quoi ce délire ? Comment c’est possible ?

— Il doit pas être loin. Reste sur tes gardes. … Regarde, y’a une trace de sang ici.

 Après, je ne comprenais plus leurs paroles, ils chuchotaient et étaient trop loin.

 C’est alors que je vois une silhouette flageolante tituber dans le couloir, s’avançant dans ma direction. Puis disparaître derrière un mur. Les secondes passent, interminables. Quelques sons, quelques craquements, quelques grésillements… Puis, un cri atroce. Des horribles grincements suivent. Sortant du salon, un homme trébuche, se relève, court vers moi. Je distingue ses traits quand il rentre dans le faisceau de lumière des phares. C’est Marc.

— Putain de putain de putain de bordel de Dieu !

— Qu’est-ce qui se passe ?

— Rentrez dans le véhicule, madame !

— Où est votre collègue ?

— C’est le cadavre, il a… Il est apparu dans son dos et l’a étranglé avec la corde de son ventre.

— Quoi ? Je comprends rien, vous avez rien fait ?

— C’est le Diable, je l’ai vu dans ses yeux. Le Diable en personne. Rentrez dans le véhicule, on part.

 Avant même que Marc ne puisse s’installer, une ombre se montre derrière-lui. Un rire glaçant en sort. L’agent se retourne et hurle des incantations contre Lucifer. L’ombre sanglante apparaît à son tour sous la lumière des phares.

— Je ne suis pas le Diable, répond cyniquement le démon.

 Probablement persuadé qu’il n’a plus le temps de démarrer la voiture, Marc pointe son arme vers la créature des enfers.

— Arrête-toi là, suppôt de Satan !

 Face au manque de coopération du monstre, les coups de feu fusent. Six. Mais l’anomalie putride n’est que ralentie. Toute sa splendeur disparue, le policier émet des petits cris de panique. Il ouvre la portière, se met avec précipitation sur la place conducteur. Puis il en est violemment éjecté.

 Je décide à ce moment-là de sortir, de m’enfuir, courant comme je peux vers la forêt. Je me retourne et voit le démon trancher la gorge du policier avec ses ongles. J’augmente d’autant plus ma vitesse. Je tourne rapidement la tête et voit maintenant la monstruosité qui me regarde, avec un grand sourire méphistophélique. Il se met aussi à courir. J’avance entre les arbres et je l’entends se rapprocher. Je sais que ma seule chance est d’espérer qu’il me perde de vue, puis de retourner m’enfermer dans la maison. Je vire à droite pour ne pas m’éloigner davantage d’elle. J’entends qu’il me rattrape, mais je compte sur l’obscurité des bois. Je peux à peine voir arriver les troncs devant moi. C’est alors qu’une voix terriblement familière meugle derrière-moi :

— C’est pas la première fois qu’on essaye de se débarrasser de moi, Janette…

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