Il avait de très beaux yeux.

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Il avait de très beaux yeux. C'est à peu près la seule chose donc je me souviens. Des yeux sombres, et bleus, comme l'orage. Des yeux sombres, déterminés, mais un peu tristes aussi. Et sa voix. Chaude et grave, comme un grondement.

Pour le moment, il s'intéressait à son livre. Il avait l'air gentil. Je le fixais, sans pouvoir m'en empêcher. Lorsque son regard croisa le mien, je baissais vivement la tête. La chaleur qui montait de ma gorge indiquait que mes joues n'allaient pas tarder à rosir, elles aussi.

C'était la première fois que je le voyais. Un peu plus tôt, il s'était installé près de moi, mine de rien. Il avait un visage jeune, et très sérieux à la fois. C'était comme si sa présence m'avait glacée toute entière. Mon cœur battait si fort que son écho devait sans doute résonner dans toute la pièce. Plus rien n'agitait mon corps et mon esprit que ce lourd battement. Je n'avais jamais ressenti ça auparavant.

Il dit quelque chose. Je ne l'ai pas écouté. Je lève les yeux vers lui, surprise. Il a répété, patiemment. Il ne souriait pas vraiment. Il voulait savoir comment j'allais. Je lui ai répondu, hésitante.

Il avait une petite plaie rouge sur la main. Il avait du se blesser plus tôt dans la journée. Ça n'aurait pas du m'étonner, vu l'activité de cet homme là. Spontanément, je lui proposais d'aller chercher de quoi le soigner. Les mots s'étranglèrent dans ma gorge avant la fin de la phrase. Bon Dieu, faire une conférence devant des centaines de personnes qui m’interpellent de manière virulente ne m'intimide guère, mais cet homme là réussissait à me faire perdre tous mes moyens.

Il me dit gentiment que ce n'est pas nécessaire, et que ce n'est rien. Et que, de toute façon, il faudrait que je parte bientôt. Je suis surprise. C'est tout ? Notre rencontre va simplement s’arrêter là, comme ça ? Aussi soudainement qu'elle a commencé ? J'avoue être un peu déroutée. Pas déçue, mais… Bon.

Je me concentre sur le bouquet de fleurs, posé sur la table. Elles sont belles, colorées. Et elles, ne sont pas troublées par le présence de l'homme, elles, pas le moins du monde. Elles sont parfaites. Les coquettes se contentent d'attendre, pudiques, qu'on ne les regarde plus pour se faner en silence. J'aimerai leur ressembler.

Deux hommes pénètrent alors dans la pièce où nous nous tenons et interrompent notre tête à tête. L'un d'eux me fait un petit signe. Je détourne rapidement la tête. Celui là est jeune, plutôt beau garçon, mais je ne me souviens plus de son nom. C'est le même qui m'a offert un café ce matin, armé de son plus beau sourire. Je ne veux pas le regarder. L'autre est un grand costaud, et il a quelque chose qui me fait froid dans le dos. J'ai compris que c'était le frère de ma nouvelle rencontre, à la façon dont ils se ressemblaient. D'ailleurs, les beaux yeux ne me regardent plus. Moi, je suis toujours fixée sur son beau regard de nuit, un regard infini.

Soudain, l'homme à ma table se lève, et me dit d'attendre. Il va voir son frère. Ils sont à quelques pas, mais je ne parviens pas pour autant à comprendre leur échange. Ça ne dure pas longtemps. Il revient vers moi. S'agenouille. Son regard accroche le mien. Il est maintenant dur comme l'acier.

Il parle doucement « Il va falloir sortir maintenant. Vous allez d'abord sortir tous les deux. » Il désigne de la tête le jeune homme, qui se tient maladroitement dans un coin. Vous allez prendre la petite porte là. Pas d'inquiétude. » Sa voix s'éteint. Je hoche la tête. Que pouvais-je bien faire d'autre ? Il me prend par l'épaule, et je me retrouve face à la porte. L'autre garçon me regarde d'un air désespéré. Mais je l'ignore.

La porte s'ouvre, et une bourrasque glacée m'embrasse le visage. Je cligne des yeux. Il me prend par le bras, et m’entraîne en bas du chemin bitumé. Il y a du monde. Je ne pensais pas qu'il y en aurait autant à cette heure. Des hommes. Vêtus de bleu foncé. Ils crient. Bougent rapidement. Je me retrouve projetée dans une voiture. La portière claque. On me parle, on me touche, mais je n'arrive plus à bouger, ni même à penser. Elle démarre. Vite. Le moteur rugit. Détonations, coups de feu. Cris des hommes, cris des armes. L'assaut a commencé. Une larme roule le long de ma joue. La radio est allumée. La journaliste parle : « … morts. Les forces de l'ordre viennent de donner l'assaut et on nous communique que les deux otages s'en sont sortis indemnes ».

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