Chapitre 3 : En quête de fierté

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(Quelques temps plus tard)

« Pourquoi perdre ton temps et ton énergie ? Les êtres vivants construisent la vérité avec l'argile de leurs croyances. »

Ardolon se répétait cette réflexion encore et encore, comme s'il tentait d'en faire éclore toute la portée. Il avait pris des risques immenses cependant l'enseignement, en guise de récompense, lui avait été dispensé comme une pénible sentence. Une réprimande. Le rito s'imaginait peut-être quelque chose, mais il commençait à saisir son tortionnaire : le soi-disant mercenaire n'avait aucune parole en l'air. Alors celle-ci, dite sans réfléchir, était inscrite au plus profond de son esprit. Une tape sur la tête le rappela à la réalité : ils avaient atteint leur destination.
Les quelques habitations ne laissaient pas à Ardolon une quelconque impression. C'était un oasis de survivance, sanctuaire pour quelques temps.

« Merci de m'avoir aidée ! »

L'iris du piaf plongea dans la pupille pétillante de l'enfant. Ils l'avaient secourue... Non, il l'avait secourue seul, contre le souhait de son précepteur. Et à la lueur du bonheur qui animait le petit village, il ne regrettait pas son geste. Alors pourquoi avoir ordonné de l'ignorer ?

« Je vous en prie, je n'ai fait que mon devoir. »

Quelle indignité...

Lorsqu'ils se furent éloignés, Ardolon voulu engager la conversation... Mais un puissant coup d'estoc lui coupa la respiration ; un uppercut l'envoyer valser avant qu'il ne se resaisisse.

« Je ne te garde pas pour que tu questionnes mes ordres, brailla Glardÿn. »

Le piaf savait à quoi il s'exposait. Cela faisait des mois qu'il subissait régulièrement la fureur de son "mentor". Au début, il avait cru pouvoir le fuir. Mais en vain : Glardÿn retrouvait très vite sa trace, par une inexplicable sorcellerie. Et il lui faisait payer sa témérité si cher... Par moments pourtant, l'homme semblait vouloir enseigner quelques savoirs : herbologie, pistage, cuisine et cultures locales notamment. Mais aussi une sorte de philosophie très critique vis-à-vis des trois déesses. Ainsi que quelques techniques de combat.
Comme beaucoup des choses que faisait Glardÿn, sa générosité paraissait fausse. Mais à la moindre critique, il infligeait un traitement inhumain au piaf, souvent en le blessant grièvement, jusqu'à ce qu'il ait besoin de son aide. En particulier, une reconaissance qui nécessitait des ailes. c'est pourquoi le rito le nommait "bipède" avec un mépris inavoué. Après tout, son état était proche d'une captivité pénible, quoique parfois pratique. La simple expression de son avis pouvait valoir à Ardolon une froide correction et à mesure qu'il subissait ces punitions, il perdait sans le savoir une part de son identité.

« Nous aurions obtenu plus de nourriture si la petite était morte ! Tu en prendras la responsabilité et chercheras de quoi compenser pour ce soir. »

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(Encore quelques temps plus tard)

Son cœur rata un battement. Le piaf, pétrifié, était face à celle qui l'avait sauvé jadis. Combien de vie cela faisait-t-il ? Avait-il beaucoup changé ? Cet Ardolon, si lointain, avait été faible... Pourtant il ressentait une envie si forte de revenir en arrière. Mais il ne pouvait pas revenir en arrière. Et derrière lui, son maître allait l'appeler dès qu'il aurait fini de savourer une banane. Devant lui se tenait celle qu'il n'avait jamais pu remercier. Il ne raterait pas cette opportunité, même si ses pensées dansaient à un rythme aussi vertigineux qu'impérieux.

L'assurance de la jeune rito lui avait fait un choc par le passé. Son indifférence à l'avoir sauvé avait dû la heurter. Il devait présenter ses excuses d'une façon ou d'une autre, alors il voulut l'aborder. Dès qu'elle lui demanda ce qu'il faisait ici, il répondit naïvement qu'il était mercenaire. Et cet instant fut plus marquant encore que le précédent : elle avait éclaté de rire en apprenant son sort.

« Pourquoi faire la sale tavail de quelqu'un, alors que le ciel nous appartient ? »

Ardolon avait répondu qu'il cherchait un défi, qu'il prenait toute sorte de chasse comme un sport... En aucun cas n'osa-t-il avouer qu'il exécutait les ordres d'un bipède et une colère décuplée par la honte brûla dans ses yeux. Il ne s'était jamais senti autant humilié.

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« Comment ça, "je vous quitte" ? Tu me dois la vie, tu me dois tout ! Tu crois quand même pas t'en tirer comme ça ?
- Je ne vous dois rien, répondit Ardolon. Car je me souviens... J'ai fui le confort de ma famille car je refuse l'autorité, je refuse de me soumettre, et je n'ai aucun intérêt à... »

Glardÿn s'était élancé sur lui sans sommation. Mais Ardolon, bien habitué aux ruées de son taulier, était parvenu à l'éviter. Un combat à mort se profilait, il le savait. Car chaque jour, il lui avait suggéré avoir droit de vie ou de mort sur le piaf. Glardÿn lui avait inculqué qu'il n'avait aucun espoir, mais cette analyse, froide, céda bientôt à l'émotion débordante qu'il ressentait à nouveau.

« Tu ne peux pas me vaincre, cracha le bipède. T'es trop tendre.
- La main des miséricordieux tremble toujours... C'est ce que vous dites parfois.
- Oui... Tu n'as aucune chance.
- Je ne crois pas en la chance. Et vous ne devriez pas compter sur mes tremblements. Pas aujourd'hui !»

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« Je ne crois pas en la chance. Et vous ne devriez pas compter sur mes tremblements. Pas aujourd'hui !»

Un bruissement d'air traversa la frondaison des arbres, comme pris d'un frisson. L'ombre des témoins silencieux ne cachaient pas les yeux empreints d'indignation qui se posaient sur Ardolon. Luisant d'une malice impossible, des lames trouvèrent un reflet qui tenta d'éblouir le piaf ; l'instant d'après, Glardÿn avait disparu - et ses lames avec lui. Il voulait assomer le jeune rito, comme il l'avait fait pendant des mois avant d'obtenir sa soumission. Non, il en avait fait... Son animal de compagnie.
À cette pensée sordide, Ardolon glatit avec férocité. Il ressentit, pulser dans ses entrailles, le sang qu'il avait fait couler maintes fois pour un scélérat, un lâche et un assassin. Il attaquait toujours par derrière, profitait de sa vitesse et de l'effet de surprise pour porter des estocades infaillibles. Alors à l'approche de la lame, la force irascible d'Ardolon accueillit son ennemi. L'impact fut si cinglant qu'aucun ne s'y attendait.
Glardÿn avait roulé sur lui-même en laissant une trace de sang sur son chemin. L'arcade sourcilière en miette, il saignait d'ailleurs abondamment et la douleur était telle qu'il lui semblait avoir perdu un œil. Ce n'était qu'une illusion et cependant qu'il s'en assura, la silhouette de son esclave se projetait déjà sur lui. Des griffes incisives lacéraient son estomac.

« Pitié, hurla Glardÿn entre d'autres cris moins virils, arrête ! »

Depuis sa position, Ardolon pouvait parfaitement prédire les initiatives de son ancien bourreau. Il le voyait déjà tirer une dague vers son crâne puis, profitant de l'esquive du piaf, il tâcherait d'en envoyer une seconde vers un point vital. Dans un rictus, l'homme à terre envoya effectivement sa première lame... Toutefois Ardolon décocha une flèche vibrante tout en esquivant l'arme de jet. Elle parvint à toucher le bras de Glardÿn juste avant sa deuxième attaque et la seconde dague retomba à quelques centimètres de son propriétaire, toute aussi pathétique que lui.

« Comment peux-tu... Comment peux-tu me faire ça après ce qu'on a fait ensemble ! Je t'ai tout appris, je...
- Tu m'as contraint à baisser la tête pendant bien trop longtemps !
- Je n'avais pas le choix ! Pour t'apprendre tout ce que je sais, il fallait que tu acceptes mon autorité. Mais je t'ai aussi protégé de...
- Silence ! On ne protège pas quelqu'un en essayant de le soumettre.
- Tu dois m'aider... C'est ton père qui m'a engagé... Il disait... Que je devais t'apprendre à te méfier... Du monde... »

Se méfier ? Une fulgurance frappa le jeune piaf comme si une évidence l'avait frappé de plein fouet. « Si tu baisses la tête, la tiare risque de choir. » Il s'en souvenait enfin... C'est ce que son père voulait dire. Il avait mis tant de temps à comprendre...
Quelques provisions tombèrent aux côtés de l'homme malmené ; c'était tout ce qu'ils avaient sur eux et une quantité suffisante pour tenir au moins une journée ou deux. Toutefois la nourriture était trop loin pour qu'il l'attrapât sans bouger et il saignait abondamment.

« Tu méprises mon régime alimentaire car il ne te correspond pas et te voilà à me supplier de te l'offrir... Ta vie t'appartient, et tu as le droit de me poursuivre si tu survis... Mais ne crois pas que tu pourras me surprendre. »

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