Chapitre 23 : Alteanne

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D’une main maladroite, je saisis la cafetière, verse le contenu du liquide brun dans ma tasse et quelques gouttelettes tombent sur le plan de travail. Je le nettoie avec l’aide du torchon.

J’ai merdé…

Au début, j’ai cru que je pouvais outrepasser ce souci, mais quelque chose s’est réalisé en moi. J’ai conscience que la vérité allait sûrement me rattraper, un jour.

Certes, j’ai passé une soirée extraordinaire avec lui avant que je ne brise ce lien qui était en train de se construire entre nous. D’autant plus que j’ai repensé à son engagement qu’il a avec Bethanie. C’est à cause de ce truc qui m’a fait fuir. J’ai cédé à cette tentation que j’essayais de repousser.

S’il me déteste, je ne peux m’en prendre qu’à moi-même.

Soudain, j’entends Andrew qui hèle Jagger qui descend des escaliers.

— Hé, Jagger, tu ne veux pas de petit déjeuner ?

Il lui demande quelque chose, mais ce dernier réplique d’une grosse voix pour que tout le monde soit au courant.

— Je suis pas un taxi ! Tu emmèneras ta charmante fille qui a chevauché ma queue cette nuit.

Je lâche un profond soupir, bois d’une traite le nectar chaud et quitte la table pour laver la vaisselle utilisée. Andrew rentre dans la pièce et racle sa gorge pour signaler sa présence, mais je ne me retourne pas vers lui, je fais comme s’il n’existait pas.

— Tu me déçois énormément, Alteanne

Je rétorque :

— D’une manière ou d’une autre, je t’ai toujours déçue, papa.

À cet instant, j’ai une envie de crier, de pleurer, de hurler, de vociférer contre lui, mais je ne parviens pas à hausser le ton de ma voix. J’ai juste besoin qu’il me foute la paix pour une fois.

Je ne lui dis plus rien, me dirige vers le meuble pour enfiler ma paire de chaussures et revête ma petite veste sur les épaules. Je constate qu’aujourd’hui, la température va avoisiner les trente-cinq degrés. Heureusement que j’ai mis une jupe courte et un top blanc qui arrive au-dessus de mon nombril.

Avant de quitter la maison, j’ai prévenu Andrew s’il pouvait déposer Cameron à la fac. J’ai préféré faire le chemin, à pied et seule.

Machinalement, je parviens à rejoindre la fac sans trop de difficultés. Le temps défile à une allure folle quand tu te remets souvent en question et que tu réfléchis au virage que ta vie vient de choisir pour toi. À ce jour, une nouvelle page se tourne pour moi et marque le début d’un cycle immaculé. Je ne dois pas le gâcher comme je sais le faire à chaque fois.

La veille, j’ai consommé de la drogue alors que j’en avais fini avec ça. À l’intérieur de moi, je me sens vidé et privé de l’énergie dont mon corps a besoin pour bien fonctionner.

Je décale la mèche de cheveux qui se place devant mon œil, ne fais pas attention aux gens qui m’entourent, traverse l’allée pour rejoindre la salle du prochain cours qui débutera dans une vingtaine de minutes.

J’arrive dans le hall d’entrée et écoute les petits ragots du matin. Deux qui m’ont surpris, tels que : « Jagger a lâché ce groupe de losers pour redevenir le capitaine des Vikings » et « Il est retourné avec l’autre qui l’a rendu cocu. »

Étonnée, j’appréhende déjà qu’il ait remis son fameux masque. Ce type, détestable, comme la première fois que nous nous sommes rencontrés.

S’il savait au moins pourquoi j’avais réagi de la sorte, il aurait sûrement compris ! Je suis bien trop fière pour lui avouer ce que je ressens pour lui. Et cela depuis l’enfance.

Je me suis convaincue que c’était qu’un simple ami pour moi, sauf que cela n’a jamais été le cas. J’ai fui ces sentiments que j’éprouvais et je les ai attribués à Adam en tenant compte de l’accident. Mine de rien, j’ai failli coucher avec lui juste avant de me mettre avec Caleb pour l’enlever de ma mémoire. J’ai résisté longtemps et maintenant, j’ai tout fait foirer à cause de la peur et de la culpabilité.

Je me prends pour une fille solitaire alors que j’avais besoin que de lui dans ma vie, pour remonter la pente et rester auprès de lui, hors que c’était la mauvaise personne à qui je faisais confiance.

Mon cœur se compresse quand je jette une œillade par-dessus mon épaule.

Les dents serrées, je tente de retenir ses larmes qui sont sur le point de se libérer.

Lui coller à elle, plus tendre et plus affectueux que jamais, me donne envie de mourir au pied d’un des élèves qui me frôle. Je reste planté au milieu de tout le monde. J’ai l’impression que le temps vient de s’arrêter et que j’étais la seule qui pouvait admirer les couples qui s’embrassaient, qui s’aimaient, qui rigolaient et qui se contemplaient dans mon champ de vision.

L’homme, qui m’a montré à quel point j’étais importante à ses yeux la veille, a fini par revenir avec la fille qui passe sa vie à me pourrir la mienne.

Je ne peux plus le voir en train de caresser cette nana qui se fout de lui. Je n’arrive plus à garder mon calme, mais une main se pose délicatement sur mon épaule. Je ravale mes sanglots et me retourne vers l’individu qui a un sourire placardé sur son visage.

Il manquait plus que lui pour me dire que ma vie est vraiment merdique en tout point.

Soudain, une vague d’hystérie se propage dans le couloir, tellement forte que plusieurs personnes de l’équipe de hockey se ramassent sur le sol, ainsi que l’autre cruche qui se cogne contre le casier.

Je rigole.

Une silhouette élégante au galbe élancé marche à travers la foule qui se pousse pour laisser la jeune femme, passer et termine sa course juste devant moi. Elle me tend une main.

Vu sa tête, je dois faire une horrible grimace. Elle réprime un petit rire.

— Tu dois être Alteanne, la fille de Maria Miller ?

Cette femme connaissait ma mère ?

Ne voyant que je ne prononce pas un mot, elle reprend et pose délicatement sur mon épaule.

— Enchantée, Taylor O’Connor, me dit-elle, sans hésiter. Tu as bien changé, je t’avais rencontrée quand tu n’étais pas plus haute que trois pommes. Te voilà, une belle jeune demoiselle.

Mes yeux limpides survolent la pièce, s’écarquillent.

Je suis en face de Taylor O’Connor, l’actrice et la chanteuse la plus célèbre du monde.

Bon sang ! C’est quoi, ce délire ? Il y a d’autres comédiens qui traînent dans les parages ou quoi ?

Le responsable de la fac arrive tandis que Bethanie se relève de sa chute et crie de douleur.

— Écartez-vous, je vous prie, dit le directeur en allant la voir. Qui a poussé cette élève ?

— C’est elle, réplique-t-elle en me désignant du doigt.

Elle a récupéré Jagger et a encore l’audace de m’accuser ! Elle me veut quoi au juste ?

— Si, c’est elle qui a claqué ma petite copine dans le casier pour la mettre en sang.

J’hallucine quoi ! Putain ! Pas toi, Jagger.

Taylor prend ma défense :

— Mentez mieux, vous, là-bas. Alteanne était à mes côtés donc c’est impossible qu’elle puisse vous bousculer à cette distance puisqu’elle n’a pas bougé.

Jagger fulmine, décide de partir et entremêle ses doigts avec ceux de Bethanie.

Pourquoi suis-je jalouse en le voyant faire ça ? Pourquoi n’arrivé-je pas à faire comme avant ?

J’essaye de virer ses questions de mon esprit, mais elles sont envahissantes et coriaces.

Comme lu dans un livre ouvert, Taylor susurre aux creux de mon oreille :

— S’il te plaît vraiment ce garçon, tu devrais lui dire ou renoncer. Ne fais pas l’erreur comme j’ai fait avec mon ex, je me suis rendu compte que maintenant, c’est difficile surtout quand tu as un enfant avec lui et qu’il a une union arrangée avec sa femme. Clémentine, ma meilleure amie de toujours, m’a appris beaucoup de choses dans la vie. Fonce.

Elle traverse la même impasse que moi, sauf que Jagger n’est pas marié, mais il va le devenir.

Pourquoi suis-je attirée sur des gens inaccessibles ou sur des personnes toxiques ?

J’acquiesce d’un bref signe du menton, la remercie pour son petit conseil et commence à partir pour regagner l’amphithéâtre.

Je marche à travers les nombreux couloirs et tombe sur les Vikings qui discutent avec l’équipe du football américain. Adam m’interpelle, mais je l’ignore. Il se dépêche pour me rattraper.

— Alors on fait comme si je n’existais plus, surtout qu’on a passé des bons moments ensemble.

J’arque un sourcil et croise mes bras contre ma poitrine. Son regard suit mon mouvement de mains qui fait un peu gonfler mes seins, il relève ses yeux vers les miens puis un sourire s’étire nonchalamment de ses lèvres.

— Ce soir, il y a une fête chez mon père, tu viens ?

Je n’hésite pas à lui répondre :

— Avec plaisir, Adam !

En remuant ma veste, le sachet qui était dedans tombe de ma poche, je m’empresse de le ramasser pour le remettre à sa place tandis que les autres me toisent d’un air déconcerté.

— Ça fait combien de temps que tu as repris ? me demande-t-il d’un ton faussement agréable.

Il faut que j’arrête de mentir et que je sois franche.

— Presque six mois.

Il ordonne à tous les mecs de partir, seul Jagger ne bouge pas d’un poil.

On s’éloigne alors que son frère jumeau nous fixe d’un mauvais œil.

— Il n’est pas ravi que je te parle.

— Je m’en fous. Tu veux le dire à mon père ou tu vas me faire la morale ? Au point où on en est, cela ne change pas grand-chose.

— Là, je vois que tu es redevenue la fille que tu étais avant.

— Adam, tu ne sais rien de ma vie.

— J’ai passé ses dix dernières années avec toi, je connais mieux ton histoire que les autres.

Il n’a pas tort sur ce point.

— Au pire, après les cours, on va directement chez toi ?

***

Quelle journée de merde !

Sans avertir mon entourage, je reçois un nombre incalculable de messages par des personnes qui me sont inconnues depuis plusieurs mois. Des tonnes d’acharnement, de harcèlements et de menaces en tout genre. Au début, j’avais juste mis ce groupe en sourdine, même si je ne m’intéresse pas à eux. Ils continuent encore et encore. J’ai quitté cette société, ils me réinvitent par-derrière. J’ai beau bloquer, ils en refont un autre aussitôt, alors j’ai dû l’abandonner, mais ça me commence à me gonfler d’observer toute cette méchanceté gratuite.

De loin, je vois Adam courir pour regagner sa caisse. Assise sur son capot, je me laisse glisser de ce dernier et patiente qu’il arrive vers moi.

— Désolé, j’ai eu un entraînement qui a duré plus longtemps que d’habitude et j’ai reçu un texto assez étrange. Tu n’as pas ce destinataire dans ton répertoire ? me demande-t-il.

— Attends, je vais regarder dans mes messages au cas où.

Je note les chiffres qu’Adam me dicte et tombe sur un SMS concernant ce numéro auquel je n’avais jamais répondu en septembre 2021.

[Je n’arrive toujours pas

à croire que tu ne puisses

pas t’en souvenir.]

J’ai un énorme doute sur la personne.

— Passe-moi ton téléphone, je crois savoir.

Adam me donne son portable et nous nous installons dans son véhicule.

Je me dirige rapidement sur sa messagerie et analyse le texto qu’il a reçu.

[Si tu touches à un seul

de ses cheveux, je te fais

saigner comme on

trucide un porc.]

Je réponds.

[Si je pense à la personne concernée :

cette fille est majeure et célibataire

à l’heure actuelle. Et toi, je crois que

tu as un contrat avec ta copine,

donc tu devrais tenir à ton engagement

avant de courir après une autre.]

Adam roule de plus en plus vite sur la route principale tandis que je reçois la réponse du destinataire.

[Ne t’amuse pas à coucher

avec elle. C’est un conseil

que je te donne.]

Un sourire niais ne peut s’empêcher d’étirer mes lèvres charnues. Si c’est bien lui, il cache bien son jeu.

[On verra ça, et c’est si j’en

ai envie. Bon je te

laisse la demoiselle va se poser

des questions, sinon.]

Je dépose le portable sur le tableau de bord et je regarde le pays qui s’offre à moi. Peut-être que ma vie n’est pas aussi pourrie qu’elle en à l’air, finalement. Il a été le seul à savoir qu’Adam m’a invité à sa soirée et que j’avais accepté. Je ne vois pas d’autre personne que lui qui pourrait s’en prendre à Adam.

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