La princesse bénie

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Cette nuit-là fut assez chaotique. Ce n'était pas le bruit incessant de la machinerie de l'aile interdite qui perturbait son sommeil, elle en avait depuis longtemps l'habitude. Non, mais plutôt les questions qui l'avaient occupée une bonne partie de la journée, et qui revenaient hanter son esprit anarchiquement. Alizée ne dormit que par bribes, et quand elle se réveillait, ne se rendormissait pas facilement. Enfin, le jour se leva, la princesse avait hâte de sortir de ce lit, lieu où elle venait de passer plusieurs heures plutôt pénibles.

Les jours suivants, en fin de matinée, Mistral passa une heure environ avec son père dans l'aile interdite, mais le soir venu les diners n'étaient guère réjouissants. Preuve que la formation du prince ne se déroulait pas comme le roi l'attendait. Heureusement, après le premier diner totalement silencieux et sinistre, on recommença à parler. Simplement, son père ne riait plus comme avant aux facéties qu'elle se permettait de faire. Le temps passant, Ariel, elle, retrouvait une bonne mine. Sans doute les évènements allaient ils dans son sens. Pour ce que pouvait en comprendre la princesse, le roi voulait former Mistral, et la reine y était opposée. Boréas gardait sa mine sévère, sans doute ne parvenait il pas à enseigner ce qu'il désirait à son fils. Ce qui par contre réjouissait la reine, qui elle souhaitait qu'Alizée soit initiée. La princesse en déduisit que les évènements tournaient en sa faveur, et que bientôt, elle serait conviée en l'endroit qu'elle brûlait de découvrir. Alizée ne cherchait pas à en savoir plus, en questionnant les différents intéressés. Ses parents, elle n'aurait pas osé leur demander, et son frère, visiblement il ne voulait, ou plutôt il ne pouvait rien dire, puisqu'il ne comprenait rien au fonctionnement de la technologie du vent.

Ce qui intriguait la princesse, c'était ceci : pour pouvoir suivre l'initiation, il fallait manifestement un minimum de capacité de compréhension. Or, même son père en convenait, elle était plus intelligente que son frère. Il n'aurait jamais dit ça devant le prince, mais sa mère lui avait rapporté les propos du roi. Et pour Ariel, cela ne faisait aucun doute : Mistral souffrait d'une déficience. Tout cela aboutissait à la conclusion, sous forme d'interrogation : pourquoi le roi avait il choisi le prince pour l'initier ? Et plus encore : pourquoi s'acharnait il à le former, si manifestement Mistral ne comprenait pas ce qu'il lui racontait ? Mais Alizée savait bien n'être qu'une toute jeune fille, son père avait sans doute de très bonnes raisons d'agir ainsi. Tout à coup, en pensant à ça, elle se demanda : oui, Boréas a de bons motifs, mais Ariel aussi a de bonnes raisons de croire que le prince n'est pas à la hauteur. Qui donc de ses deux parents avait raison ? Il semblait admis, dans la cour du Royaume, que Boréas n'était pas un penseur, un intellectuel, alors que la reine, elle, passait pour une sage, dans certains domaines tout au moins. Sa mère jugeait elle donc juste ? Pour le moment, la princesse ne pouvait savoir. Plus tard, sans doute, quand elle serait plus grande, elle comprendrait.

En attendant, Alizée ne devait pas oublier de s'amuser. Et sans doute ne serait il pas inutile de cesser de penser à cette aile interdite, qui occupait un peu trop ses pensées, pour la laisser en paix. Mistral n'était peut être pas capable de comprendre des choses compliquées, mais il faisait un bon compagnon de jeu, alors il ne fallait pas se priver. Et aussi elle devait poursuivre, en renforçant son assiduité, son éducation de princesse, tous les cours qu'elle suivait, le piano, la danse, l'équitation. Sans oublier les matières que se mère lui enseignait personnellement, l'Histoire, la politique, le commerce.

La princesse possédait une particularité physique : ses cheveux et ses yeux étaient de toutes les couleurs. Cela donnait à son regard une expression énigmatique, et changeante. Car suivant l'orientation de la lumière du soleil, les couleurs dans ses yeux variaient. Ainsi, si elle se tournait pendant une conversation, son interlocuteur découvrait chez elle une nouvelle expression du regard. Cette particularité s'était manifestée dès la naissance, et avait fort contenté le roi. Car jusque là son régne avait été souvent mis en doute par des seigneurs envieux du pouvoir. On disait qu'il n'était pas le vrai souverain du Vent. L'arrivée de cette petite fille à la chevelure multicolore fut considérée par le peuple, comme la preuve que le régne de Boréas était béni par les dieux, qui par cette grâce le consacraient comme légitime. Les seigneurs n'osèrent plus s'attaquer au souverain. Et le roi nourrit donc dès le début une tendresse et un attachement pour Alizée.

La cité se trouvait entourée par deux murs d'enceinte, qui assuraient sa protection. Le premier, le plus extérieur, était haut de 5 mètres, et permettait de stopper les bêtes sauvages, durant la nuit. Le second, le plus intérieur, mesurait 10 mètres. Et le roi pouvait utiliser la machinerie du château pour produire du vent dans l'espace entre les deux murs, large d'environ 5 mètres. Ce système avait été mis en place progressivement durant les siècles passés, afin d'assurer la meilleure protection à la ville. Si un assaillant franchissait le premier mur, il se retrouvait coincé dans l'espace étroit, et le roi envoyait alors un vent violent et froid dans l'enceinte, qui gelait rapidement les soldats. Ils devenaient inaptes à se battre, et les troupes du Vent n'avaient plus qu'à les faire prisonniers. Jamais aucun ennemi n'était parvenu à franchir le deuxième mur.

Autour de la ville, on trouvait des champs, cultivés par des paysans, qui vivaient à l'intérieur de la cité. Plusieurs dizaines d'années auparavant, ces paysans habitaient des maisons isolées, dans la campagne, mais depuis quelques temps, on avait observé une recrudescence de l'activité de bandes de brigands. Les agriculteurs et les éleveurs avaient demandé la protection du roi. Le prédécesseur de Boréas avait longtemps refusé l'asile aux paysans, mais devant l'accroissement inquiétant de leur mortalité, qui finissait par menacer l'approvisionnement en vivres de la ville et du château, il avait décidé de découper certaines maisons de la cité en différentes habitations, des appartements, ce qui avait permis de trouver de la place pour héberger les nouveaux arrivants. Le Royaume avait alors connu une période de crise, mais au moment où débute cette histoire, tout était rentré dans l'ordre.

Au delà des champs, il y avait d'autres villes, ou plutôt des villages, souvent entourés par des forêts, qui fournissaient le bois nécessaire au chauffage en hiver. Le Royaume profitait d'un climat tempéré, mais parfois une bise froide venant du Nord rendait l'atmosphère glaciale l'hiver venu. Les grandes montagnes du Nord n'étaient pas très éloignées, et les légendes parlaient d'une Dame de Glace qui vivait dans ces lieux glacés en permanence, inhospitaliers. Alizée regardait souvent dans la direction du Nord, afin d'apercevoir la silhouette lointaine des montagnes enneigées, aux crêtes blanches. De toutes les histoires que lui avaient raconté sa mère dans sa prime enfance, celle de la Dame de Glace était sa préférée. Elle racontait que la Dame pouvait provoquer des tempêtes de neige, pour égarer les voyageurs qui pénétraient sur son territoire. Et personne ne l'avait jamais vue.

Mais devenue plus grande, Alizée savait désormais que ces histoires n'étaient pas réelles, et sa véritable idole se nommait Erica, une héroïne qui elle existait bel et bien. Sa renommée dépassait les frontières et les royaumes, elle constituait le premier sujet de conversation dans les tavernes, les chaumières et les châteaux. Elle était une mercenaire qui offrait ses services au plus offrant. On disait qu'elle ne se déplaçait jamais sans une escorte d'une cinquantaine de lions. Et elle même ressemblait à une lionne, et n'avait jamais été défaite en combat singulier. On avait fait d'elle plusieurs peintures, et pour son dernier anniversaire, Alizée, qui ne parlait que de l'héroïne à son père, s'était vue offrir un portrait de son idole. Depuis, après avoir éperdument remercié son papa, la princesse gardait le précieux trophée dans sa chambre. Mistral pouvait bien se moquer d'elle, Alizée passait de longs moments à contempler la si fine et pourtant si forte Erica, surtout le soir, un peu avant de s'endormir. La jeune fille s'était aperçue qu'en agissant ainsi, elle faisait souvent des rêves mettant en scène la grande guerrière.

Et dans ses rêves, la lionne n'était jamais vaincue. Elle combattait les soldats de la Terre, pas ceux du Vent, et il lui arrivait de rencontrer une petite fille timide, et Erica se montrait gentille et avenante avec elle. La guerrière lui montrait comment se battre, et la petite fille devenait presque aussi forte que son modèle. Elle l'accompagnait durant ses missions périlleuses, et la petite fille, au cours d'une de ces missions, sauvait sa maitresse, en abattant un archer de la Terre, qui s'était caché derrière un arbre, pour tuer par surprise et par ruse Erica. L'héroïne consacrait alors la petite fille comme son garde du corps, et à ce moment là, Alizée habituellement se réveillait.

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