Une nuit au musée de la fourchette

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Défi "Oups"

 Je me réveillai, j'avais dormi sur une table et un lac de bave me renvoyait presque mon reflet. Vu la taille du truc, mon petit somme avait dû additionner les heures.  Je décollai mes lèvres du bois poisseux. J'avais soif, genre vraiment très soif, alors j'ai crié :  « Maman ! »  La madre ne vint pas. Elle avait toujours des milliards de bouteilles d'eau sur elle (maman disait à chaque fois : « Vous serez bien contents d'en avoir. ») Mais là, ma mère et sa douce bibine étaient inconnues au bataillon.

 J'ouvris les yeux puis me frottai les paupières. C'est là que je me souvins.  J'étais au musée de la fourchette. Un truc de merde, situé à Poulain-sur-Traille, quelque part dans la France profonde. J'appelai maman encore une fois, elle ne répondit pas. J'appelle papa. Aucune réponse non plus. J'appelle Rillette (il s'appelle Richard, mais je préfère son surnom) : devinez quoi ? Pas de Rillette.  Pour tout vous dire, il n'y avait même pas de visiteurs — non pas que cela m'étonnât sur le moment. Mais le truc qui clochait vraiment, c'était les lumières qui étaient toutes éteintes. Dans ma tête, je me disais : « Quoi, y'z'ont pas assez d'argent pour allumer les loupiotes ? »  Puis je me rendis compte qu'il faisait nuit. Genre nuit noire, comme dans un cul. J'ai commencé à flipper. Vous savez, quand on dit « Il y a quelqu'un ? » d'une voix tremblotante quand on croit avoir entendu quelqu'un dans son appart ? Eh bah pareil.  Donc je répétais « Y a quelqu'un ? Hé ? Personne ? » en tâtonnant dans le musée de la fourchette. Je voulais entendre une réponse, puis je me disais que si quelqu'un était dans le musée à cette heure là, c'était sûrement un prédateur sexuel. Donc je me suis tu.

 Quel bonheur : j'avais encore mon portable dans ma poche. Le problème, c'est qu'il ne restait plus que dix pour cent de batterie. J'ai allumé la lampe torche, tout en sachant que les secondes étaient comptées avant qu'un homme barbu et chauve avec une cicatrice sur le bidou viennent me prendre par les épaules et m'entraîner dans un coin sombre pour m'expliquer le fonctionnement d'une fourchette dans l'anus. J'avais une imagination foisonnante en matière de menace.

 Je me suis dit : « Sois intelligent. Va trouver le truc où on rallume les lumières. » Bien sûr, j'aurais pu appeler les flics direct, mais je vous défie de trouver du réseau à Poulain-sur-Traille. J'étais donc on my own, à palper des vitrines qui exposaient fourchette A et fourchette B et fourchette A avec une dent un peu recourbée qui permet de blablabli blablablou.

 Je ne sais pas ce qui a guidé mes jambes, ce soir-là — probablement le terrible spectre d'une fourchette hanteuse que j'avais créé dans ma tête —, mais je réussis à trouver le boîtier des lumières et à toutes les rallumer sans me prendre un jeton.

 Ouah, super, les néons clignotent, c'est la fête. J'avais l'air bien con. Certes je n'étais plus en proie au mec barbu et chauve avec une cicatrice sur le bidou, mais ça n'allait pas ouvrir les portes de ce putain de musée. J'étais toujours enfermé à l'intérieur, gros paumé qui s'était endormi sur une table en attendant que ses parents et Rillette finissent la visite guidée de l'histoire de la fourchette.  Je me suis dit : « Mais pourquoi y m'ont oubliés, ces trouducs ? » J'ai pensé que c'était une nouvelle technique d'abandon, mais je me suis dit qu'ils n'envisageraient jamais une chose pareille à cause des allocs. Donc c'était une erreur. Papa, maman et Rillette n'avaient pas fait exprès de me planter au musée de la fourchette. Me planter. Fourchette. Ha.

 Au final, j'ai passé toute la nuit à lire les petits descripitifs des fourchettes. Si bien que le jour levé, quand un concierge déverouilla la porte et vit avec stupéfaction un petit bonhomme hirsute et baveux — moi —, je lui sortai aussi sec :

 « RAAAAH, FOURCHETTE ! FOURCHETTE PAR CI, FOURCHETTE PAR LÀ, FROUCHETTE DE FORCHEUTTE, PUTAIN DE FOURRE CHETTE ! »

 Une fois dans le fourgon de police, je reçus un appel. C'était Rillette. Y me demande où qu'c'est qu'j'étais, bordel de merde. Je lui réponds que j'avais passé la nuit dans le musée. Alors je l'entends s'adresser à papa maman :

 « Merde, on s'est trompé de gosse ! J'vous avais dit qu'il avait les cheveux bruns. » Voilà voilà. Merci Rillette. On m'avait confondu avec un blondinet.

 Et depuis ce jour, j'ai un sacré coup de four... non. Je ne vais pas la faire.

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