IV

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  Marie était endormie, encore nue. Les bras de Claude enlaçaient son corps gonflé par une grossesse avancée. C'était le milieu de la nuit. Ils étaient à l'apogée de leur amour.

Soudain, un bruit déchira le silence de la chambre. Claude entendait du bruit au rez-de-chaussée. Bientôt, se furent des voix qui s'élevèrent. L'instinct de l'ex-forçat ne lui dit rien de bon, et il se précipita de réveiller la femme endormie.

-Lève-toi.

Il s'empara d'un vêtement ample duquel il la couvrit, avant de l'inviter à se cacher dans le placard.

-N'aies pas peur, je reviens.

Marie, encore à moitié endormie voulut dire quelque chose.

-Surtout ne dis rien.

Claude s'habilla et prit une bougie. En descendant l'escalier, il vit le Rougeon et trois hommes dans la pièce. Claude reconnut tout de suite Paul. Les trois tournèrent tous leur tête vers l'ancien bagnard et sans une salutation, le marié des trois s'écria :

-Où est ma femme, forçat ?

Claude fit les gros yeux.

-Comment le saurais-je ?

-Elle n'est pas chez ses parents. Fais pas semblant. Elle connaît qu'toi à part ses paternels. Où est-elle ?

Il venait de prononcer la question en hurlant. Claude, qui restait bien imposant et calme par rapport à ses interlocuteurs, s'avança dans un silence de mort. Même si les trois étaient hommes de loi, ils ne devaient pas moins admettre qu'un quatrième homme n'aurait été de trop si une bagarre éclatait. Mais rien de tout ça.

   Claude se mit face à Paul, et le regarda droit dans les yeux, d'un regard à figer n'importe quel individu. Ses yeux verts devinrent marbre.

-Tu viens chez moi au beau milieu de la nuit pour sous-entendre des choses insensées. Tu perturbes le sommeil de deux hommes respectables qui travaillent toute la journée de leur corps fatigué au seul moment où ils peuvent le reposer.

Paul ne baissa pas sa garde et renchérit.

-Je sais que Marie et toi êtes amis. Mais c'est ma femme.

Claude ne dit rien. Son regard devint menaçant.

-Tu entends. C'est ma femme !

L'ex-forçat pensa à retourner au bagne une seconde. Paul leva son doigt et le pointa sur le torse de son adversaire.

-Désormais, si vous vous voyez encore, j'utiliserais de mes fonctions pour que ça n'arrive plus. Tu m'entends ?

Avec un sourire ironique, il le finit :

-Pauvre bagnard, voilà où est vraiment ta place. Le bagne, puis l'Enfer ! Les trois éclatèrent de rire avant de s'enfuir dans la nuit.

Le Rougeon ferma la porte. Il se tourna vers l'ex-bagnard. Il ne disait rien. Une certaine fureur secouait partiellement son corps. L'aîné des deux posa une main sur son épaule. Claude reprit conscience et se tourna vers lui.

-Désolé pour ça. Retournez vous coucher.

-Claude, appela le Rougeon alors qu'il s'apprêtait à monter à l'étage.

Il se retourna.

-Je sais. Et je vous protégerais tout le temps que tu souhaites l'accueillir ici.

Claude hocha la tête en signe de reconnaissance. Il n'y avait jamais fait allusion.

-Bonne nuit à vous deux, Claude.


Dès que la porte du placard fut ouverte, l'amant prit l'épouse dans les bras, la serrant très fort. Claude venait de prendre une décision. Il fallait protéger Marie. Il fallait encore une fois renoncer au bonheur.

Alors Claude quitta Marie.

Il lui dit qu'on les avait découvert. Qu'elle ne devait pas risquer sa vie et sa réputation pour lui. Claude lui interdit de revenir. Il lui interdit de le voir car ils étaient désormais étrangers. Il lui apprit qu'on ne peut pas toujours être choisi par Dieu pour être heureux. Que lui est un oublié. Et que son bonheur à elle, est ailleurs.

   Marie quitta donc la ferme à l'aube. Elle se rendit chez ses parents à pied. La peine qu'elle ressentait était inimaginable et au-delà du supportable. Elle se traînait le long de la route, devant s'arrêter presque mètre par mètre pour reprendre ses esprits. Son ventre semblait peser des tonnes, comme un fardeau. Quelque part, Marie venait de mourir, mais devait faire semblant. Son âme était bien morte, son corps non. Elle vivait ce qu'un Homme puisse vivre de pire. Le reste de sa vie se passera à attendre que le corps rejoigne l'âme.


Lorsqu'elle arriva à l'auberge, elle hurla de douleur, et ses eaux tombèrent. Un médecin fut amené en urgence et aida à mettre au monde le fils de Marie. Elle espéra mourir en couches, mais ce ne fut pas son heure.

On chercha Paul, sans le trouver d'abord. Il débarqua quelques heures plus tard, lavé, et accueillit sa femme avec tendresse. Il passa le reste du jour avec Marie et le bébé à l'auberge. Marie se reposait dans une chambre, quand elle demanda à sa mère où était Claude.

-Je veux lui présenter mon fils, avoua-t-elle.

Sa mère lui promit alors d'aller le chercher et laissa sa place à Paul qui venait d'entrer dans la chambre. Dans sa main droite, il tenait quelque chose enveloppé dans un chiffon. Un peu de sang tachait le tissu.

-Ouvre ça.

L'ordre était froid et important.

Marie venait d'accoucher quelques heures plus tôt. Elle peina à découvrir le tissu à cause de l'épuisement.

-C'est ton premier cadeau de maternité.

Elle ne vit pas son sourire sadique. Avec horreur, elle découvrit ce que contenait le chiffon.

-Tu reconnais cette oreille ?

Effectivement, une oreille mal-formée, petite et repliée sur elle-même, fraîchement découpée, gisait sur les genoux de Marie. Elle voulut pousser un cri d'effroi, mais son époux fut plus rapide et plaqua une main sur sa bouche. Il se pencha sur elle, et avec un calme froid et jouissif, lui avoua :

-Son propriétaire vient de mourir.

Sous le choc, Marie perdit connaissance. Son père fut avertie par son mari attentif, qui vint la réveiller précipitamment. Il lui amena un bol de soupe, qu'il lui força à boire. Mais Marie pleurait.

-Non, non, pas Claude, répétait-elle silencieusement.

Quelques minutes plus tard, la porte d'entrée de l'auberge claqua violemment et la mère de la jeune épouse hurla qu'on venait d'assassiner Claude. Le Rougeon était avec elle, pâle de terreur et de tristesse. On les fit asseoir tous les deux, et on demanda aux hommes de loi de se précipiter pour aller examiner la scène.

La nuit passa. Bien qu'une chambre fut dressée pour le vieillard, il ne voulut pas rester seul et resta près du feu avec les chiens. Les aubergistes se couchèrent, sans pour autant fermer l’œil non plus. Le bébé et sa mère venaient de passer une nuit épouvantable. Il n'avait cessé de hurler.

À l'aube, Paul vint avertir que lui et ses hommes étaient allés inspecter la scène de crime, et qu'une morgue passerait pour prendre le corps. Marie sut très bien que non. Elle comprit que personne n'y fut de la nuit. On connaissait déjà les assassins.

  Une journée passa et la nuit vint de nouveau. Le fils avait pleuré toute la journée. Pour qu'elle se repose, Marie confia son bébé à sa mère. Rougeon finit par monter dans la chambre se reposer. La morgue passerait le lendemain. Paul était retourné seul sur la scène de crime admirer son œuvre une dernière fois. Puis, il rentra en ville, chez eux. Sa femme le rejoindra dès le jour suivant.

Marie attendit que la maisonnée tomba dans le sommeil pour descendre les marches. Peu vêtue, épuisée, elle trouva pourtant en elle une force suffisante pour la mener jusqu'à la ferme. Pantelante, pleurant, elle pénétra dans le pièce où gisait le corps de l'homme. Un trou avait pris la place de son oreille. Une plaie béante tranchait son cou et son abdomen.

Marie ne le toucha pas encore. Elle partit dans ce qui servait de cuisine, et revint avec un couteau dont se servent le boucher du village. D'un coup sec dont le bruit fut couvert par ses hurlements, elle s'entailla chacun des poignets à tour de rôle, et se glissa contre le corps de Claude.

Sa douleur physique ne fut rien à côté de celle de voir son amant mort. Au bout de quelques heures, Marie soupira pour de bon.

Le lendemain, la morgue emporta deux corps. L'enterrement coûtant trop cher, et la honte face à cette découverte, ils furent jeter ensemble dans la fosse commune. Paul emmena le fils avec lui. Les aubergistes se terrèrent dans un silence morbide, et le fermier chercha un nouvel ouvrier.

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