L’aimait-elle ? Très certainement. La journée de leur rencontre était splendide, Méline s’en souvenait comme si c’était la veille. Les oiseaux chantaient, le soleil billait, et eux, main dans la main, trottinaient à travers champs. Au château l’attendait beaucoup d’autres princes, venus de tous horizons. La richesse d’Azan de la contrée du sud était le plus riche, Yvan des Oliviers était le fils du plus grand roi de la région, Jules de Sasano était le plus grand poète de sang royal… Mais de tous, Louis de Cherbourg était le plus beau. Il était l’idéal masculin dans toute sa splendeur, avec ses cheveux couleur chocolat, ses prunelles émeraudes et sa mâchoire carrée. Partout où il passait, les femmes se retournaient et s’imaginaient bon nombre d’histoires à son sujet. Cependant, Louis était tombé amoureux de la Méline, la plus belle femme qu’il eut rencontré dans sa vie. Pourtant, Dieu sait comme il en a rencontré ! De toutes terres, de tous pays, de toutes langues. Aucune de valait la princesse de Belaine. Le coup de foudre réciproque était alors immédiat. Les villageois s’étaient tous accordés à dire qu’ils formaient le couple royal parfait.

C’était une romance bien trop brève. Moins d’une journée, vingt minuscules heures ! Le lendemain, le roi avait fait construire la tour, et elle fut enfermée durant sept ans dans l’oubli le plus total. A ce jour, yeux dans les yeux, Méline espérait que Louis se souvenait d’elle afin qu’elle puisse vivre heureuse longtemps à son bras. Pourtant, tout ce qui régnait à l’instant était le silence le plus total.

« Tu n’es donc pas la vraie princesse… finit par dire le prince, brisant le mutisme.

— Mais j’en suis une quand même ! Laissez-moi une chance. »

Face à l’implorante Méline, Louis céda.

Toujours derrière la porte, Amaury écoutait la conversation, les larmes aux yeux, mais il n’était plus seul. Couverte d’un voile cachant son visage, Célénia, qui trouvait le temps long, s’était approchée à son tour. La trahison faillit lui faire perdre pieds. A l’approche du couple, ils s’échappèrent chacun de leur côté, heurtés, meurtris, désespérés.

« J’ai attendu sept ans, souffla Méline, pétillante. Pourtant, pas un seul jour je n’ai cessé de penser à vous.

— Oh ! C’est agréablement flatteur. » répondit Louis soudain gêné.

Ils sortirent du château, et commencèrent à se balader dans les jardins. Méline, plus très à l’aise avec des chaussures, tenta de faire abstraction de la douleur.

« Est-ce que Célénia existe vraiment ? demanda le prince, après quelques minutes de marche.

— Oui, c’est elle qui m’a demandé de la remplacer à son mariage. Elle avait peur, sans doute.

— Alors, était-ce bien elle qui répondait à mes lettres ?

— Ce n’est pas très important ! soupira Méline. Nous sommes enfin réuni, après tant d’années ! »

Elle afficha un large sourire, et tira son bras jusque sous une arche fleurie. Le décor était splendide, digne des plus grands tableaux de la génération. Le printemps était une œuvre d’art dans cette cour, donnant une ambiance romantique et paisible.

« C’est la saison de l’amour, chatonna-t-elle, rêveuse. N’est-ce pas le plus beau jour de votre vie ? »

Il ne répondit pas.

« Enfin Louis ! Regardez donc le paysage, c’est sublime ! Vous avez l’air bien embêté pour quelqu’un qui vient de se marier avec son premier amour. »

Embarrassé, le prince dégagea doucement son bras auquel était accroché Méline et se plaça face à elle.

« Nous étions des enfants.

— Mais c’était réel ! s’exclama-t-elle, sentant le vent tourner en sa défaveur. Ecoutez, je sais que c’est un choc pour vous de savoir que je ne suis pas celle avec qui vous alliez vous marier. Seulement, la véritable Célénia est complexée par sa laideur. Votre famille va vous renier si vous rentrez avec elle ! Tandis que moi, j’ai encore la beauté, la grâce, et je vous aime !

— Que sais-tu de l’amour ? s’emporta Louis, énervé. Nous nous sommes connus moins d’une journée, et vous prétendez m’aimer ? Ce sentiment est pur, désintéressé, aveugle. Durant tout ce temps où vous étiez enfermé dans cette tour, j’ai rencontré une par une toutes les princesses du pays à la recherche du mariage idéal. Si elles étaient moins belle que toi, elles étaient toutes charmantes. Pas une seule de ces femmes n’a su faire battre mon cœur comme Célénia.

— Vous ne l’avez jamais vu !

— Mais au lieu d’être obnubilé par son apparence, j’ai appris à la connaître. Ainsi, je sais quelle est sa couleur préférée, son dessert préféré, sa fleur préférée. Je peux donc sans me tromper affirmer que je l’aime. Oui ! C’est elle que j’aime ! »

Les yeux humides, Méline s’écroula sur le banc de marbre adjacent. Comment pouvait-il préférer Célénia ? pensait-elle. Pourtant, sa décision semblait être prise, et il s’échappa des jardins, laissant la princesse seule, noyée dans ses larmes. Un nuage couvrit les rayons du soleil et la brise se leva, changeant l’atmosphère. Brisée, Méline repassa tous ses souvenirs en boucle. Louis avait été sa seule raison de vivre ! Il avait été celui auquel elle pensait chaque jour durant sept années consécutives, celui qui l’empêchait de sombrer dans la folie entre ces murs de pierre. Voilà qu’il l’abandonnait, elle, la magnifique Méline, à son sort.

L’aimait-elle ? Peut-être. Derrière les buissons fleuris, Amaury se montra. Il ne prononça aucun mot et resta planté face à elle, la mine triste. Méline releva la tête vers lui, et brisa le mutisme :

« Tu m’as espionné ? »

Elle renifla.

« Je savais qu’il finirait par te briser le cœur. » répondit-il, s’asseyant près d’elle.

Il lui tendit un mouchoir, avec lequel elle essuya ses larmes, puis se moucha bruyamment.

« Ce n’est pas beau à voir, n’est-ce pas ?

— Alors, tu ne t’appelles pas Mathilde. Tant mieux, cela dit. Je connaissais une femme qui avec ce nom, elle passait son temps à jeter des pommes sur les oiseaux. »

Méline lâcha un rire.

« Ma servante s’appelait ainsi. C’était une femme bienveillante et douce, qui veillait sur moi après que ma mère succomba à la maladie. Père faillit la faire enfermer avec moi, mais elle était tellement intelligente qu’il avait peur qu’elle trouve un moyen de s’échapper. Tandis que seule, je ne suis que belle et stupide.

— Tu es loin d’être bête, Méline ! s’exclama Amaury. Tu as su apprendre à cuisiner, tu as inventé des recettes inédites et tu as trouvé le plat favori de la princesse Célénia !

— J’ai aussi cru que le monde avait arrêté de vivre lorsque j’étais prisonnière.

— Tu sais, l’amour n’est pas quelque chose que l’on peut contrôler. Ça va, ça vient, mais ça n’est réel qu’avec le temps.

— Es-tu déjà tombé amoureux ? » demanda-t-elle.

Il esquissa un sourire.

« Une fois.

— Qu’est-ce que ça a donné ?

— Elle m’a brisé le cœur. »