2 - Ma mère et moi

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Maman, un mot si doux à prononcer et qui ne franchit plus la barrière de mes lèvres depuis longtemps.

J'ai aimé cette femme, je l'ai même idéalisée. De type nordique, blonde, mince, de taille moyenne, au teint clair, la peau lisse, le nez aquilin, les lèvres minces, les yeux bleu acier au regard vif et expressif qui pouvait tout aussi bien exprimer la sévérité, la colère, que la joie. C'était une belle femme qui suscitait la jalousie et j'étais fière qu'elle soit ma mère. J'aurai tant voulu lui ressembler ! J'étais tout le contraire, plutôt grande, corpulente et musclée, brune aux yeux verts emplis de tristesse et de peur, boutonneuse, les cheveux coupés à la garçonne par un père qui s'était inventé des talents de coiffeur. Comment se plaire et plaire quand l'image que vous renvoie le miroir est détestable ! Comment cette beauté qu'était ma mère pouvait-elle m'accepter et m'aimer avec toute cette mocheté ? Comment avait-elle pu engendrer un tel laideron ?

J'ai encore en souvenir cette femme, assise à une table, à tricoter tout en lisant un livre. Je l'admirai de pouvoir ainsi faire deux choses à la fois. Je la trouvai belle et pourtant je ne le lui ai jamais dit. Je la craignais, car elle se fâchait facilement. Elle était autoritaire, directive et ne supportait pas la contradiction.

Petite fille, j'étais une proie facile. Au moindre écart, je subissais ses colères souvent accompagnées de rudes corrections. Elle m'empoignait les cheveux, me giflait à la volée, pouvait se servir du pic feu ou me punissait sévèrement, me privant de promenade dominicale, ou d'une fête de famille, ou m'enfermant dans le grenier…Et comme cela ne suffisait pas, dès que son mari rentrait de sa journée de travail, elle s'empressait de l'en informer et l'incitait à m'administrer une seconde volée, ceci quelle que soit l'heure à laquelle il arrivait, même si c'était à une heure avancée de la soirée. Terrorisée, je ne dormais pas, me préparant à ce mauvais quart d'heure qui m'attendait. Pour les coups j'avais fini par m'habituer, je me recroquevillai sur moi-même, contractais tous mes muscles, me protégeais la tête entre les bras, et j'attendais que cela finisse. Mais lorsqu'il m'a passé les deux jambes aux orties, des pieds, aux sommets des fesses, à vingt-trois heures, j'ai hurlé de douleur et me suis mise à sautiller comme si j'avais la danse de Saint Guy. Je me suis grattée longtemps, cette nuit-là...et j'ai aussi beaucoup pleuré. C'est à la suite de cet évènement que je décidai d'en finir avec la vie en avalant une fine aiguille à coudre que j'avais minutieusement enveloppée dans un bout de tissu. Je ne sais pas comment j'ai fait pour l'avaler, mais je l'ai fait, et je n'ai jamais su ce qu'elle était advenue ; peut-être ressortira-t-elle avec mes oripeaux ! J'avais alors une dizaine d'années. Quant à ma mère, elle ne le saura jamais.

Un jour, j'avais alors une douzaine d'années, en rentrant de l'école elle m'envoya faire des courses à l'épicerie du coin. Pour m'y rendre, je devais traverser une route nationale. Distraite j'ai traversé cet axe sans regarder ni à gauche, ni à droite, et j'ai été renversée par une voiture. Le choc a été violent, occasionnant de sérieuses contusions, me cassant deux dents en façade, me plongeant dans le cirage. Malgré mes supplications, c'est une voisine qui m'a ramenée à la maison. Une fois que nous nous sommes retrouvées seules, et avant même qu'elle ne s'inquiète de mon état, je reçus une magistrale correction dont je me souviens encore. A quelques temps de là, après avoir pris d'autres coups sur la tête, je fus hospitalisée pour être opérer d'un énorme hématome qui avait émergé sur mon crâne. Je ne devais bien sûr ne rien dire de tous les coups administrés, et répondre, aux questions qui me seraient posées, que je m'étais cognée sur un coin de table en me relevant. Ce que j'ai scrupuleusement respecté car il ne me serait pas venu à l'idée de transgresser les consignes reçues !

Plus elle était dure avec moi, plus je faisais de bêtises pour me venger et l'embêter, et bien sûr plus je m'exposais aux sévices, aux humiliations et aux privations de sortie, en famille avec mes amies ou encore de sortie scolaire. J'ai vécu des heures difficiles, balancée entre la colère, la peur et la tristesse. Je voudrai pouvoir écrire les bons moments où je fus vraiment heureuse, mais il ne m'en vient pas à l'esprit, je crois tout simplement que je n'en ai pas eu.

Elle se plaisait à m'humilier, du style à me faire mettre à genoux, les fesses à l'air, le nez contre le mur de la cuisine, les bras en croix, à me laisser ainsi pendant un temps qui me semblait être une éternité. Bien souvent je fus enfermée dans le grenier ou bien consignée le dimanche, dans la cour, assise sur le dos d'une caisse à pommes, à apprendre mes leçons, tout en empêchant Black, le berger allemand attaché à une chaîne, de japper à chaque fois qu'une personne passait dans la rue. Pendant ce temps, avec son mari et mon demi frère, elle partait faire leur promenade dominicale en voiture.

Un soir, alors que je m'attardais dans la salle de bains, elle m'obligea à sortir nue et à me présenter devant eux deux pour une inspection sanitaire. Une autre fois encore, elle m'extirpa rudement de la salle de bains, pour m'enfermer nue comme un vers sur le balcon, tout cela parce que je m'étais trop attardée devant le lavabo. Je me suis tapie au sol pour ne pas être vue, car une voisine qui était elle-même sur son balcon regardait avec insistance dans ma direction, médusée par la scène à laquelle elle venait d'assister.

Nous habitions dans la maison familiale paternelle, à l'étage, un appartement tout en longueur, qui n'avait que deux chambres. J'en partageai une avec mon frère jusqu'à l'âge de mes 15 ans. Un jour, il lui en prit de m'installer dans la salle à manger. Mise devant le fait accompli, je me suis trouvée reléguée dans un coin de la pièce, avec pour seuls meubles un cosy et un lit au matelas trop large ; si je ne faisais pas attention la nuit en me retournant, je me retrouvai au sol. Combien de fois, ai-je dû me relever et refaire mon couchage ! Mon dressing demeurait dans la chambre de mon frère, et pour ne pas le réveiller le matin, je devais, la veille au soir, extraire les vêtements que je voulais porter. Bien souvent, je suis partie au lycée, sans parapluie, sans veste, sans pull, tout simplement parce que je n'avais pas prévu le mauvais temps ! Pour me rendre au bahut je devais prendre le train très tôt le matin et parcourir plus d'un kilomètre à pied. Bien souvent mes copines durent me prêter, pull, veste, parapluie pour me dépanner.

Et pourtant cette femme, ma mère, je l'aimais. Souvent, je l'ai vu pleurer en silence sans ne jamais rien avouer de ses peines. En plusieurs fois, elle m'a susurré qu'elle n'aurait jamais dû se marier, qu'il eut été préférable que nous restions toutes les deux. Mais elle ne m'en dira jamais plus. Depuis ce jour, je compris que son mariage était un fiasco. Malgré tout, dépendante financièrement de son mari, elle ne se libèrera jamais.

Les trois années de ma vie de lycéenne furent mes meilleures années. Lorsque les vacances scolaires arrivaient je partais travailler chez mes grands-parents maternels qui tenaient un hôtel en station. Je ne m'en plaignais pas, bien au contraire. J'avais une douzaine d'années, je devais travailler certes mais j'étais heureuse avec eux, ils me traitaient bien. J'avais ma chambre rien que pour moi et en dehors de mes heures de travail, je pouvais profiter de mon temps libre, faire du sport, ou faire du lèche vitrine avec ma marraine, la sœur cadette de ma mère. Outre la natation que je pouvais pratiquer à mes heures de liberté, j'appris à jouer au tennis, me payant raquette, balles et tenue avec les pourboires que je me faisais avec la restauration. J'aimais pratiquer du sport, mais je ne pouvais en faire que si je pouvais payer mes cartes d'abonnement et pour cela je n'avais pas toujours les finances requises.

Pour moi, il n'y avait de l'argent que pour le strict nécessaire, la nourriture et le vestimentaire. Comme j'ai toujours vu ma mère compter ses sous, il ne me venait pas à l'idée de réclamer, j'étais même inquiète de comprendre que les fins de mois étaient difficiles. Je découvrirai plus tard qu'il n'en était rien !

Le travail de la restauration sera le premier métier que j'appris.

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