La fin d'une époque... 

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Le Monde est en train de se déshumaniser, de se rationaliser, au point d'inquiéter réellement nos deux mamies.

Violette, désappointée

— Ah ! Ma pauvre Germaine, les temps ont bien changé...

Germaine, étonnée

— Mais enfin Violette, il y a longtemps que le changement est en marche !

Violette, perdue

— Oui, tu as peut-être raison, mais tout va trop vite et cela m'effraie.

Germaine

— Mais de quoi parles-tu ? je ne t'ai jamais vue aussi désemparée.

Violette

— Dernièrement je suis allée chez Mac Donald avec ma petite fille, histoire de lui faire plaisir. Et bien figure toi, qu'il n'y a plus de personnel ! Je pensais pouvoir passer ma commande à un serveur, et discuter avec lui de la cuisson de mon steak et des petits changements à opérer sur mon menu, comme ôter leur salade toute cuite de mon sandwich... disparu ! Ils l'ont remplacé par une machine informe sur laquelle on presse des boutons. Aucune humanité dans son regard. En plus, elle est d'une bêtise à pleurer... Pas moyen d'avoir un échange ni de lui faire entendre raison. Tu te rends compte qu'elle ne comprend que oui ou non !

Germaine, compatissante

— Je comprends ton désarroi, même si pour ma part, je n'y ai jamais mis les pieds. P'tit Louis m'a toujours dit de me méfier de ce genre de nourriture. Il paraît qu'elle est désastreuse pour nos artères !

Violette, du bout des lèvres

— Crois-tu pouvoir parvenir un jour à penser par toi-même, sans évoquer continuellement le nom de ton cher fils à chaque phrase ? C'est énervant à force !

Germaine, vexée

— Mais parfaitement !

Violette, enchaînant

— Et ce n'est pas tout. Hier je vais pour appeler ma poste, pas moyen de les joindre !

Germaine, étonnée

— Comment cela ?

Violette, véhémente

— Ils n'ont plus de téléphone !

Germaine

— Pourquoi ? On leur a coupé la ligne ? Ils n'ont pas payé ?

Violette, haussant les épaules

— Ce que tu peux être gourde parfois !

Germaine

— Ben, alors ? Ils ne veulent plus qu'on puisse les joindre ?

Violette

— J'en ai bien l'impression. Mais tu me connais, je ne lâche pas facilement. J'ai finalement trouvé un autre numéro à composer.

Germaine, intriguée

— Et alors ?

Violette, à voix basse

— Je ne sais pas sur quel continent j'ai atterri, mais ils ne me comprenaient pas.

Germaine

— Tu avais oublié de mettre ton dentier ?

Violette, contrariée

— Évidemment que non, qu'est-ce que tu crois ? J'ai un minimum d'éducation !

Germaine, embêtée

— Excuse-moi, j'essayais juste de comprendre...

Violette, tout bas, énervée

— Je te dis que ces gens-là ne comprenaient pas notre langue !

Germaine, affolée

— Non, pas possible ! Comme chez AF, alors ? Un jour j'ai essayé de joindre leur service commercial, mais le numéro que j'avais depuis des lustres ne marchait plus, ils l'avaient tout bonnement remplacé sans m'en informer. Lorsque j'ai composé le nouveau, je suis bien tombée sur un être humain, mais je n'ai pas compris un traitre mot de ce que la personne me disait, et vice versa d'ailleurs. Je devais être en Asie, son accent ressemblait à celui que l'on entend dans les films. Au final, j'ai préféré raccrocher plutôt que de me rendre ridicule.

Violette, contrariée

— Ne me parle plus jamais d'Air France ! Bientôt, il ne restera plus que les pilotes dans cette compagnie, jusqu'à ce qu'ils finissent par les remplacer, eux aussi, par des machines !

Germaine, effrayée

— Mon Dieu ! Mais c'est terrifiant ! Dans quel monde vivons-nous...

Violette

— Dans cette nouvelle société qui se profile à l'horizon, nous sommes déjà obligés de tout faire par nous-mêmes ! Il y a longtemps qu'AF ne prend plus ses clients au téléphone pour les réservations, tout se fait en ligne, sur internet. Mais c'est d'un compliqué ! Il faut au moins sortir de Polytechnique pour comprendre.

Germaine, d'un air chagriné

— Ben alors, je n'ai plus aucune chance de prendre l'avion...

Violette, ironique

— Tu oublies P'tit Louis ! Il s'en occupera pour toi. En même temps, il est capable de ne pas te commander de repas et de te faire voyager dans la bétaillère, sur un strapontin, pour que le prix du billet soit le moins cher possible !

Germaine, outrée

— Comment oses-tu parler de mon fils en ces termes ! Jamais, il n'oserait me faire sauter un repas !

Violette

— Je plaisantais, calme-toi. Ensuite, ils s'en sont pris aux cartes d'embarquement, à éditer soi-même et maintenant tu dois aussi peser ton bagage ! Dernièrement, pour un kilo supplémentaire, la machine me réclamait cent euros ! Pas moyen, là non plus, de discuter avec ce tas de ferraille. Si je n'avais pas payé, je n'aurais eu aucune chance d'embarquer. Par contre mon amie qui avait un kilo de moins, n'a pas pu me les donner et le prix de son billet n'a pas baissé pour autant !

Germaine, fière d'avoir trouvé la solution

— Vous auriez pu faire le transfert de ce kilo directement à l'aéroport, en ouvrant vos bagages.

Violette, choquée

— Mais enfin, tu plaisantes ! Tu penses vraiment que j'ai l'âge d'ouvrir ma valise devant tout le monde ? Tu n'as donc aucune décence ! Vraiment, tu me déçois.

Germaine, embêtée

— C'était juste une idée, comme ça...

Violette, sarcastique

— Bientôt, tu vas voir qu'ils iront jusqu'à nous demander de les piloter pour pas un clou, leurs fichus zingues ! C'est inadmissible, honteux ! Si je n'avais pas mon fils pour s'occuper de tout, je ne voyagerais plus !

Germaine, affligée et en colère

— Mais pourquoi, c'est partout pareil ! Les grandes enseignes n'ont plus de ligne directe et il faut continuellement passer par Pétaouchnok, après avoir composé tous les chiffres de son clavier, pour pouvoir parler à un être humain, qu'on ne comprend pas toujours ! En plus si tu te trompes, il faut tout recommencer depuis le début, sans être jamais parvenue à entendre le son d'une vraie voix. Ça peut durer des heures ! Moi, je t'avoue, j'en perds mon latin.

Violette, cynique

— Ça n'est pas trop difficile, tu n'en as jamais fait !

Germaine, ignorant la remarque

— Même chez mon médecin il nous oblige à prendre rendez-vous via un site internet, bientôt il n'aura plus de secrétaire ! Ma banque elle aussi a changé. Pendant longtemps j'ai eu le même conseiller, puis un jour, il a disparu sans crier gare, comme passé à la trappe. Un autre a refait surface, plus jeune, plus autoritaire et surtout moins conciliant. Mais il faut croire qu'ils devaient avoir peur qu'il s'humanise, car à peine trois ans après, lui aussi a disparu, dans les mêmes circonstances, sans faire de bruit, sans rien dire. C'est à croire qu'ils se font enlever dans cette banque ! Et le pire c'est qu'ils en trouvent toujours un nouveau pour remplacer l'ancien, comme s'ils en avaient en réserve. C'est frustrant et décourageant. À chaque fois il faut à nouveau tout expliquer, tisser de nouveaux liens.... C'est trop fatiguant à mon âge, je n'arrive plus à suivre. Je suis sûre que la direction sait quelque chose... Je pose des questions pour savoir ce qu'ils sont devenus et embarrassé on me répond à chaque fois qu'ils sont dans une autre agence. On dirait qu'ils cherchent à noyer le poisson. En plus, je n'ai jamais revu aucun d'eux. Tu crois que je devrais alerter la police ?

Violette, stupéfaite

— Surtout pas, malheureuse ! Ta banque sait très bien ce qu'elle fait et en toute légalité d'ailleurs. Il n'y a pas si longtemps, j'entendais partout : « le client est roi » et bien je crois que l'on est en train de vivre une révolution et que pour beaucoup aujourd'hui, le client n'est bon qu'à payer sans demander son reste. Et que tous ces « aménagements » que l'on a évoqués ne sont qu'une façon de réduire le personnel au maximum, de payer moins de charges et d'augmenter les profits, comme toujours... Sans aucune répercussion sur les prix, évidemment. Mais ils ne l'avoueront jamais !

Germaine, inquiète

— Oui, tu as sûrement raison. Mais à force de mégoter sur tout pour rester compétitifs, je me demande où tout cela va finir et dans quelles conditions vont vivre et voyager les prochaines générations. Déjà que les gens échangent de moins en moins, ce n'est pas en mettant des machines à leur place que les choses vont s'arranger ! Et tu verras que, bientôt, pour avoir un siège digne de ce nom dans un avion, il nous faudra aussi payer un supplément !

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