Chapitre 1

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Lorsque je me réveillai le lendemain, il faisait jour depuis assez longtemps. J’avais les membres courbaturés d’avoir marché autant la veille. Je me levai tout doucement et examinai Cléa et Corentin, encore endormis.

Sans que je ne sache pourquoi, une vive colère me prit. Pourquoi est-ce qu’ils m’avaient entraîné là-dedans ? Je faillis les réveiller de force, mais Corentin ouvrit les yeux et bailla. Il me regarda d’un air inquiet :

  • Qu’est-ce qu’il y a ?
  • Je vais vous dire ce qui ne va pas ! grondai-je. Je vous ai sauvé la vie ! Deux fois ! Alors que j’aurai pu très bien m’en passer et continuer mon chemin ! Au lieu de ça, j’ai été forcé de vous aider, et on a perdu beaucoup de temps !
  • Du temps pour quoi ? demanda Cléa, que j’avais réveillé.
  • Je dois aller rejoindre ma famille, à Dubbo ! Je ne sais pas combien de temps ils vont tenir, alors j’aimerai que l’on accélère !
  • Calme-toi, fit Corentin. Cléa aussi a peut-être de la famille vivante, et elle est aussi inquiète que toi.
  • Vous ne comprenez pas ! J’ai un beau-père, et il est tout ce qu’il y a de pire au monde ! Je ne sais même pas pourquoi il est là ! Il est capable de laisser mourir de faim ma soeur et ma mère pendant que lui se goinfre de nourriture !
  • C’est pas la joie tous les jours, fit Cléa en retenant un bâillement.

Son attitude me fit enrager. Je criai :

  • C’est pour ça que je dois les rejoindre au plus vite ! Parce qu’en plus, eux, ils ont un autre problème à régler. Donc la prochaine fois que vous êtes dans une mauvaise situation, je ne viendrai pas vous chercher, compris ?
  • Écoute, fit Corentin en se levant. C’est très gentil à toi de nous avoir sauvé. Mais je ne crois pas que tu pourrais rester une journée tout seul. La solitude te pèse, pas vrai ?
  • Comment ? Comment sais-tu ça ?
  • Ça se voit, dit Cléa. Tu ne t’en rends peut-être pas compte, mais tu marmonnes tout seul lorsque tu marches. Tu as même commencé à développer une double personnalité.
  • Notre présence te fait du bien, enchaîna Corentin.
  • Vous m’exaspérez, grognai-je. Quoiqu’il en soit, on a perdu assez de temps comme ça. Il faut qu’on se lève et qu’on...
  • Je n’ai pas fini ! dit Corentin. Maintenant que tu a commencé , il faut que tu nous racontes ta vie.
  • Hors de question. Comme je l’ai dit hier, je ne vous fais pas encore assez confiance pour ça. Vous pouvez me trahir à tout moment.
  • Tu nous as sauvé la vie ! protesta Cléa.
  • L’être humain change souvent ses priorités lorsque sa vie est en jeu, dis-je. Et il rompt par la même occasion toutes ses promesses.
  • Je ne suis pas d’accord ! L’être humain s’entraide ! dit Cléa.
  • Tu parles ! Tu ne sais pas tout ce que j’ai vu. J’ai fait sans doute plus de chemin que vous. J’ai vu toute la cruauté humaine. Mais assez perdu de temps. Il faut que l’on s’organise pour la semaine à venir. De nombreuses choses vont changer à partir de cette semaine.
  • Pour moi, rien ne change, ironisa Corentin. On va toujours risquer notre vie à chaque minute de notre traversée du pays.
  • Sauf que ça va être plus dangereux maintenant, le détrompai-je. Cinq jours ont passés. Les dernières réserves de nourriture se sont sans doute épuisées. Et ceux qui ont encore de quoi se nourrir vont garder précieusement ce qu’il leur reste.
  • Donc, tout le monde va mourir de faim, conclut Cléa.
  • Ils leur restent deux solutions : soit s’entretuer et se dévorer dans les villes…
  • Devenir cannibale, résuma Corentin.
  • Soit sortir dans le désert à la recherche d’autres lieux potentiellement rempli de nourriture. Ce qui veut dire qu’on va avoir plus de chances de tomber sur des Affamés dans le désert.
  • Et pour ceux qui restent dans les villes ? On fait comment ?
  • On n’ira plus dans les villes. C’est trop dangereux. On essayera de se réapprovisionner dans les petits villages.
  • Très bien, dit Corentin. Autre chose ?
  • Il faut donc redéfinir notre parcours pour éviter les grandes villes, dis-je.

Je sortis la carte de mon grand-père de mon sac à dos et l’étalai par terre. Les deux autres examinèrent le parcours que j’avais déjà tracé. Je demandai :

  • Où est ta maison, Cléa ?

Elle indiqua un point sur la carte, à environ un ou deux jours de marche de Dubbo.

  • D’accord, dis-je. C’est parfait. Bon, à présent, essayons de trouver où nous sommes en ce moment, pour voir notre trajet. La ville, je l’ai repéré en entrant, s’appelait Pilliga. Il faut qu’on aille...
  • Mais ça va rallonger notre trajet, de ne pas passer par les villes ! protesta Corentin, m’interrompant brusquement. Je soutiens que l’on doit continuer de traverser les villes !
  • Tu veux te faire capturer et te faire bouffer ? suggérai-je. J’ai dit que je ne viendrai plus vous aider.
  • Ce n’est pas parce que la dernière ville que nous avons traversé était habité par une secte que toutes les villes sont pareilles ! relativisa Corentin.
  • Pas toutes habitées par une secte, d’accord, mais par des malades mentaux ou des Affamés !
  • Tu disais qu’on avait plus de chances de croiser des Affamés dans le désert que dans une ville ! contra Corentin.
  • Il n’y aura pas que des Affamés. De toute façon, il n’y a pas à discuter. Libre à vous de traverser les villes, mais moi je préfère faire le détour que de me faire bouffer.
  • Je suis d’accord avec Matt, lâcha Cléa, qui n’avait pas donné son avis jusque là.
  • Ça t’a traumatisé, pas vrai ? demandai-je. Ça ne m’étonne pas.
  • Puisque vous êtes contre moi, je m’incline, dit Corentin. Mais tu as dit qu’il fallait passer dans des petites villes. Lesquelles ?
  • A mon avis, ça sera pareil que dans les grandes villes, dit Cléa.
  • Je préférerai que l’on ne passe dans aucune ville, qu’elle soit petite ou grande. Mais on peut tenir huit jours avec la nourriture que l’on a, et il nous reste environ 12 jours de marche.
  • Il n’y aura plus du tout de nourriture d’ici là ! dit Corentin.
  • J’ai une solution, dis-je. Dans huit jours, on arrivera dans la partie plus boisée de notre parcours. On pourra chasser.
  • Chasser ? dit Cléa avec une grimace de dégoût. Tu rigoles j’espère ?
  • Il faut faire face à la réalité, dis-je durement. Lorsqu’il n’y aura plus de nourriture en boîte de conserve, comment crois-tu que nous vivrons ? En chassant. Il n’y a pas d’autre solutions.
  • On pourrait devenir végétarien et manger les plantes, proposa Corentin. Ou alors faire un potager, ajouta-t-il devant nos sourcils froncés.
  • Ce serait préférable en effet. Autre chose. J’ai une bonne et une mauvaise nouvelle. La bonne, c’est que il fera moins chaud dans la partie du désert que nous allons traverser. Nous n’aurons donc pas à faire de grande pause le midi.
  • Et la mauvaise ?
  • Puisqu’il va y avoir plus d’Affamés dans la désert, il va falloir faire des tours de garde, la nuit ou pendant qu’on mange.
  • Quoi ?
  • Chacun d’entre nous devra surveiller notre campement la nuit, poursuivis-je implacablement. Je sais que ça nous fera moins d’heure de marche, mais on n’a pas le choix. On fera même des petites siestes si vous voulez, le midi.
  • Mais on va être crevé ! protesta Corentin.
  • C’est ça ou on risque de se faire tuer et bouffer dans la nuit par des Affamés. Je préfère être sur mes gardes. Voilà, je pense que j’ai tout dit. Je n’ai rien à rajouter.
  • Journées pleines de réjouissances en perspective, grommela Corentin en se relevant.
  • Tu vas pouvoir rectifier notre trajectoire ? demanda Cléa.
  • Il faut que je repère la portion de ville par laquelle nous sommes arrivés, et ça devrait aller.

Nous montâmes au sommet d’une dune, puis grâce aux jumelles de Corentin, nous repartîmes pour une énième journée de marche.

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