Chapitre Huit

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                                                                  La journée de Tseyang.

 

 

 

Tseyang suivit lama Khampo, Chimé et Jakli jusqu’à la ferme. Ils ne parlèrent quasiment pas. Ils ne s’arrêtèrent pas une fois arrivé devant la demeure des deux maîtres, mais continuèrent dix bonnes minutes sur le chemin. Entendant un cri dans le ciel, Tseyang balaya d’un regard, l’immensité de l’azur. Un aigle royal planait et glatissait au-dessus d’eux. Elle n’était pas Steven et ne connaissait rien aux oiseaux. Souffrait-il ? Appelait-il sa compagne ? Où prévenait-il sa proie que l’heure de la chasse était ouverte. Elle contempla cet animal magnifique, sans regarder devant elle, jusqu’à ce qu’elle se cogne dans Jakli, arrêtée au milieu du chemin. Elle revint immédiatement à la réalité et s’excusa de sa maladresse. Jakli se contenta de rire et leva la tête elle aussi.

—   Il est magnifique, n’est-ce pas ? – Ici nous le nommons tous, Gyalpo. Sa femelle se nomme Gyalmo. Nous la voyons moins souvent. Le mâle chasse et nourrit sa famille. La femelle reste près du nid, ensuite elle apprend à ses petits à chasser et se débrouiller seuls. Il y a cinq aigles dans la région, mais nous avons adopté ces deux-là. Ils sont un peu les enfants de N?land?. Ils ne quittent pas notre territoire. – Tseyang lui sourit.

—   Il est magnifique, je l’ai déjà vu hier. J’espère qu’il ne lui arrivera rien.

—   Tout est impermanence petite sœur. La mort rôde à chaque instant. Tu ne peux jamais être sûre de toi, par contre, tu peux pratiquer encore et encore, alors les Buddhas te protégeront, un jour tu seras toi aussi un grand Bodhisattva tout comme eux.

—   Merci, mère, je souhaite que ce jour arrive bientôt. – Lui dit Tseyang.

—   Pourquoi ? Tu souhaites un plan de carrière. Tu as un agenda ? – Questionna Jakli, presque sévère.

—   Non, bien sûr. Je me sens impuissante. Je comprends l’amour et la compassion et je meurs d’envie, de devenir un être capable de sauver les êtres par milliers. – Annonça Tseyang.

—   Oui, c’est vrai, la compassion est en toi. Rappelle-toi que, cette compassion n’a aucune valeur, si elle est produite dans l’attente de quelque chose en retour. Devenir un Buddha par exemple. Elle doit être gratuite, naturelle et désintéressée, être simplement dans ta nature. Maintenant, dépêche-toi et suis-moi.

Les deux femmes accélèrent leurs pas, rejoignant les deux autres lamas. Ils se tenaient devant la porte d’une grande pièce, plantée là au milieu des champs. Ils y pénétrèrent tous et se retrouvèrent dans une grande salle. Des Tangkhas des plus grands Buddhas et Boddhisattvas entouraient la salle, présents sur chacun des murs. Lama Khampo indiqua un banc de méditation. Tseyang alla s’asseoir sans discuter. Alors, lama Khampo lui enseigna toute la pratique de Tounmo. Tseyang écouta sans parler. Elle connaissait Tounmo et la manière de pratiquer, mais à chaque fois elle avait échoué. Chimé s’agenouilla devant elle avant de parler :

—   Tu m’as avoué hier que tu n’avais aucun petit ami. Est-ce la vérité ? – Elle hésita, et parla.

—   C’était vrai hier. Ça ne l’est plus. Steven et moi sommes amants ; nous nous aimons. – Avoua-t-elle.

—   Parfait… Est-ce un amour véritable, ou juste un désir ? Un amour, ou du sexe ? – Insista-t-elle. Elle fut presque choquée.

—   Non maître, je l’aime et je suis persuadée que c’est totalement réciproque…

—   Mourrais-tu pour lui, même en sachant qu’il t’a trahi ? – Ajouta-t-elle. Cette question la troubla, elle n’y avait jamais pensé.

—   L’amour n’est pas synonyme de réciprocité. Oui, je mourrais pour lui, même si de son côté, il me prenait pour son passe-temps, ou sa bonne. Je l’aime, rien ne pourra le changer. Il m’aime aussi, je le sais, je le sens…

—   Parfait, c’est simplement parfait. Notre enseignement sera un peu différent de ce que nous avions prévu. Je vais t’enseigner une nouvelle manière d’atteindre la béatitude. Quelle méthode emploies-tu actuellement ? Celle des D?kas ? – Interrogea-t-elle.

—   Non maître. J’utilise les moments de bonheur de ma vie et je les transforme en Béatitude.

—   D’accord, alors tu vas opérer différemment aujourd’hui. Tu vas prendre les moments de joies pures que t’ont apporté ta vie, mais tu vas les associer, au moment de joie que t-on apporter ta nuit d’amour avec Steven. Tu vas l’imaginer comme un dieu, un dieu de l’amour, tu vas ressentir chaque instant de plaisir passé dans ses bras, mais tu ne vas pas te laisser aller. Le plaisir physique est une illusion, un simple poison. Tu vas transcender tout cela et penser à cet amour comme à une lumière te guidant vers la vacuité. Alors tu entreras en Samâdhi. Ensuite, tu plongeras plus en avant dans cette joie pure. Tu atteindras la béatitude. Ne t’inquiète pas, ne soit pas impatiente, laisse toi aller. Nous restons près de toi avec Dorje Sempa. Prends le temps de réfléchir à ce que je viens de dire. Puis médite et tente d’atteindre ces différentes étapes… – Expliqua-t-elle en prenant tout son temps, de manière à ce que Tseyang ne perde rien.

Elle se prosterna devant Jakli, Chimé, Khampo puis les Buddhas qui ornaient la pièce. Enfin elle s’installa sur son siège de méditation et laissa son esprit rejoindre le Buddha.

Elle entra dans l’esprit calme de Shiné et visualisa la lettre « A » de Tounmo. La langue de chaleur vivante pénétra en elle. Elle la sentit remuante, dans son corps et son esprit. Alors, elle rassembla tous ses moments de joies pures. Et aussitôt, l’image, l’esprit de Steven s’imposa à elle. Elle s’imagina, faisant l’amour avec lui, la joie la sublima en même temps que le souvenir de ses trois orgasmes. Ce n’était plus un plaisir physique, mais totalement spirituel. Une douce chaleur qui l’enveloppait, associée à une lumière claire et brillante qui envahissait son esprit. Elle se fondit en elle et en Tounmo. Alors la béatitude l’envahit, une joie sans fin exempte de tout attachement, un amour ouvert sur tous les êtres. Elle plongea dans un puits de lumière qui n’était que bonheur et émerveillement. Bientôt, elle atteignit le stade de Samâdhi le plus profond. Son esprit n’était plus que vacuité. Steven le Buddha et elle sa sœur. Elle resta ainsi pendant quelques minutes, lui sembla-t-il, lorsqu’elle ouvrit les yeux.

Il faisait nuit, ils étaient tous dans le noir complet. Jakli et les deux lamas méditaient face à elle. Combien de temps s’était-il passé ? Elle n’en avait aucune idée, mais, visiblement, ça avait été très long. Ils avaient commencé ce matin vers neuf heures, il était au moins vingt-trois heures. Elle tenta de se lever, mais ses jambes ne la portaient plus. Elle se rassit, sans faire de bruit.

—   Ah ? Tu es revenue. – Lui dit lama Khampo. – Ne bouge pas, nous allons t’aider. Tu as atteint l’état le plus profond de Samâdhi, ce n’est pas rien. De plus, tu as accompli cet exploit en une seule fois. Tu risques d’être un peu perturbée. Tu deviendras un grand maître Tseyang, tu siégeras bientôt près de nos sept Buddhas.

Elle ne répondit pas et attendit que Khampo et Jakli se lèvent et viennent vers elle. Chacun la prit sous un bras, et ils l’aidèrent à se lever. Elle tituba un peu, puis ils la libérèrent en la surveillant. Elle fit un pas, puis deux, et se mit à rire.

—   Ferme les yeux ! – Lui ordonna Jakli avant de tourner l’interrupteur de la lumière. Tseyang ne vit qu’un flash immense, puis ses yeux s’habituèrent.

Khampo, Chimé et Dorje Sempa l’observaient tous les trois. Elle n’aurait pu dire si c’était une bonne ou mauvaise chose, jusqu’à ce que lama Khampo ne s’adresse à elle.

—   Tu as aujourd’hui réalisé totalement Tounmo, le premier des six yogas. Tu devras encore passer le test du grand froid pour prouver ta pratique, mais je n’ai aucun doute, tu réussiras. Plus important, tu as réalisé le troisième stade de Samâdhi. C’est la méditation la plus profonde, celle qui mène à l’éveil. Ici, c’est le critère qui transforme un élève en un véritable lama, un frère capable d’enseigner à nos côtés. Bienvenue à N?land? lama Tseyang. – Elle resta bouche bée plusieurs minutes, le temps de réaliser ce que son premier maître à N?land? venait de lui annoncer.

—   C’est impossible Maître, vous faites erreur, je ne suis rien, ou alors j’ai eu de la chance…

—   La chance n’existe pas. Il y a des causes et des effets. Rien d’autre. Tu as deux choix : le premier serait ton ordination et l’acceptation de ce que tu es. Ne t’inquiète pas, tu as encore beaucoup à apprendre. Il te reste encore cinq des yogas de N?ropa que tu dois maîtriser, sans compter une dizaine d’autres yogas, que tu devras étudier et pratiquer avant d’être capable d’enseigner réellement. Le second choix serait de refuser ce que tu es. Alors, tu choisirais une voie fausse. Par conséquent, tu n’aurais plus rien à faire dans ce lieu. Chacun doit accepter ses échecs et ses victoires. Celui qui refuse l’un ou l’autre n’a plus aucune raison de continuer… – Elle avala sa salive et regarda les trois maîtres.

—   Je ferai ce qui doit être fait. Je suis venu pour ça. J’imaginais simplement qu’il me faudrait dix ans avant d’y arriver.

—   C’est généralement encore plus long. Un de mes jeunes apprentis, pourtant un maître exceptionnel, a eu besoin de quatorze ans pour atteindre Samâdhi. Néanmoins, reste humble, tu n’es rien, tu n’es arrivée à rien. Tu pourras seulement embrasser et comprendre la vacuité qui est tout.

—   C’est le but de ma vie Rimpotché.

Alors seulement, Jakli et Khampo lui conseillèrent de rentrer chez elle avant que Steven ou Paul ne s’inquiètent. Elle n’était pas attendue à l’office du lendemain matin. Elle se rendrait directement avec Steven chez Lhamo à dix heures. Elle salua ses maîtres, puis rentra chez elle sans se retourner.

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