IX - Bonjour Longvent

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  Le départ initialement prévu à l'aube fut fortement retardé. Tout le monde avait un peu trop fait la fête et de nombreux réveils furent douloureux. Le cortège ne reprit la route que dans l'après midi, après un repas frugal.

  Pendant le trajet, Vanessa discuta littérature avec Simon, tandis que Richard continuait de rattraper sa nuit. Les deux jeunes gens se découvrirent des goûts en commun et échangèrent jusqu'à ce que Philippe attire l'attention de sa bru sur le paysage. Le jour tirait sur la fin et ils venaient d'arriver sur les terres de Longvent. Une chance que le soleil ne soit pas encore couché. Les couleurs étaient magnifiques.

  Le comte prit plaisir à lui parler de l'histoire de leur famille et de leurs terres tandis que le cortège traversait les bois baignés de lumière crépusculaire. Henri n'avait pas ouvert la bouche de la journée et comptait bien poursuivre ainsi. Vanessa écouta les récits de Philippe et posa quelques questions précises basées sur ce qu'elle avait pu apprendre dans ses livres. Cela piqua la curiosité de Simon qui se mêla de nouveau à la conversation.

 « Vous avez lu les mémoires de Francis Damer ? J'ignorais que cet ouvrage avait fait parlé de lui en dehors du duché. C'est un voyageur peu connu. »

  Vanessa opina du chef et reprit sa discussion passionnée avec le benjamin.

  Enfermé dans son silence, Henri découvrit une jeune femme instruite et curieuse, passionnée par la poésie, les voyages et les mécanismes en tous genres. Richard parvint à la faire rire et Henri sourit en constatant qu'elle pouvait être spontanément joyeuse. Il serait agréable de vivre à ses côtés s'il parvenait à se faire pardonner. Cette pensée assombrit son visage et il se réfugia dans le défilement du paysage. Qu'aurait-il à lui apporter si elle refusait d'entretenir la moindre relation avec lui ?

  La demeure des Boisnoir apparut soudainement entre les arbres familiers. La silhouette du manoir se découpait dans la nuit encore claire. Henri était heureux d'arriver. Il pourrait à loisir prendre une bonne nuit de repos, puis s'occuper de ses chevaux tout en réfléchissant à la meilleure tactique pour se rapprocher de sa jeune épouse.

  Quand elle aperçut l'immense bâtiment, Vanessa ne put retenir une exclamation enjouée à la sortie de la forêt. On aurait dit un château de conte de fée. Elle vit les deux tours rondes et les hautes fenêtres. La nuit dissimulait l'ampleur de la résidence, mais Vanessa ne cessait de regarder dans toutes les directions avec intérêt. Elle remarqua la grandeur des lieux malgré l'obscurité et se promit de prendre le temps de tout visiter.

   Le carrosse des Boisnoir s'arrêta devant un large escalier, les autres véhicules poursuivirent leur route pour que les bagages soient déchargés par l'entrée de service. La lourde porte en bois, renforcée par des sculptures en fer, était grande ouverte et des domestiques attendaient en rangs le retour des maîtres des lieux, des lanternes à la main.

   Les retrouvailles furent chaleureuses. Vanessa s'étonna de tant d'amitié entre les Boisnoir et les employés de maisons. Cela n'avait jamais été le cas à Guarligue. L'intendant prit des nouvelles du comte avec déférence et une jeune femme fut présentée à la jeune mariée à sa descente du véhicule.

 « Bienvenue à Longvent, Madame. Je vous présente Amandine, elle s'occupera de vous. D'autres femmes de chambre l'assisteront en cas de besoin. Quoi qu'il en soit, si vous avez la moindre question n'hésitez pas à m'appeler, ou bien questionnez Monsieur Castel.

 — Je suis enchanté, Madame, reprit le majordome après la présentation sommaire de l’intendant. Nous aurons tout le temps de vous faire visiter la demeure demain. Pour ce soir, Amandine va vous conduire à votre chambre et vous aider à vous changer. Doit-on servir le dîner ?

 — Nous avons dîné en chemin, Castel, répondit Monsieur Philippe. Un whisky pour moi suffira. Je suis sûr que tu aimerais explorer le manoir dès maintenant, Vanessa, la taquina le comte en se tournant vers elle, mais je peux t'assurer qu'il est encore plus beau de jour. Tu devrais aller te coucher. Nous ferons le reste des présentations demain, lança-t-il à destination du majordome. Mes vieux os ne demandent qu'un bon lit ! Je vous laisse entre de bonnes mains et je vous dis à plus tard, mes enfants. »

  Les domestiques saluèrent le comte qui monta jusqu'à sa chambre, le majordome sur les talons pour lui faire son rapport. Les trois frères regardèrent leur père monter le grand escalier puis se tournèrent vers Vanessa.

 « Bon ! s'exclama Richard pour rebondir le premier. Eh bien, je suppose que nous n'avons plus qu'à suivre son exemple. Bonne nuit, Vanessa. Simon, à demain au déjeuner. Henri ! »

  Il tapa tendrement l'épaule de Simon avant d'attraper Henri par le bras pour l’entraîner à l'intérieur. Il tenait à échanger deux mots à l'écart des oreilles de sa belle-sœur. Il avait bien vu comment Vanessa se comportait.

 « Tu devrais faire chambre à part ce soir. Laisse-la s'habituer à sa nouvelle maison. Il y a eu beaucoup de changements pour elle en peu de temps.

 — Je ne te savais pas aussi sensible à l'esprit féminin.

 — Je m'y connais plus que toi c'est évident, rétorqua Richard avec un clin d’œil. C'est l'expérience qui parle ! Mais je suis sérieux. Dis-lui clairement que tu ne dormiras pas avec elle ce soir. »

  Vanessa passa à côté d'eux sans leur accorder un regard et monta le dos raide en suivant sa femme de chambre. Si la nuit à l'auberge l'avait rassurée, elle n'était plus aussi sereine. Une fois en haut des escaliers, elle jeta un regard vers le hall et croisa le regard de son époux. Elle se renfrogna et le darda d'un regard noir avant de relever le menton avec bravade.

  Henri soupira et regarda son frère, un triste sourire aux lèvres.

 « Tu as probablement raison. Je vais rejoindre Papa pour un verre de whisky et j'irais dormir dans mon ancienne chambre. »

  Richard approuva et lui tapota l'épaule.

 « Sage décision. À demain. »

  Il lui offrit un dernier sourire puis monta le grand escalier à son tour. Henri resta en bas et se passa la main dans les cheveux. Oui, un verre lui ferait du bien. Il soupira et rejoignit son père dans son petit salon.

  Philippe fut surpris de le voir et se redressa sur le fauteuil où il s'était avachi pour réfléchir et mettre ses idées au clair avant d'aller dormir.

 « Quelque chose ne va pas, fils ? »

  Henri se servit lui-même sur la console et but une bonne rasade avant de faire face à son père. Il hésita et se ravisa en servant à son père la première excuse qui lui vint.

 « Votre bourbon est le meilleur de la maison. Bonne nuit. »

  Henri garda pour lui ses doutes et ses questions. Renfermé sur lui-même, il en oublia son épouse et retrouva avec une étrange nostalgie la chambre de son enfance. Il trouva aisément le repos en savourant son retour. Qu'il était doux d'être chez soi.


*


  Le lendemain matin, Vanessa se leva avec les premiers rayons du soleil. Elle avait les traits tirés et se tritura le visage devant le miroir en soupirant. Elle avait passé une nuit horrible entre insomnie et cauchemar. Ses yeux étaient bouffis, marqués par la fatigue et les larmes, elle ignorait comment elle parviendrait à masquer ses cernes.

  Après qu'Amandine l'ait conduite dans la loge pour l'aider à se changer et enfiler sa tenue de nuit la veille au soir, Vanessa avait compris qu'il s'agissait d'une pièce annexe à la chambre qu'elle partagerait avec son époux. Quand la femme de chambre lui avait souhaité une bonne nuit en l'abandonnant là, face au lit immense, la jeune épouse s'était enveloppée étroitement dans son châle. Est-ce que cela signifiait qu'elle allait dormir tous les soirs avec son époux ? À Guarligue ses parents avaient toujours fait chambre à part, d'aussi loin qu'elle s'en souvienne. Les règles avaient l'air différentes à Longvent. Cela ne la rendit que plus nerveuse. Et s'il recommençait ? Un frisson lui hérissa les poils et elle eut froid, ses extrémités glacées au souvenir de leur première nuit. Vanessa s'était dirigée en tremblant vers le grand lit et s'était glissé dans les draps tièdes, les muscles tendus et les oreilles aux aguets.

  Elle avait ensuite attendu pendant des heures. Le moindre bruit, le moindre claquement, tout la fit sursauter. Épuisée par le voyage, elle avait fini par sombrer dans un sommeil houleux, entre les souvenirs de son père, les reproches à sa mère et la nuit de noces. Elle s'était réveillée en sursaut au beau milieu de la nuit, seule, désorientée, dans un lieu qu'elle ne connaissait pas. Vanessa n'avait pu retenir ses larmes. Elle avait pleuré un moment avant de s'apaiser en tombant de nouveau dans le sommeil.

  Les premiers rayons de soleil avaient percé sous les épais rideaux et Vanessa s'était levée. Sans attendre sa femme de chambre, elle ouvrit les larges pans de tissus pour éclairer la pièce. Elle fut surprise de découvrir que la fenêtre donnait sur un merveilleux jardins aux couleurs voilées par la rosée matinale. Puis le soleil rendit chaque parcelle étincelante. Un instant, Vanessa oublia son époux, son mariage, son nouveau statut. Elle savoura en toute simplicité la beauté de l'instant et cela lui suffit jusqu'à tourner la tête et apercevoir son reflet dans le miroir de la grande coiffeuse.

 « Tu as une mine affreuse, Van. »

  Elle se sourit piteusement et se pinça les joues en faisant des grimaces dans le miroir. Elle finit par se faire rire elle-même. Un poids sembla disparaître de ses épaules et Vanessa se sentit prête à affronter cette nouvelle journée. Elle se redressa avec courage et ouvrit sa malle pour en sortir une tenue confortable.

  Même si son époux ne s'était pas montré de la nuit, elle eut du mal à s'en réjouir. Qu'il la laisse tranquille la première nuit, cela lui paraissait être une ruse pour lui faire baisser sa garde et revenir plus énergique vers elle le lendemain. Qu'à cela ne tienne, elle se défendrait cette fois-ci. Il ne la toucherait pas.

  Pleine d'entrain et de détermination, Vanessa se décida à appeler sa femme de chambre. Dire qu'elle en avait une pour elle toute seule, c'était incroyable !

 « Bonjour Madame. Dois-je vous monter le petit déjeuner ?

 — Le ? Non. Je vais descendre manger. Aide-moi à m'habiller. »

  Avoir le droit de prendre son petit déjeuner au lit décontenança la jeune femme et ajouta une question de plus à toutes celles qu'elle voulait poser au majordome et à l'intendant. Elle n’avait jamais eu le droit de le faire auparavant. Son père avait toujours cherché à contrôler ce que les femmes de la maison mangeaient. Bien qu'elle n'en fasse qu'à sa tête face à son géniteur, Vanessa n'avait pas l'intention d'être odieuse avec Philippe qui s'était montré si gentil et rassurant avec elle.

  Vêtue avec simplicité, les cheveux noués en un chignon sage, Vanessa demanda à la femme de chambre de la conduire à la salle à manger. Elles n'avaient pas beaucoup échangé pendant l'habillage. Vanessa avait émis ses demandes avec assurance, la domestique avait obéi sans babillage. Amandine introduisit enfin la jeune épouse dans la salle à manger puis souffla. Elle avait tellement eu peur de mal s'y prendre avec la nouvelle maîtresse de maison qu'elle avait eu l'impression de revenir à ses premières années de travail. Pourtant elle n'en était pas à son coup d'essai, mais elle avait été spécialement embauchée pour la comtesse de Longvent et personne n'avait été en mesure de lui parler de ses goûts et de ses habitudes. Elle allait devoir apprendre tout cela le plus tôt possible afin que sa dame de soit pas mal à l'aise en sa présence.

 « Que fais-tu ici, Amandine ? Où est Madame ?

 — Monsieur Castel ! s'exclama-t-elle après un sursaut de surprise. J'ai conduit Madame à la salle à manger. Je redescends tout de suite aider les autres.

 — Pourquoi Madame n'a-t-elle pas mangé au lit ?

 — Madame était déjà levée quand elle m'a appelée. Elle a préféré descendre une fois habillée. Ai-je mal fait ?

 — Non, les désirs de Madame sont des ordres. Tu peux disposer. »

  Monsieur Castel se détourna rapidement de la femme de chambre après sa courte révérence et son volte-face pour se tourner vers la porte de la salle à manger. Il était de coutume que les femmes mariées prennent leur petit déjeuner au lit. Qu'à cela ne tienne, il avait toute la journée pour observer la nouvelle maîtresse et apprendre à la connaître suffisamment pour anticiper ses besoins. Il avait été surpris qu'elle n'amène aucune femme de chambre avec elle. Il allait devoir personnellement l'interroger. Espérons qu'elle ne s'en vexe pas.

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