Samedi 9 janvier, 15 heures. Sur les traces de Bobette.

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Il n'avait pas fallu plus d'une heure à l'inspecteur-adjoint pour obtenir la liste des événements du soir précédent. Quand ses yeux s'étaient posés sur la ligne qui mentionnait la réception au consulat d'Allemagne, il sut qu'il tenait le bon bout et n'entreprit de parcourir le reste que par acquis de conscience. La Commissaire ne s'était certainement pas déplacée pour assister à un concert ou à une pièce de théâtre.

Parvenu au consulat, il dut insister auprès d'un garde pour être reçut. Il fut finalement introduit auprès d'un majordome à l'allure austère qui l'introduit auprès du Consul lui-même. Ce dernier admit sans ambages que Bobette Van Der Steen faisait effectivement partie des invités.

— Une jeune femme vraiment délicieuse, précisa-t-il. Un peu excentrique, mais n'est-ce pas rafraichissant ?

Dumont éluda la question.

— Combien de temps est-elle restée ici ? L'avez-vous vue partir ?

— Non. Mais elle n'a pas fait qu'acte de présence. Je me souviens l'avoir croisée jusque très tard dans la soirée. Pourquoi toutes ses questions ?

— Tout porte à croire que Madame Van Der Steen a disparu.

— Qu'est-ce qui vous amène à penser ça ?

— He bien, si elle a bien quitté le consulat - en admettant qu'elle l'ait bien quitté - elle n'a jamais rejoint son hôtel.

Le diplomate demeurait impassible, l'allusion ne suscita pas même un clignement de cils.

— Elle a forcément quitté la résidence. Mon épouse et moi avons littéralement accompagné les derniers invités sur le pas de la porte.

— Mais elle n'est jamais arrivée à son hôtel. Je veux cependant bien vous croire, car un indice me laisse à penser qu'on pourrait l'y avoir déposée. Mais pour une raison qui m'échappe, elle n'a pas rejoint sa chambre.

— Peut-être a-t-elle fini la nuit ailleurs ? Madame Van Der Steen a passé une bonne partie de la soirée en compagnie d'un jeune homme. Tous deux avaient l'air de ... fort bien s'entendre.

Il souriait, narquois.

— Connaissez-vous cet homme ?

— Bien sûr. Johan-Ferdinand von Herpmel. Il travaille pour moi en tant qu'attaché économique.

— Où puis-je le trouver ?

— Il habite en ville je crois.

— Il me faudra son adresse.

Le Consul semblait manifestement contrarié.

— Inspecteur, je me permets quand même de vous rappeler que le personnel de ce consulat-général jouit de l'immunité diplo...

— Bien sûr, je sais tout ça, l'interrompit Dumont. Mais nous ne sommes pas encore là, je n'ai à ce stade encore aucun suspect. Je souhaite simplement m'entretenir avec ce monsieur von Herpzmel. Avec son accord.

Le diplomate semblait réfléchir, aussi Dumont poursuivit-il :

— Excellence, madame Van Der Steen est une haute fonctionnaire française. Mais elle est aussi impliquée dans une affaire de meurtre, dans ma juridiction. Avec ou sans votre aide, je dois la retrouver.

L'homme activa un interphone, une voix féminine retentit dans le haut-parleur.

— Steffi, pourriez-vous me trouver l'adresse de Herr von Herpzmel ?

***

L'après-midi touchait à sa fin quand le jeune inspecteur se présenta au domicile présumé de l'attaché économique. Cise en périphérie des beaux quartiers, c'était une maison bourgeoise de taille modeste. Rien à voir pensa-t-il, avec le luxe ostentatoire des habitations situées à quelques rues seulement. Les volets étaient fermés, rien de bien étonnant avec le froid qui régnait ces derniers jours. Il activa la sonnette électrique. En vain. Il n'eut pas plus de succès en tambourinant à la porte ni aux volets du rez-de-chaussée. Le jeune homme pesta et jeta un oeil alentours. La rue était déserte. Il enjamba une épaisse haie de buis, faillit y laisser une chaussure, perdit l'équilibre en voulant se rattraper et s'étala lamentablement de l'autre côté du taillis. Côté jardin. L'arrière de la petite propriété devait jouir d'un charme certain au retour des beaux jours. Une jolie terrasse se prolongeait par un petit parc d'une taille insoupçonnée. L'étang aux formes travaillées était gelé. Les parterres de fleurs semblaient négligés, mais l'on devinait à quel point ils deviendraient luxuriants au printemps. Sans trop y croire, Dumont alla frapper aux volets, mais il n'eut effectivement pas plus de chance. Il s'apprêtait à rejoindre la rue quand un mouvement au fond du jardin attira son attention. Il parcourut la trentaine de mètres qui le séparaient de ce qu'il croyait être la fin de la propriété. Mais manifestement, le petit bosquet qui la prolongeait en faisait partie. Les arbres à demi effeuillés dissimulaient mal un pavillon de bois. Une annexe, pensa le jeune homme, destinée probablement aux outils du jardinier. Voire même à l'abriter lui, car la construction était bien plus grande qu'une simple remise. Il sursauta quand un énorme chat jaillit des fourrés et s'enfuit à toute allure. Etait-ce lui qu'il avait perçu depuis la terrasse ?

Les volets du chalet étaient fermés eux aussi. Déçu, il rejoignit la rue. Son regard en croisa un autre, par-delà la fenêtre de la maison située face à celle qui accaparait son attention. Mais celui ou celle qui l'observait tira vivement les rideaux. Et si ... ?

Il traversa la rue, activa le heurtoir. Une fois. Deux fois. La troisième fut la bonne. Une voix féminine retentit.

— Qui est-ce ?

— Inspecteur-adjoint Dumont, Madame.

— Inspecteur ? De la police ?

— Oui Madame.

La porte s'entrouvrit sur une petite dame ridée aux cheveux blancs. Dumont jugea qu'elle devait avoir trois fois son âge. Retranchée derrière la chaînette de sécurité, elle l'observait. Suspicieuse.

— Quelle police ? lança-t-elle.

— Commissariat de Bâton-Rouge. Section criminelle.

— Mais c'est la police française ? Vous êtes français ?

La question le surprit. Mais il retomba vite sur ses pattes, tira avantage de la situation en annonçant sur un ton qu'il voulait pompeux :

— Bien sûr Madame. Police du Roy, au service de la France. Et de ses citoyens.

La vieille dame se radoucit.

— Qu'est-ce que vous me voulez ?

— Juste vous poser quelques questions. Je n'en aurai pas pour longtemps.

— Montrez-moi votre insigne.

Il le lui mit sous le nez. Elle détailla la plaque si longuement qu'il sut qu'elle mettait un point d'honneur à lire attentivement tout ce qui y figurait, jusqu'à son matricule. Elle défit la chaînette, l'invita à la suivre. Il pénétrèrent dans un petit salon impeccablement tenu. Elle lui proposa un café, qu'il accepta, et s'empara d'une cafetière métallique qu'elle posa sur le poêle. Et revint avec une assiette de biscuits.

— Vous comprenez, avec les boches en face, on ne sait jamais à qui on a affaire. On est plus chez soi nulle part.

Dumont sourit.

— Vous ne les aimez pas beaucoup, dirait-on.

— Ne m'en parlez pas. Ils m'ont pris mon fils à Saint-Privat. Mon Fernand ne s'en est jamais remis.

Le café était cuit et recuit, mais il était chaud. Et les biscuits étaient particulièrement bons. Dumont serra la tasse dans ses mains pour mieux les réchauffer.

— Vous connaissez votre voisin d'en face ?

— Non ! Que Dieu m'en préserve. Je ne le connais que de vue.

— Vous l'avez vu aujourd'hui ?

— Oui. Je l'ai vu sortir en fin de matinée.

— Ah bon ? Il était seul ?

— Non, ils étaient deux.

Le coeur de Dumont bondit dans sa poitrine.

— Ce boche, et un autre monsieur, plus grand et plus gros.

Faux espoir. Elle se pencha et ajouta, sur le ton de la confidence :

— Je crois que c'est aussi un boche. Ils sont partout.

— Auriez-vous par hasard remarqué quelque chose d'inhabituel ?

Elle marqua un temps, dégustant son biscuit et sirotant son café.

— Non, pas vraiment.

La vieille dame semblait réellement désolée.

— Peut-être que...

— Peut-être que ?

— Il y avait une de ces automobiles à vapeur...

Dumont mourrait d'envie de la presser de parler, mais il se fit violence pour ne pas la brusquer. Elle continua.

— Non pas que ce soit anormal. Mais d'habitude, la voiture ne fait que déposer le boche, ou elle vient le chercher. Elle ne reste jamais.

— Et ?

— Et bien cette fois, la voiture était déjà sur place quand je me suis levée. Elle n'a pas bougé de la matinée.

Dumont demeura pensif.

— Mais peut-être partaient-ils en voyage, allez savoir, ajouta son hôtesse.

— Qu'est-ce qui vous fait penser ça ?

— Oh et bien ... les bagages peut-être.

— Les bagages ?

— Oui. Ils avaient des bagages. Une malle. Et pas des moindres.

Dumont faillit s'étrangler avec son café.

***

C'était peut-être stupide d'agir de la sorte, mais dans quelques heures, ce serait dimanche. Obtenir un mandat avant lundi était illusoire, d'autant que le passeport diplomatique de von Herpzmel ne manquerait pas de compliquer encore les choses. Après tout, pour le même prix, personne n'en saurait jamais rien, et sa petite expédition ne connaitrait d'autre suite qu'une plainte pour effraction lorsqu'elle serait découverte. La police municipale classerait bien vite l'affaire. Dumont suivit son instinct et décida de commencer par le pavillon. La porte était solide, aussi s'attaqua-t-il à un volet. Il dut s'acharner un moment avant d'en venir à bout. Quand enfin il céda, il brisa un des carreaux et n'eut aucun mal à ouvrir la petite fenêtre. Il en fut tout autrement quand il entreprit de s'y glisser. Le policier dut se contorsionner en tentant de se convaincre à voix haute que le ridicule ne tuait pas, avant de finir sa course tête la première sur le carrelage.

Il se releva et ouvrit les volets pour y voir plus clair. Le pavillon était constitué d'une seule pièce, à la toiture apparente. Le mobilier était réduit à sa plus simple expression. Une table, deux chaises, des seaux. Quelques outils. Un sac de voyage. Le sol était trempé, l'eau commençait d'ailleurs à geler. Il prit garde de ne pas glisser. Des tâches sombres maculaient ça et là le sol. Il se baissa et y passa l'index, avant de gratter à l'aide de son ongle et de porter son doigt à sa bouche. Du sang. En grande partie déjà coagulé, mais encore frais sous la surface. Relevant la tête, il découvrit d'épais cordages qui pendaient depuis les poutres de la toiture. À leurs extrémités, des traces de sang, encore. La victime devait s'être débattue, le chanvre lui avait déchiré la peau des poignets. Ou des chevilles, qui pouvait savoir ? Il voulut jeter un oeil au sac de cuir, posé sur la petite table. Un tintement l'accompagna. Il se pencha encore une fois, ramassa le fil presque invisible accroché à sa semelle. À son bout, un petit anneau métallique. Ensanglanté. Il en trouva un deuxième, et grimaça en constatant qu'un lambeau de peau y demeurait accroché. Sans ménagement, il retourna la sacoche de cuir sur la table.

— Putain ! C'est quoi ce bordel ?

Il avait juré à voix haute. Devant lui s'étalaient des pinces, des aiguilles métalliques de toutes tailles, et plusieurs instruments dont il ne pouvait imaginer l'utilité, mais qui à coup sûr avaient plus leur place dans un bloc opératoire que dans un abri de jardin.

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