Bâton Rouge, 3 janvier 1886, à l'aube. Diego.

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Remarque préliminaire : à l'origine simple réponse à un défi, cette oeuvre prend des proportions nouvelles. J'ai en effet décidé d'en faire une nouvelle, plus ou moins longue, peut-être un petit roman. Du coup, j'ai sensiblement modifié le décor, c'était nécessaire pour m'assurer la marge de manoeuvre dont j'ai besoin pour l'histoire qui se fait jour dans mon esprit. Pour ceux qui auraient lu les deux premiers chapitres avant ce vendredi 8 septembre, pas de panique, il n'y a pas de changement majeur, rien qui modifie fondamentalement l'histoire. La simple lecture du texte de présentation de l'oeuvre et des titres des deux premiers chapitres (oui oui, juste les titres) suffisent à intégrer les changements. Ceci-dit, j'ai aussi apporté des modifications plus conséquentes au tout premier chapitre, mais il n'est absolument pas indispensable de les lire pour rester dans le bain.

Pour un peu, elle ronronnerait.

Blottie contre le corps de l'homme, elle n'osait bouger de peur de le réveiller. Ils étaient coincés dans l'instant où la nuit s'éclaircit, annonçant l'arrivée imminente des premiers rayons du soleil. Dans la pénombre, elle distingait ses puissants pectoraux, les abdominaux taillés comme les pavés du Boulevard de la Reine, à Paris. Son bas-ventre et plus bas encore, caché entre ses cuisses ...

Ils avaient baisé toute la nuit, jusqu'à s'écrouler, repus, ivres de leur mutuelles jouissances. Elle savait qu'elle n'aurait jamais dû accepter de le revoir. Pas d'attache, pas de mec, pas de sentiment. Elle en avait assez bavé la dernière fois.

Petit coup de Blues.

Cinq ans déjà. Un siècle, en fait. Une éternité.

Oublie-le ! Amuse-toi ! Baise qui tu veux, mais jamais deux fois le même.

Oups. Tu parles. Diego, c'est la deuxième fois. En deux semaines. Mais qu'est-ce qu'il a, mais qu'est-ce qu'il a ce type ?

Il te baise comme un Dieu, c'est tout.

Elle sourit au souvenir de cette après-midi à la Nouvelles-Orléans. Elle l'avait suivi jusqu'à un petit réduit, un cachot. Elle ne lui avait pas laissé le loisir d'examiner ses blessures, s'était jetée sur lui et n'avait pas même pris la peine de le déshabiller, se contentant de sortir son sexe de son pantalon. Il l'avait aggripée par les hanches et l'avait prise sans ménagement, la plaquant debout contre le mur, la pilonnant par derrière. Elle avait joui comme une folle. Une première fois très rapidement. Mais lui n'en avait pas assez, il l'avait labourée plus fort encore, allant jusqu'à lui faire mal, et quand il s'était enfin répandu en elle, elle avait cru mourir sous l'intensité du second orgasme.

Ils n'avaient pas échangé un mot avant qu'il ne l'eut reconduite à son dirigeable. Sous bonne escorte cependant. Il lui avait pris le bras au moment où elle s'apprêtait à gravir l'échelle.

— Quand est-ce que je te revois ? avait-il chuchoté.

Elle avait répondu sans réfléchir.

— Viens à Bâton Rouge, le 6 janvier. C'est un samedi. Au Bar des Amis. Tu demandes "B". Juste "B". C'est moi qui te retrouverai.

À peine installée dans le dirigeable, elle le regrettait. Qu'est-ce qui lui avait pris ? Certes, il l'avait bien fait jouir, mais il était fort probable que la petite séance avec Charles-Henri de la Minaudière l'avait mise dans un état de réceptivité très avancé. Lui, n'avait fait que terminer le travail. Elle ne connaissait même pas le nom du type, ce qui au demeurant, n'était pas pour lui déplaire. Pas de lien, pas d'attache.

Jusqu'au vendredi, elle avait décidé de quitter Bâton Rouge pour le weekend, comme pour fuir la tentation. Le bonhomme aurait poireauté ches les Amis, c'eut été juste un lapin de plus. Mais elle n'avait pu s'y résoudre. Elle le verrait encore une fois. Rien qu'une fois. Juste pour voir si c'était vraiment un si bon coup - elle le classait dans le top trois, et Dieu savait s'il y avait de la concurrence - ou si tout simplement il avait profité de "l'effet Charles-Henri".

Le revoir juste une fois, et puis basta, adios, salut en de kust.

Une nuit.

Qui là, s'achevait.

Si on s'amuse encore une dernière fois maintenant, ça compte ?

Elle décida que non. Après tout, elle avait bien dit "une nuit", non ?

Elle se pencha sur le sexe de son amant d'un jour et entreprit de le réveiller de la plus douce des façons.

Le sexe de Diego, ma vieille. Il s'appelle Diego.

Il fit semblant de dormir jusqu'au moment où il vint dans sa bouche.

Entrouvrit les yeux. Des yeux tout embués de sommeil. Et noirs comme la braise.

— Salut, fit-elle.

Il lui sourit.

— T'en as jamais assez, toi, lui lança-t-il, taquin.

— Plains-toi !

Ils éclatèrent de rire.

— Fais-moi un café.

— Dis-donc, j'suis pas ton boy, lui répondit-il.

Puis se ravisant, il bondit hors du lit.

— J'vais te l'faire. J'ai vu ce dont t'es capable, voudrais pas qu'y m'arrive la même chose qu'au patron.

La suite était équipée d'un coin cuisine, enfin, juste un bec de gaz et un évier, jouxté d'une tablette sur laquelle était posée une cafetière, une boite de café, une boite de thé une bouteille d'eau et quelques ustensiles. Diego sourit. Lorsqu'il descendait dans un hôtel, il était déjà content d'y trouver des draps propres. Elle, visiblement, ne se refusait rien. Après avoir mis l'eau à bouillir, il fit le tour du propriétaire. Vérifiant que de la chambre, elle ne pouvait l'apercevoir, il ouvrit discrètement la penderie, dans le corridor d'entrée. Vide. Il pénétra dans la minuscule salle de bain, garnie uniquement du linge de l'hôtel et d'un savon tout neuf. Pas le moindre effet personnel. Pas même une brosse à dents.

Un quart d'heure plus tard, il était de retour avec une cafetière fumante et deux tasses. Celà ne faisait aucun doute, les seuls vêtements présents dans cette chambre étaient les leurs, jetés à même le sol dans la fièvre des retrouvailles le soir précédent. Il lui tendit sa tasse avant de se servir.

— Il est bon, fit-elle, sincère.

Il la contemplait, songeur.

— T'es qui, lança-t-il au bout d'un moment ?

— Tu le sais très bien. Tu as vu ma plaque.

Il haussa les épaules.

— Tu parles ... Sûreté Royale ... mais même à la sûreté royale, tout le monde se ballade pas avec un sauf-conduit signé de la main du Ministre de l'Intérieur. Et personne débarque en dirigeable, attifée comme une putain, pour charcuter un fonctionnaire de l'Administration et s'faire baiser par le gardien-chef. Et tes trucs là, partout sur le corps, t'es indienne ?

La coupe sioux abondait dans son sens. Mais même si ses tatouages évoquaient des peintures de guerre, des sioux avec de grands yeux bleus, ça ne courrait pas les rues. Elle se releva sur un coude.

— D'où je viens, c'est à la mode. Beaucoup de gens portent des piercings ou des tatouages.

— Ah bon ? À Paris ? À Quebec ? Jamais vu ça! Enfin, si, un tatouage sur le bras d'un marin, ou un anneau dans l'oreille. Mais ça !

Il passa les doigts sur les anneaux d'acier qui bordaient sa vulve, puis appliqua une pitchenette sur celui qui ornait l'un de ses tétons.

— Aïe, tu me fais mal !

— Menteuse. Et pis t'aime ça, j'suis sûr.

Elle rit.

— Détourne pas la conversation. Tu viens d'où ?

— De loin. Très loin.

— Polynésie ? Tonkin ?

— Plus loin.

— Y a pas plus loin.

Elle se fit câline.

— On s'en fout, murmurat-elle.

Il contempla le soleil déjà bien levé maintenant. Pensif.

— Ouais. On s'en fout. Jusqu'à ce que tu te décides à m'écorcher comme un cochon ou à boire mon sang.

Il avait lancé ça avec le plus grand des sérieux, avant de lui jeter un regard soupçonneux.

— T'es pas une vampire, quand même ?

Elle éclata de rire.

— Mais non, qu'est ce que tu vas imaginer là ?

— Au bahut, y en a qui disent que l'sous-directeur, tu l'as saigné ... et que t'as bu son sang, et qu't'aimais ça. Et qu'c'est pour ça qu't'as l'air d'une gamine, mais qu't'as cent ans.

Elle rit de plus belle. Mais se ravisa quand elle comprit qu'il était sérieux.

— Tu as vu le sous-directeur. Ce n'étaient que des égratignures.

— J'lai entr'aperçu. Nuance. Et il avait du sang partout sur lui.

Ah merde alors.

— Mais tu m'as vue moi.

— Ouais.

Il marqua un temps avant de reprendre.

— J't'ai vue sortir de son bureau. A poil. Avec du sang jusque sur ta chatte et tes cuisses. Et sur tes lèvres.

Oups. J'ai été si vilaine ?

— Des estafilades. Ca avait un peu pissé. Ca pisse pas mal à ces endroits là.

Silence. De mort.

Elle reprit :

— Mais si tu crois toutes ces conneries, pourquoi t'es venu ici, à Bâton Rouge ? lança-t-elle.

Il prit son temps avant de répondre.

— Parc'que j'ai jamais baisé comme ça dans ma vie. Parc'que j'te trouve canon. Parc'que tant qu'à mourir d'que'qu'chose, autant que ce soit sous les crocs d'une beauté et en l'inondant de ma s'mence plutôt qu'd'ans un hospice à quatre-vingts berges ... tu veux d'autres raisons ?

Elle lui sourit, détendue.

— Le seul mal que je pourrais te faire, ce serait de te donner du chagrin. Je ne vais pas te transformer en loup-garou ou que sais-je.

Silence.

— Tu me crois, n'est-ce pas ?

— J'm'en fous. Soit j'ai raison et tu vas m'bouffer, pour de vrai, ou boire mon sang ...

Il pouffa .... avant d'ajouter.

— Déjà qu'tu bouffes bien ma s'mence, y a qu'un pas.

Elle lui jeta un coussin à la tête et ils éclatèrent de rire, tous les deux. Il leur fallut un moment avant de retrouver leur sérieux, et pour qu'il poursuive.

— ... soit c'est toi qui dis vrai, t'es juste une détraquée folle de cul et j'risque tout au plus de prendre quelques coups parc'que c'est comme ça qu'tu prends ton pied.

Il ajouta :

— Mais ...

— Mais ?

— Mais dans c'dernier cas, j'sais pas, mais j'sens qu'tu vas pas rester. J'sens qu'tu vas m'échapper. Et j'pense que j'préfèrerais encore la première possibilité.

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