Chapitre 10

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Dap retira le thermomètre de sa bouche et lut du mieux qu'il put dans la pénombre de sa chambre, le numéro indiqué sur le petit écran.
Il soupira.
— Combien ? S'enquit aussitôt sa mère à l'autre bout de la pièce.
— Aucune idée. J'ai oublié de l'allumer. Et de retirer le petit film plastique, ajouta t il en crachant ce dernier.
Anne ne fit aucun commentaire, bras croisé et assise sur l'unique chaise de tout l'appartement. Par la porte entrouverte de la chambre, des bruits de cuisine résonnaient, parfois entrecoupés par les grognements de Rémi qui peinait à trouver le moindre ustensile. Les rideaux dans la chambre étaient tirés, et un unique rayon de soleil venait éclairer la chevelure rousse aux racines blanches d’Anne. Malgré l’heure matinale et la tempête d’hier soir, l’air était déjà chaud dans l’appartement obligeant Anne à retirer sa veste, arborant un t-shirt d’un groupe de rock vintage.

— Je n’arrive pas à croire qu’à vingt-trois ans, tu n’aie pas de thermomètre chez toi !

— Eh bien, maintenant j’en ai, protesta Dap en bataillant avec le bouton d’allumage. Tu me diras combien je te dois.

— Penses-tu mon chéri, ça sera ton cadeau d’anniversaire. Tu paieras pour les meubles qu’on ira t’acheter tout à l’heure.

Dap ne répondit pas. Il était trop tôt et il se sentait beaucoup trop fiévreux pour se lancer dans une quelconque dispute avec sa mère. Il cala le thermomètre dans ses dents.

Le son d’une casserole tombant sur le carrelage de la cuisine les fit sursauter lui et sa mère.

— Rémi ! Cria Anne à travers la porte. Fais attention, enfin.

— Pardon ma puce ! Désolé, Dap.

— C’est rien, essaya de rétorquer Dap mais il n’arrivait pas à élever la voix à plus qu’un filet rocailleux. Qu’est-ce qu’il cherche exactement ?

— Rémi a ramené de quoi préparer un dhal de légumes, sourit Anne. Comme ça tu auras de quoi manger pendant qu’on fait des courses. Pour autant qu’il arrive à dégotter une poele dans tes placards.

— J’en ai qu’une, et elle est à peine assez grande pour faire cuire un steak. Et n’allez pas faire des courses, grogna Dap. On ira une autre fois m’acheter des meubles.

— Mais c’est inadmissible, mon chéri, enfin ! [Un an] que Flo est parti avec la moitié de votre appartement, et tu n’as même pas une table à manger ou des couverts pour plus d’une personne !

— J’aime manger sur la table basse. Et quand j’invite des gens, on mange des pizzas avec les mains, comme des bêtes. Au-dessus de l’évier, ajouta-t-il juste pour faire grimacer sa mère.

Anne croisa ses longues jambes, trait physique que son fils partageait avec elle.

— Tu ne peux pas continuer comme ça, Dapper. Il te faut des meubles pour rendre enfin cet endroit habitable.

— D’accord, mais uniquement si je suis là pour choisir ! Tu aimerais toi, que ça soit mamie qui décore ta maison ?

Les yeux d’Anne se réduisirent à deux fentes, et Dap fut persuadé de voir un petit sourire amusé passer sur le visage plein de sérieux de sa mère.

— Très bien, j’abdique, dit Anne d’une voix mielleuse. Rémi ? Que mange-t-on ce midi ?

Il y eut un bruit de tiroir qu’on fouillait puis Rémi s’exprima :

— Est-ce que des légumes bouillis ça vous va ?

— Je ne crois pas, je connais mon fils.

— On peut toujours se faire livrer ? Dit Dap plein d’espoir.

— Il n’en est pas question. J’ai vu une boutique de bricolage et d’ustensiles pour la cuisine au coin de ta rue, on ira t’acheter de quoi fournir au moins ta cuisine dès l’ouverture.

— M’man, ce n’est pas…

Le bip-bip du thermomètre l’interrompit et Anne sauta sur l’occasion pour couper toute envie à son fils de protester.

— Vite, regarde ! Combien ça indique ?

— Trente-neuf cinq. C’est grave ?

— Trente-neuf cinq ! Rémi, t’as entendu ? Trente-neuf cinq !

Un pas lourd qui devait facilement réveiller tout l’immeuble, et Rémi s’encadra dans la porte. Des cheveux gris de sa queue de cheval s’était échappé après sa fouille méticuleuse de la cuisine, et il tenait un batteur à œuf cassé dans une main, une casserole dans l’autre. Il arborait son éternel ensemble chemise et pantalon en jean, une tenue qui se mariait parfaitement au look punk-rock d’Anne.

— Mazette, c’est une sacrée fièvre que t’as là, Dap, fit-il en s’asseyant sur le lit de ce dernier. Et tu dis que c’est la climatisation à ton travail ? Tu devrais écrire un mot aux RH.

— Ca ira, Rémi.

Anne se leva, expliquant en quelques phrases sèches que son fils ne pouvait avoir plus tort. Elle revint du salon avec son sac à dos et fourragea à l’intérieur à la recherche d’une pilule de paracétamol.

— Il est hors de question que tu restes seul aujourd’hui ! Au moins, jusqu’à ce que la fièvre descende. Rémi, je vais rester avec lui, peux-tu faire la liste de ce qui manque en cuisine et aller lui acheter tout ça au magasin en bas ?

— Je pense ça irait plus vite de faire la liste de ce que j’ai déjà, marmonna Dap. M’man, s’il te plaît, je te dis que…

L’air lui manqua. Dap sentit la vague de chaleur remonter le long de ses couvertures jusqu’à sa poitrine. Il grogna et s’enfonça entre les oreillers. Heureusement, sa mère et Rémi étaient trop occupés à s’organiser pour remarquer son trouble, sinon il finissait à l’hopital.

— Je peux t’appeler Dap si jamais je dois choisir entre deux types d’ustensiles ? s’enquit Rémi sur le pas de la porte.

— Pas besoin, enfin ! Prends-lui tout en noir, ça ira très bien.

— Je préfère lui demander son avis, Anne.

Dap s’efforça de sourire à tous les deux. Il était surtout reconnaissant à Rémi de ne pas se laisser emporter par l’enthousiasme de sa mère.

Son téléphone s’alluma, et Dap remercia les divinités du riz d’avoir fait renaître son appareil. Il s’assura d’être connecté à Internet pour pouvoir appeler en vidéo Rémi, puis ce dernier quitta l’appartement.

Anne s’était rassise sur la chaise près du lit. Dap remarqua que Rémi avait laissé le batteur cassé et la casserole sur sa couette et il les écarta du pied.

— Au fait, tu ne m’as pas dit comment s’est passé ta fin de semaine ? Tu as bien dû bien travailler pour en tomber malade à ce point.

Dap ouvrit la bouche, prêt à répondre quand son portable vibra entre ses mains. La notification d’un numéro inconnu le laissa perplexe jusqu’à ce qu’il ouvre le message.

« Salut, comment tu te sens ce matin ? Linus »

Dap eut l’impression de coups sourds résonnants dans sa tête à mesure que son coeur s’accélérait. Son doigt appuya sur la flèche de réponse et il eut soudain conscience de l’aura de curiosité de sa mère, semblable à un ballon qui enflait de seconde en seconde.

— Tout se passe très bien au taf, dit-il en recouvrant l’écran de son téléphone de la paume. C’est intéressant, difficile mais on me laisse du temps pour m’adapter.

— Oh c’est super, ça, répondit Anne d’une voix aussi distraite que la sienne. Tu discutes avec quelqu…

— M’man, est-ce que tu pourrais… me mettre des épisodes de l’émission de Rémi sur l’ordinateur portable ? J’ai besoin de me reposer un peu et ses vidéos m’aident toujours à m’endormir. Non pas qu’elles soient ennuyantes, bien sûr !

La mention de Rémi et son émission eurent raison de la curiosité de sa mère qui lui assura que son petit-ami serait ravi d’apprendre que ses vidéos accompagnent les gens dans leur sommeil.

Dès qu’elle passa la porte, Dap récupéra son portable et forma un petit chapiteau au-dessus de l’écran avec sa couette. Il tapa sa réponse aussi vite qu’il put, le coeur battant à tout rompre dans sa gorge.

— Tu vas voir cet épisode, dit sa mère en revenant, son ordinateur sous le bras. C’est celui où Rémi a failli se noyer dans la cave d’un type qui pensait que l’esprit de sa femme détruisait la tuyauterie.

— Parfait.

Ils s’installèrent, l’ordinateur au pied du lit, Anne calée sur sa chaise, pieds sur le matelas, pendant que Dap se pelotonnait dans sa couette, le portable dans sa main. Il se concentra le temps du générique jusqu’à ce que son téléphone vibre à nouveau. Il leva un œil vers sa mère, mais Anne était déjà tordue de rire par la vidéo.

Dap : J’ai survécu mais de peu ! Merci pour le retour hier.

Linus : De rien. Bonne journée.

L’excitation de Dap retomba comme un soufflet. Il relut les quatre mots, s’imprégnant de leur sobriété.

Deux vidéos défilèrent, puis une troisième. Dap n’avait pas bougé d’un pouce, ni écouté un traite mot de l’émission, quand il récupéra son portable dans le creux de sa couette. Il n’était pas certain de savoir ce qui le poussait à répondre, et il ne voulait en vérité, pas savoir.

Dap : Tu connais « Rémi vous dit » sur YouTube ? C’est une émission présentée par le copain de ma mère, où il persuade les gens que leur maison n’est pas hantée. C’est débile à souhait, je recommande.

Le SMS mit plus de temps à arriver et Dap étouffa un grognement mi-amusé mi-agacé. Sa mère le remarqua à peine, pensant qu’il riait au magnétiseur que Rémi interviewait.

Linus : Non je ne connais pas.

Dap s’apprêtait à reposer son portable, l’effet du médicament le rendant moins fiévreux mais plus fatigué. Mais un nouveau message arriva et il s’éveilla complètement.

Linus : je vois des centaines de vidéos. Laquelle est la meilleure ?

Dap émit la question à voix haute ce qui obligea sa mère à arrêter le show en court pour lui proposer son top trois personnel. Pendant qu’elle tapait le nom des vidéos, Dap les recopiait sur son portable et envoyait la réponse à Linus.

Rémi revint pendant que sa petite-amie et le fils de sa petite-amie riaient à gorge déployée devant ses vidéos. Il les obligea à mettre autre chose, plus que sérieux sur le fait qu’il n’appréciait pas qu’on moque les personnes qu’il interviewait. Anne le rejoignit en cuisine pour l’aider à déballer ses courses, incapable de respecter le souhait de son compagnon et lui demandant au milieu de son fou rire si la dame de leur dernier visionnage avait essayé de lui arracher ses vêtements parce qu’ils avaient été souillés par un mauvais esprit.

— Ca n’a rien de drôle, Anne ! S’il n’y avait pas Mélodie à la caméra pour me sauver, elle m’aurait fait tomber dans l’escalier.

— Penses-tu, elle aurait été trop inquiète que tu viennes ensuite hanter chaque marche !

Dap s’éveilla au son de son portable qui vibrait et resta une pleine minute à contempler le plafond de sa chambre. L’odeur du fameux dhal de Rémi emplissait l’appartement. Dap s’était endormi pendant une heure, à peine. Il se sentait mieux, reposé et ce, d’autant plus lorsqu’il vit que trois nouveaux messages de Linus l’attendaient

Linus (11h37) : Je viens de regarder la première vidéo que tu recommandais. C’est intéressant. Le générique est bien fait.

Linus (12h15) : Ok, j’ai enchaîné une vidéo et ce Rémi est carrément allé aux Etats-Unis pour son émission. Au Brésil. En République Tchèque. Mais comment il trouve ces gens ?

Linus (13h03) : Pour de vrai, cette dame de la 3ème vidéo a failli le tuer et il continue comme si de rien n’était. Je ne sais pas si je dois arrêter de regarder ou appeler ça la meilleure émission au monde.

Dap se mordit les lèvres et ne put retenir un éclat de rire quand un quatrième message arriva au moment où il finissait le dernier.

Linus (13h12) : Je me suis abonné à la chaîne.

— Tout va bien, mon chéri ? Je t’ai entendu m’appeler ? Dit Anne en passant le nez par la porte.

— C’est rien, m’man. Je riais juste à…

— Ah tu vois, il n’y a pas que moi Rémi ! Cria Anne en repartant.

Dap augmenta le son des vidéos sur son ordinateur pour masquer la conversation dans la cuisine et éviter à sa mère de l’entendre rire comme un stupide adolescent. Il se cala contre ses oreillers, le portable dans les mains et répondit à Linus.

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