l'entrevue 2/2

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Nous restâmes debout, Sarah et moi pendant quelques minutes avant que nous décidions de nous rasseoir. Elle, à la même place que tout à l’heure, moi en déplaçant ma chaise vers son côté. Son regard n'exprimait ni haine ni peine. La colère qui l’animait quelques minutes plutôt avait disparue. Elle rompit soudainement ce silence en m'offrant une voix plus douce et chaleureuse : « Toute mon attention se porte sur vous monsieur… Allez-y, je vous écoute.

– Tout d'abord je voudrais que vous sachiez : je ne vis pas une minute sans que je pense au mal que j’ai dû vous causer. »

Je m’arrêtai quelques secondes pour observer sa réaction. Mais en ne voyant rien d’intéressant, je poursuivis : « Je n’irais pas par quatre chemins, soit, ce que j’ai à vous dire, paraîtra bizarre ou plutôt assez logique. Mais avant tout, promettez-moi de répondre le plus sincèrement possible.

–Je ne peux rien vous promettre, comme vous me connaissez certainement bien, mes promesses sont assez volatiles. Et ma sincérité dépend en premier lieu de mes intérêts.

– Voyons le bon côté des choses, votre franchise se trouve au moins là.

– N'attendez pas trop d'elle… elle risquerait de vous décevoir ! »

« Cette jeune fille a bien trop de répondant pour une femme de son époque, pensais-je, soit c'est vraiment Élisabeth qui est assez effrontée en tant que personne ou soit c'est Sarah qui s'amuse à jouer avec moi. »

Puisqu’elle était incapable de dire la vérité, il fallait que je lui pose ma question directement et que je me contente de la spontanéité de sa réaction : « Dites-moi franchement, êtes-vous Élisabeth Collins ? »

Elle me regarda tout étonnée comme si elle ne comprenait pas où je voulais en venir. Je continuai : « Ou plutôt, Sarah Shaheen ? »

En prononçant ce dernier nom, j'ai cru voir une étincelle s'allmer au fond de ses yeux, ils avaient brillé d’une intensité, comme si’ils percevaient l’écho d'un nom qu'ils commençaient déjà à oublier. Personne par ici, ne l'avait appelé ainsi. L’évoquer soudainement ne pouvait provoquer en elle qu'un certain plaisir ou au contraire, une nostalgie douloureuse.

Elle enfouit son visage entre ses deux mains puis en relevant sa tête, je m’aperçus que ses yeux avaient rougi.

« Vous vous rendez compte que vous me faites plus de mal avec cette question, que le fait même de m'avoir tiré dessus ? » déclara-t-elle en s’essuyant nerveusement l’œil avec le revers de sa manche.

Sa voix tremblait au fur et à mesure que son débit augmentait, quelques larmes commençaient à apparaître, mais elle réussit quand même à se contenir : « Même si je ne comprends pas, jusqu'à ce jour, les raisons qui vous ont poussé à agir de la sorte. Je n'ai jamais douté de votre état mental. Mais me parler encore d'elle dans des moments pareils… dites-moi... que dois-je penser de vous ?

– Ai-je vraiment prononcé ce nom et prénom avant même l'accident ?

– Vous vous jouez de moi ?

– Non absolument pas, je suis simplement confus ! Que vous ai-je dis à son propos ?

– Pourquoi toutes ces questions ? Pourquoi sont-elles si importantes pour vous ? Mon état vous importe-t-il si peu ? »

Elle s’arrêta pendant quelques secondes et reprit : « Vous êtes seulement venu chercher des réponses et nullement prendre de mes nouvelles. Rentrez chez vous, Kerwan, vous m'avez suffisamment fait du mal comme ça !

– S'il vous plaît, ne me jugez pas aussi vite, accordez-moi une autre chance. Pourrais-je vous revoir ? »

D’un air alarmé, elle rajouta : « Ne me demandez plus rien. Je vous ai accordé cet entretien dans l’unique but de ne plus avoir à faire à vous.

- C’est vraiment ce que vous voulez, ne plus me revoir ? »

Elle me regarda avec surprise comme si elle ne s’attendait pas à une telle question, elle rajouta d’une voix troublée en même temps qu’elle essayait d’attraper, de ses mains tremblantes, l’aiguille posée sur la table : « Peu importe ce que je veux. La question n’est pas là. De toute façon cet entretien est terminé ! »

Quelle frustration, je devenais de plus en plus confus. Qui était-elle vraiment ? Au premier abord j'étais sûr que c'était Sarah mais plus elle parlait moins j’étais sûr de son identité. Sarah ne m'aurait jamais montré ses faiblesses, elle était trop fière pour ça. Avec sa nouvelle position en tant qu'aristocrate, elle m'aurait fait évacuer sans problème. Tout ça ne m'expliquait pas comment Kerwan aurait pu évoquer Sarah Shaheen avant même l'accident ?

Quand sa mère et Andrew revinrent, la jeune fille changea bien vite d’humeur et déclara avec un sourire sarcastique : « Je vous avais bien dit qu'il ne s'excuserait pas ! »

Je me sentais coupable seulement envers Sarah. Pour ce qui est d’Élisabeth, c'était auprès de Kerwan qu'elle devait chercher réconfort.

Avant de sortir, je déclarai audacieusement : « Ça sera l'un de mes prétextes pour revenir vous voir »

Je quittai la résidence des Colins, déçu de ne pas avoir trouvé ce que j’étais venu chercher. Seulement ce jour-là, je fus réveillé au beau milieu de la nuit par la certitude que j'avais eu affaire à Sarah Shaheen. Bien que par moment, cette fille avait vraiment l'air sincère, mon flair de policier me disait qu'elle bluffait. Ses changements d’humeur remettaient en question sa crédibilité. Il y avait sûrement du vrai dans ce qu'elle affirmait mais pas assez pour me laisser croire que c'était bien Élisabeth. Elle avait réussi pendant un moment à me faire avaler cette histoire comme quoi Kerwan lui avait parlé de Sarah avant même l'accident.

Quand je fus convaincu qu'une semaine était amplement suffisante pour la laisser en paix, je décidais de reprendre contact en lui envoyant une lettre par le biais d’ Andrew.

Afin de lui montrer que j'y croyais à son jeu, j'avais dû demander, si ce n’était la supplier de m’accorder une autre entrevue. Malheureusement, je ne reçus de réponse.

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