Générosité 2

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Un garçon était en train d'ajuster la veste de son petit frère. Bien que ce fût le 21 juin, ce jour-là, il y avait un vent frais. La veste du plus jeune était toute déchirée, il tremblait quand elle fut enlevée. Je me dirigeai sans me rendre compte et le couvris avec la mienne. Il la repoussa de sa petite main en disant : « reprenez-la, monsieur, je vais la salir. » Je lui reposai sur les épaules et encore une fois, il l'enleva. Le plus grand me voyant agir ainsi, pris ma veste et la replaça sur son petit frère en insistant : « accepte-la. Tu en as besoin. » le cadet qui ne savait quoi faire, le regarda de son air innocent et répondit : « Mais, je vais la salir. »

L’aîné fronça les sourcils imposant ainsi son avis. Il resta dans cette posture jusqu’à qu’il fut sûr, que le plus jeune, avait compris le message. Puis, en changeant bien vite de tempérament, il se leva en s’adressant à moi : « Merci, Milord, que dieu vous garde ! »

Andrew se pencha au-dessus de moi, et me dit à l'oreille : « n'était-il pas plus convenable de lui donner quelques pièces pour s'en acheter une, au lieu de lui offrir la vôtre ? »

Aux yeux des riches, ce geste était inconcevable, mais pour mon bien-être personnel, il était dans mon devoir de le protéger. Ces gens-là voyaient, peut-être, dans mon acte quelque chose de déplacé, comme si j'avais laissé une partie de moi à un sale petit mendiant. Lui-même pensait ne pas la mériter. Je lisais dans certains regards : Quel gâchis ! Une si belle veste pour un tout petit bonhomme.

Les classes aisées, croyaient-elles à la spontanéité du cœur ? Ou au contraire, pour elles, tout était calculé !

En écoutant la dernière remarque d’Andrew, je lui fis signe de me prêter sa bourse afin de la donner aux deux jeunes garçons. Il écarquilla grandement les yeux, quand il me vit la donner tout entière.

L’aîné ne savait plus quoi dire, il était tellement embarrassé qu'il me demanda de la reprendre. Je le regardai de la même manière qu'il avait fait avec son petit frère quelques minutes plutôt.

Andrew, un peu contrarié par la somme d’argent offerte, me fit la remarque, comme s’il se souciait de leur sort :« Ils risquent de se faire voler en ayant un montant pareil. Puisque, ils ont nulle part où aller, Il vaut mieux les accompagner dans une auberge sécurisée. »

Nous les conduisîmes dans un endroit que Andrew connaissait fort bien, à mi-chemin entre ma demeure et la ville.

« Ne vous inquiétez pas ! s’exclama l’aubergiste en se frottant les mains, je m’occuperai d’eux, comme si c’était les miens. Je veillerais à ce qu’il ne manque absolument de rien, soyez en sûr. »

Tout cet enthousiasme n’allait certainement pas au-delà de la somme d’argents qu’on lui avait apportait. Donc, je lui fis la promesse, que dans les prochains jours, il recevrait un montant qui allait préserver les deux jeunes pendant quelques mois.

Sur le chemin du retour vers la demeure des Driscoll, je pensais tristement à tous ces enfants qui nous avaient regardé sortir du marché, ce matin-là sans qu’on leur donne rien. J'avais eu l'impression d'avoir fait du favoritisme en me comportant ainsi. Pendant tout le temps où nous étions en train de s’occuper des deux jeunes garçons, nul n’osait nous approcher ou nous demander aumône. C'était comme s’ils attendaient sagement leur tour en comptant sur moi pour dorénavant, leurs offrir le même sort.

Par la suite, je n'avais jamais été aussi généreux que cette première fois. Je me contentais seulement d'aider à nourrir les plus démuni avec le minimum possible. Ce dernier, était largement supérieure à ce que pouvait donner les riches à leur époque. Même si l'excès de zèle avec lequel je m’étais exprimé ce jour-là, m’avait procuré une grande satisfaction, je ne pouvais tout de même pas ruiner Kerwan Driscoll. Après tout, ce n'était pas à moi de résoudre le problème de la pauvreté du dix-neuvième siècle. Mais, pouvais-je vraiment me contenter d'une affirmation pareille ? Me freiner dans l’envie d’aider mon prochain ? Des gens mouraient de faim devant moi, ça se passait sous mes yeux. Pouvais-je vraiment me contenter de les regarder avec toute cette immense fortune à ma disposition ? Qu'avais-je fait à mon époque pour lutter contre la faim dans le monde ? Mise à part quelques dons ponctuels. Je n’avais absolument rien fais de sérieux. Je me contentais seulement d'en parler, et encore, les seules fois où je m’étais promis d'aider certaines personnes, je ne l'avais fait qu’à moitié. À vrai dire, entre ma bonne volonté et ce que j’étais capable de faire, il y avait tout un monde. Je n'allais jamais jusqu'au bout de cette envie de contribuer au bonheur des autres, malgré cet altruisme inné chez moi. L'illusion de pouvoir faire quelque chose me suffisait amplement. Que mes promesses se concrétisent ou pas, ce n'étais déjà plus mon problème.

L’une des vraies raisons qui m’avait poussé à aider les deux garçons, était cette envie vitale d’éradiquer ce sentiment de culpabilité qui me rongeait. Celui que j'éprouvais envers Sarah. Je devais me prouver que j'avais encore du cœur et que je valais autant que les autres. Sa soi-disant famille m'en voulait et cela ne me laissait pas indifférent.

Dans ma précédente vie, je fus habitué à ce qu’on ne m'apprécie pas. Disons que ma profession, ne laissait guère le choix au gens que, d'éprouver une certaine antipathie à mon égard. Mais une fois qu'on me retirait la couverture de l'inspecteur, que me restait-il qui aurait pu m'abriter contre les torrents de la mauvaise conscience ? Je devenais le seul responsable de mes actes. Ni ma profession, ni mon pays ne se trouvaient là, pour m’aider à supporter ce fardeau.

Je me rappelai l'histoire de ce jeune policier qui avait fait ses débuts dans notre secteur : un jour il eut la malchance, en début de carrière, de vivre une histoire semblable à la mienne en tirant sur un jeune qui se trouvait désarmé. Celui-ci mourut de ses blessures quelques heures après. Les collègues qui avaient remarqué le désarroi du jeune policier essayèrent tant bien que mal de le rassurer en lui disant qu'il n'avait fait que son devoir. Et que le monde, se porterait bien mieux en ayant un terroriste de moins. Il eut la même remarque de la part de son supérieur et qui lui confirmait que, bien entendu, la bavure serait couverte. Visiblement l'écho de la même phrase fit son effet pendant quelque temps jusqu’au jour où, le jeune policier explosa en une crise de nerf. Il avait insulté toutes les personnes qui se trouvaient sur son chemin y compris moi. Quelque temps après, il fut hospitalisé pour dépression.

Certain remirent en question le système. Car disaient-ils que le recrutement de nouveaux stagiaires ne filtrait pas assez les petites natures et que ceux qui n'avaient pas les nerfs assez solides, n'avaient rien à faire dans la police. Tandis que d'autres répondirent : bien que nous nagions consciemment dans la fabrication de nos propres problèmes nous restons malgré tous des êtres humains.

Mon chef me disait toujours que la culpabilité, était comme le dos d’un cheval. Il suffit de s’en habituer pour ne plus le ressentir. Contrairement à lui, je ne pense pas qu’il soit facile de s’en débarrasser. La culpabilité ronge et ne s’apaise, qui si nous acceptions d’arpenter le chemin de la rédemption.

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