L’arrestation 1/2

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En arrivant dans Jérusalem la nuit était déjà tombée. Je me garai bien vite dans un parking près de la porte de Damas. Tout le périmètre autour de la vieille ville fut encerclé. Un des policiers qui se trouvait devant la porte m’indiqua ou les rebelles s’étaient réfugiés. Ils se trouvaient dans le quartier chrétien près de la Basilique du Saint Sépulcre. Mon supérieur ne répondait toujours pas à mes appels ce qui me fit courir en empruntant l’allée de Souk Khan, mais en m'approchant de la Basilique, j’entendis trois coups de feu perçant le silence de ces lieux saints. L'assaut avait-il déjà commencé ? Mon cœur se mit à battre de plus en plus fort d’autant plus que j’accélérais ma cadence. « Mon dieu, faites qu'elle soit toujours vivante ! » Deux policiers couraient dans ma direction puis, ils descendirent la rue d’où je venais d’arriver. Une minute me suffit à me décider si je devais les suivre ou continuer sur mon chemin, après tout, je n'avais vu personne en cette direction. En arrivant au bout de la rue, j’aperçus mon chef et ses hommes, précisément en face de l'église, m’indiquant ainsi que s'était bien là que les rebelles s’étaient réfugiés. À ce moment précis, pris par une intuition étrange, au lieu d'aller à leur rencontre, je tournai à droite sur le chemin de Via Dolorosa. Celui-ci était complètement désert alors qu'à cette heure-ci, généralement il y avait du monde. Vu le sérieux des événements, la police aurait dû être présente. Tout d’un coup, sans aucune raison particulière, le son des sirènes, le tintement des cloches de l’église ainsi les cris des forces de l'ordre avaient été complètement absorbés par le silence. Cependant, le plus étrange restait à venir

Pour des raisons que j’ignorais, j’étais resté figé pendant un moment à fixer ce chemin pensant au Christ. Comme si cette arrestation avait perdu soudainement de son intérêt, je restai là à regarder cette allée envahi par sa présence. D’après les croyants, il l’avait parcouru en portant sa croix. A maintes reprises, j'étais passé dans cette rue et je n'avais jamais autant pensé à lui que à ce moment-là. Dans quel état d’esprit était-il, le jour de sa crucifixion ? Avait-il vraiment pardonné à ceux qui l’avaient trahi ? Avait-il compris la symbolique de son rôle joué dans ce bas monde précisément sur ce chemin ? Toutes ces questions persistaient dans mon esprit sans que je ne puisse rien faire. Je n'avais pas choisi l'endroit ni le moment pour tout cela. Celle qui me préoccupait le plus, c'était celle-ci : pourquoi la religion chrétienne avait-elle choisi cette symbolique en le représentant crucifié alors, que cela représentait seulement les dernières heures de sa vie ?

Perdu dans mes pensées, je ne réalisai pas qu'une étrange silhouette prenait forme non loin de moi. Au tout début, je croyais que c'était seulement un gros chat comme ceux que j'avais l'habitude de croiser dans ces rues mais plus je fixai cette chose plus je m’apercevais que sa forme se dépliait comme un papier qu'on aurait froissé ou peut-être plutôt...comme la naissance d'un papillon qui déploie ses ailes lors de sa métamorphose. La silhouette grossissait, s'étirait et se rallongeait jusqu'à prendre forme humaine, plus précisément celle d'une femme. Pendant l'espace d'une minute, tout me semblait logique comme si c’était un phénomène assez courant. Mais petit à petit, je réalisais que tout cela n'avait pas de sens. Peut-être était-ce un rêve lucide ?

Cette jeune femme m'observait sans bouger. En m'approchant un peu plus d'elle, je compris de qui il s'agissait. Que faisait-elle là ? D’après mes informations, elle était coincée dans l’église avec les autres. Sarah me regardait, elle aussi venait tout juste de remarquer ma présence. Elle me dévisageait comme si elle ne s'attendait pas à voir quelqu’un, alors que la ville grouillait de policiers.

Sa silhouette avait changé, elle avait beaucoup maigri. Sa chevelure longue et bouclée avait laissé place à une coupe carrée courte. Je l’aurais difficilement reconnue. Bien que ce fût l’été, elle portait un pull noir, col roulé à manches longues et un pantalon bouffant de la même couleur, serré à la taille. On aurait dit une djihadiste baba cool.

Quand une proie prend conscience que sa vie est menacée, alors instinctivement elle se met à courir. Chez Sarah c'était devenu une seconde nature. Tout le monde reconnaissait ça capacité à s’enfuir. Elle courait aussi vite qu'une gazelle et elle démarrait avant même qu'on s'en aperçoive. Cependant, dans cette pseudo réalité qui se présentait déjà d'une façon bien singulière, elle restait là, sans bouger et continua à me regarder. Je voyais bien qu'elle était désarmée et qu'elle attendait une réaction de ma part pour anticiper sa prochaine action. Comme ni la proie et ni le prédateur que nous étions ne bougèrent, je décidai enfin de lui parler dans sa langue maternelle afin de l'amadouer : « La ville est encerclée…ne m'obligez pas à vous courir après. »

Les muscles de son visage n’opérèrent aucun mouvement puis petit à petit, ils se décontractèrent pour finalement laisser entrevoir un rictus moqueur. Quand elle décida enfin de me répondre, elle le fit dans ma langue : « Pensez-vous vraiment pouvoir m’attraper ? ...Vous n'avez point réussi les deux dernières fois. Qui vous dit, que vous le pourrez aujourd'hui !»

Attendant une réponse de ma part mais comme elle ne venait pas, elle continua : « Comme dit le dicton : jamais deux sans trois ! »

Elle osait, sans aucune gêne, me narguer ouvertement. Croyait-elle vraiment avoir une chance au milieu de toute cette police ?

En me souriant malicieusement, elle rajouta cette fois-ci en français : « Attrape-moi si tu peux ! » Puis, elle se mit à courir plus vite que je l'aurais cru dans la direction contraire du chemin du Christ, et tout en se dirigeant vers la porte des lions, elle riait aux éclats.

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