Un pas après l'autre

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Ma respiration est lourde, plus lourde que d'habitude. Je me concentre, compte. Une inspiration, deux expirations, une inspiration, deux expirations. Tout va bien.

C'est sans doute qu'il fait trop chaud aujourd'hui. Ils ont annoncé une hausse des températures continue pour toute la semaine. C'est bien ma veine. Malgré l'heure avancée, le soleil ne daigne toujours pas disparaître, il reste à la lisière du ciel pour me narguer et m'aveugler.

La sueur coule le long de mon dos, de mes bras, tremper mes vêtements, mais ça ne me gêne pas. Sous mes pieds, malgré les semelles rembourées, je sens le bitume dur et brulânt. Il exhale encore un reste de chaleur accumulé dans la journée. J'ai mal, la plante de mes pieds me fait souffrir, mais je ne suis qu'à la moitié du chemin. Alors je continue.

Quand j'arrive enfin sur le chemin forestier, la fraîcheur de l'ombre arrive comme une délivrance. Je peux continuer, je peux le faire. Il faudrait, dans l'idéal, gagner dix secondes par kilomètres aujourd'hui. Mais l'important est ailleurs.

Je les ai toujours regardé de travers, ces gens qui se levaient de bon matin et courraient pendant dix kilomètres pour n'aller nulle part. Quel intérêt ? Quelle joie pouvait-on trouver là-dedans ? Je les méprisais, les moquais parfois, les trouvaient bien stupide de s'infliger une telle souffrance quand on peut rester tranquillement assis dans son canapé, devant un bon film et un chocolat chaud. Peu à peu, sans que je m'en rende compte, la curiosité a remplacé le dédain. L'image que je me faisais de ces gens, celle de la blondasse vaniteuse qui se force à courir juste pour rester mince est devenue celle de l'ultra-marathonien, et personne ne persévère pendant cinquante kilomètres juste pour rentrer dans un jean.

Le premier jour où j'ai chaussé mes baskets, j'ai compris. J'ai enfin compris. Après huit cents pénibles mètres, quand je me suis écroulée, le visage rouge, le ventre tordu de douleur et les jambes en miettes, j'ai compris.

Et aujourd'hui encore, quand la vie a décidé que tout irait mal, quand tout semble échapper à mon contrôle, quand le seul moyen de ne pas perdre la tête est de fuir ce monde de dingue, j'enfile mes baskets et je cours. Je cours jusqu'à en perdre la tête, jusqu'à ce que ma vision se brouille, jusqu'à ce que mes pieds enflent et rougissent, jusqu'à ce que ma peau brûle d'avoir trop vu le soleil. Certains se perdent dans le jeu ou dans l'alcool, j'ai décidé de me perdre dans la douleur. Peut-être est-ce une forme socialement acceptable d'auto-mutilation, qui sait ? Toujours est-il que désormais je suis en paix, en paix avec moi-même et avec mon incapacité à changer le monde, en paix avec la nature de l'homme, en paix avec notre existence de primates glorifiés vivant sur une immense sphère suspendue dans l'espace. Peut-être ne suis-je rien, mais cela ne m'empêchera jamais d'aller chaque jour un peu plus loin.

Si j'avais su plus tôt que c'était si simple.

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