La gouvernance de Slau 1 : Répression

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À peine de retour de son escapade à Paname, Mahoré fut convoqué à un conseil de guerre pour rendre compte de son action. Dans son for intérieur, il savait avoir abandonné ses soldats et subi une défaite cinglante. Malgré tout, il ne s'avouerait jamais avoir été impressionné par ce gamin à peine sorti de l'enfance. Il se souvenait de la panique qui s'était emparé de lui lorsque cet être de lumière aux ailes déployées l'avait paralysé dans les bois près du village de Stuttgart. Il avait ressenti ce même sentiment d'effroi quand il avait reconnu celui qui fut décapité sur les monts Atanary. Plutôt que de montrer son désarroi et sa faiblesse face au jeune homme, il avait préféré s'éloigner, fuir loin de sa présence.

Il lui fallait à présent justifier à son seigneur Slau cette fuite panique, sans perdre la face. Il prit une profonde inspiration en pénétrant dans le long couloir qui menait au quartier général. Les gardes prétoriens lui ouvrirent la porte. La salle grouillait de soldats devant leur écran. La table holographique montrait la région qui s'étendait de Stuttgart à la mer de Paname sur laquelle étaient penchés plusieurs officiers.

Il pénétra dans la salle de délibération où l'attendaient déjà Val Oris et Judicaret. Ces deux-là ne s'appréciaient guère. L'atmosphère pesante, conforme aux états d'âme de Mahoré, lui convenait. L'arrivée de Slau apporta un peu d'animation. Chacun oublia ses rancœurs en présence du maître. Quand tout le monde fut installé autour de la table, le messager se tourna vers l'intendant de Paname.

— Mahoré, expliquez moi votre départ précipité. J'attends votre rapport.

Son interlocuteur commençait à remuer sur sa chaise comme s'il était assis sur un braséro.

— Monseigneur, il est toujours vivant. C'est incompréhensible. Pourtant, vous l'avez décapité.

— Je sais tout cela. C'est parce qu'il est vivant que vous avez abandonné vos hommes ?

Mahoré sentait des bouffées de chaleur l'envahir.

— Non, monseigneur. Bien sûr que non ! Mais c'est un vrai fou furieux. Il a monté tout le village contre moi et surtout contre vous. Bien sûr, j'ai essayé de restaurer votre autorité, mais... mais... mais il a menacé les villageois de terribles représailles s'ils ne se rebellaient pas. Il faut le détruire, envoyer des bombes incendiaires pour raser l'île pour s'assurer que ce terroriste immonde, ce misérable déchet de l'humanité soit mort et que l'on s'en débarrasse.

Un sourire carnassier se dessina sur le visage de Slau.

— Ayez un peu de respect pour le jeune Matéo. Il a la moitié de votre âge et il vous a fait fuir dans la panique avec quelques villageois sans défense alors que vous l'avez affronté avec des soldats surentraînés et armés jusqu'aux dents. Je vais vous dire une chose Mahoré : il est de loin supérieur à tout ce que vous pourrez être. Vous n'arrivez pas à la couche de poussière qui se trouve sous sa semelle. Il possède une autorité et une puissance que vous n'aurez jamais de toute votre vie. Je sais que vous ne respectez rien ni personne. Ayez au moins la décence d'éviter de l'insulter. C'est le fils du messager, tout comme moi. Je vous ai envoyé vers lui pour vous apprendre la modestie, cela vous évitera à l'avenir de vouloir brûler de tout bois et de subir d'autres échecs humiliants.

— Monseigneur, c'est votre ennemi et je voulais le traiter comme vous-même...

— Dites-moi, qui vous permet de croire que vous pouvez m'imiter sous ce rapport ?

Mahoré se tenait raide sur sa chaise, les yeux baissés sous la semonce. Le messager se tourna vers les deux autres conseillers.

— Soumettre les ducs a été facile. Avec ce prétendu Shiloh, nous avons affaire à un ennemi qu'il convient de ne pas sous-estimer. Savez-vous pourquoi ?

Les trois militaires lui présentèrent un regard interrogateur.

— Parce qu'il possède l'art de gagner le cœur de ceux qui l'approchent. Tiens, un peu comme vous Judicaret avec vos soldats, toute proportion gardée ! Je n'ai pas attendu le retour de Mahoré pour prendre des dispositions en vue de contrer cette déplorable disposition. Nous sommes en guerre, une guerre psychologique où il convient d'isoler ce Shiloh autoproclamé. Je puis vous assurer qu'il ne trouvera plus de partisans sur sa route et cela ne nous coûtera pas un seul soldat. J'ai engagé de nouveaux travailleurs. Il faudra faire de la place dans les camps de travail. Mahoré, je vous charge d'éliminer tous ceux qui sont inaptes aux corvées : les vieux, les malades, les fainéants, les récalcitrants. C'est une chose que vous saurez mener à bien, j'en suis certain.

— Monseigneur, je vous remercie de la confiance que vous continuez à m'accorder.

— Avant cela, accueillez les nouvelles recrues et affectez les à un poste de travail, qu'ils soient utiles à quelque chose. Val Oris vous secondera dans cette tâche, car je veux que ce soit terminé dans une semaine. Vous effectuerez la même épuration à l'agogé. Les récalcitrants ne doivent plus contaminer ceux qui coopèrent. Le temps de finasser est terminé. Nous devons nous concentrer sur Matéo et toute sa bande.

Slau marqua un temps d'arrêt pour retenir toute l'attention de ses interlocuteurs.

— Je veux que vous contrôliez la mise en place des directives suivantes et si ce n'est pas le cas, de les faire appliquer. Vous utiliserez tous moyens pour mettre le peuple en situation d'insécurité permanente : insécurité physique, alimentaire, économique. Leurs besoins vitaux comme la nourriture, le logement devront dépendre de votre bon vouloir. Vous leur fournirez juste le nécessaire à leur survie. Exacerbez leurs angoisses. Inventez des dangers imaginaires. Un peuple qui s'inquiète pour sa vie, son travail, sa famille, son logement, sa nourriture pense moins à se révolter et sera plus docile. Il acceptera plus facilement d'échanger sa liberté contre les nécessités de la vie.

Une heure plus tard, en sortant de la salle du conseil, Judicaret se sentait à la fois soulagé et inquiet. Il se demandait comment on pouvait ressentir dans le même temps et avec autant de force deux sentiments aussi contradictoires. Ce Mahoré le répugnait de plus en plus. Chaque jour, il démontrait davantage son incompétence notoire. Il ne savait que foncer dans le tas, sans réfléchir. Pas étonnant que Slau lui réservait les basses besognes que l'on ne confie qu'à des personnes sans honneur. Le messager ne voulait sans doute pas risquer un refus s'il lui avait confié l'horrible tâche de tuer de sang froid des innocents, vulnérables de surcroit. Tuer des enfants ! Il serra les poings pour contenir sa colère quand une petite voix cristalline résonna dans le couloir.

— Mon commandant.

Le militaire se retourna. Un jeune garçon d'une dizaine d'années courait dans sa direction.

— Mon commandant, suivez-moi s'il vous plaît.

— Te suivre où ?

L'enfant lui répondit avec une autorité qui l'étonnait.

— Suivez-moi sans discuter s'il vous plaît. La personne qui veut vous voir vous expliquera.

Il le mena par un escalier de service, emprunta une porte dérobée, parcourut d'étroits couloirs interminables et atterrit finalement dans de magnifiques appartements privés du château. Une silhouette gracile se détachait de la porte fenêtre et lorsqu'elle se retourna, Judicaret reconnut Dame Cunégonde. Il s'agenouilla.

— Relevez-vous, commandant. Sur votre honneur de soldat, jurez-moi que notre conversation restera secrète.

Surpris par la demande, il s'exécuta.

— Je le jure ma Dame. Rien ne sortira d'ici.

— Je sais que depuis quelques temps, le seigneur Slau ne vous confie plus aucune responsabilité. Sachez que sa confiance en vous s'est émoussée : il vous trouve trop timide, trop timoré. Je voulais vous avertir que Mahoré et Val Oris conspirent contre vous, mais ils n'ont pas réussi jusqu'à présent à convaincre le messager.

— Milady, comment savez-vous tout cela ? Pardonnez ma hardiesse.

— C'est Slau qui s'est confié à moi. Il est sur le point de vous disgracier. Soyez sur vos gardes.

— Vous le trahissez en m'avertissant de cette manière, pourquoi ?

Cunégonde se sentait redevable envers Slau qui l'avait recueillie et élevée comme sa propre fille. Sa reconnaissance pour son bienfaiteur lui avait jusqu'à présent fermé les yeux sur toutes les exactions dont elle avait été témoin et qu'elle désapprouvait. Elle ne pouvait plus accepter la maltraitance sur les enfants dont la situation lui rappelait ce qu'elle avait elle même vécu et pour lesquels elle avait développé une profonde empathie.

— Comme vous, je ne peux accepter la tournure que prennent les événements. Je pensais qu'il voulait libérer le peuple de la dictature des ducs, mais il impose une dictature plus ignoble encore, jusqu'à sacrifier des enfants. Sa gouvernance commence à menacer ceux que je protège.

Judicaret fixa avec étonnement son interlocutrice. Jusqu'à ce jour, il l'avait considérée comme une sorte de poupée de luxe que Slau traînait dans son sillage pour donner un semblant d'humanité à sa politique et lui rallier ainsi les indécis. Il n'aurait jamais imaginé que sous cette beauté parfaite se cachait le courage d'une femme de tête.

— Je sais qu'une partie de l'armée vous est acquise. Acceptez-vous de vous rallier à ma cause ?

— Je suis à votre service Milady. Dites-moi comment je peux vous être utile.

— Je vous contacterai en temps utile. Pour l'instant, pouvez-vous prélever discrètement dans les réserves de l'armée et charger dans une barge des provisions suffisantes pour deux cents personnes pendant trois mois ?

— Pour l'armée, les rations sont illimitées. On ne fait jamais d'inventaire. Je peux me servir sans éveiller l'attention.

— Parfait, commandant. Vous pouvez me les livrer cette nuit ?

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