Mahoré 1 : Inspection

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Les deux sentinelles se mirent au garde-à-vous lorsque Mahoré sortit du palais ducal. Il avait rendu compte de la situation sur l'île de Paname après l'interrogatoire des deux miliciens que son administrateur lui avait envoyés en matière d'appel de détresse. Slau s'inquiétait des récents événements qui, liés au rapport du drone sur la sortie d'une barge du sanctuaire, alimentaient ses pires craintes. Il demanda à son Intendant de se rendre sur place avec quelques hommes vérifier l'identité de ce rebelle qui osait le défier.

Il descendit le Grand escalier d'honneur situé entre le palais ducal et la Place de l'Harmonie céleste où attendait son chauffeur.

— Au centre de régénération.

Mahoré resta pensif pendant tout le trajet. Un souvenir le troublait : la décapitation de l'individu nommé Matéo. Il sourit à cette évocation et ne regrettait pas d'avoir donné un coup de pied dans la tête qui avait roulé sur les cailloux près de la Brèche de Roland. Ce triste sire n'avait que ce qu'il méritait pour l'avoir empêché de prendre possession de son bien particulier : le jeune aveugle Baby. Ce qui le troublait venait de l'invraisemblable idée que ce soit ce même Matéo qui serait à l'origine des troubles de Paname qu'on lui avait rapportés. Il chassa cette pensée de son esprit. La mort ne rendait pas ce qu'elle prenait.

— Monseigneur, nous sommes arrivés.

Le conducteur fit signe au soldat qui ouvrit la portière.

— Bienvenue Monseigneur ! J'ai l'honneur de vous accompagner pour votre inspection.

Mahoré s'extirpa du véhicule et se dirigea droit vers l'entrée située sur le pignon du bâtiment tout en longueur, sur trois étages. Un escalier menait aux coursives des deux premiers niveaux. Le troisième était totalement isolé. Seul, un ascenseur y menait. Des cellules, pompeusement nommées appartements, donnaient sur les coursives de deux mètres de large avec un vide au milieu qui permettait de voir jusqu'au rez-de-chaussée.

— Ce niveau contient la pouponnière. Comme vous le voyez, les chambres ont été dotées de berceau, d'un ensemble pour langer et d'une baignoire intégrée pour les soins.

Mahoré tira un rideau. La nurse en train de donner le sein se leva.

— Ne bougez pas. Continuez votre travail, ordonna l'Intendant sur un ton froid.

— Les enfants sont sevrés à un an puis partent chez les poussins au premier étage. Les louveteaux, de sept à dix ans, vivent au second. Au-dessus, c'est le quartier de l'insémination.

— Je désire inspecter ce quartier. Tout se passe dans le calme là-haut ?

Le guide descendit au rez-de-chaussée, pénétra dans l'ascenseur et composa un code.

— Oui, Monseigneur ! Les récalcitrantes comprennent très vite où est leur intérêt. Les mégères sont définitivement séparées des autres... Vous voyez ce que je veux dire ?

— Parfaitement !

Le quartier de l'insémination s'étalait de part et d'autre d'un long couloir large de trois mètres qu'un mur séparait en deux parties.

— Tout au fond, derrière le mur, c'est le quartier des jeunes filles. Ici, nous sommes dans le quartier des mères. Elles sont enceintes. L'insémination a lieu tous les soirs de 20 heures à 3 heures du matin. Les soldats peuvent venir après leur service mais doivent s'inscrire sur un registre pour réserver un créneau horaire. Pour vous, Monseigneur, bien entendu, vous pouvez venir à votre convenance.

— Je sais. Je suis satisfait de l'organisation que vous avez mise en place.

— Je suis très flatté. Merci beaucoup.

— Montrez-moi les registres.

Ils descendirent dans un bureau au rez-de-chaussée. Mahoré tourna les pages d'un air circonspect.

— Il me semble que les effectifs baissent ?

— Oui, Monseigneur. La mortalité est assez élevée, la plus élevée depuis l'ouverture du centre. Après sept ou huit accouchements consécutifs, elles sont moins robustes, forcément.

— J'en parlerai à Val Oris. Quelques raids dans les villages et nous remplirons votre maternité.

— Avez-vous des naissances ce mois-ci ?

— Une dizaine en tout. D'ailleurs, aujourdh'ui, nous en attendons une onzième. La mère est en travail depuis hier. Le bébé ne veut pas sortir. Le médecin est désemparé car la vie de la mère et de l'enfant sont en jeu. C'est son premier et ça ne se passe pas très bien. Elle souffre beaucoup. Il faut dire qu'elle est très jeune.

— Tsss Tsss ! Ça n'est même pas fichu de nous pondre un marmot à son âge. Elle ne sert à rien. Sauvez l'enfant. La mère est remplaçable.

— A vos ordres !

Le soldat accompagna sa seigneurie jusqu'à sa voiture qui le conduisit au centre éducatif qui comprenait trois quartiers en étoile. Les gardiens désignaient par le terme de meute l'ensemble des enfants qui y étaient hébergés tout comme le duc de Sangamouji appelaient barbares les habitants des campagnes.

Les jeunes de dix à douze ans logeaient dans le quartier A, les douze quatorze dans le B tandis que le C était destiné aux adolescents jusqu'à leur dix-huit ans, âge auquel ils étaient enrôlés dans l'armée. Les quartiers B et C étaient les plus difficiles, la crise identitaire y aidant. Ils avaient besoin d'espace mais étaient confinés. Les salles et terrains de sport ne suffisaient pas à absorber leur trop plein d'énergie. De plus en plus de jeunes ne supportaient plus la vie spartiate et la discipline de fer que le règlement leur imposait. Si on voulait les rendre réfractaires à toutes contraintes, on ne s'y prendrait pas autrement. Tous souffraient d'un manque d'affection et cela se reflétait dans leur comportement. Ils n'avaient qu'une idée en tête qu'une génération transmettait à la suivante : fuir cet endroit maudit.

La sécurité fut renforcéé, la discipline plus stricte où la violence était monnaie courante. Des murs, des barbelés, des serpents à plume, des rondes, des drones avaient permis d'éradiquer l'hémorragie des fugues si bien que pour la première fois, les effectifs se stabilisèrent. Mahoré se montra satisfait de ces résultats et impitoyable envers les graines de rebelle.

— Montrez moi les cachots

Les deux gardiens, matraque en main le conduisirent au niveau -2 qu'éclairait une lumière chiche. Les punis se trouvaient de ce fait continuellement dans la pénombre sauf dans le cas où on allumait jour et nuit de puissants projecteurs associés à une sirène stridente pour casser leur volonté. Ils actionnèrent un interrupteur et ouvrirent la porte blindée dans un bruit métallique qui résonna dans toute la cellule.

L'adolescent, crâne rasé, vêtu d'un simple pagne, mit la main devant les yeux, ébloui par le projecteur dirigé sur lui.

— Lève-toi devant Monseigneur Mahoré.

Le prisonnier s'exécuta.

— Baisse les yeux, ordonna Mahoré.

L'enfant soutint son regard. Il ne vit pas venir le coup de matraque. Il poussa un hurlement rauque en se massant le bras.

— À genoux !... Notre Suprême Leader a un projet qui permettra à chacun de vivre dans la paix et le bonheur. Dans sa bonté, il nous accorde de collaborer avec lui. Ceux qui refusent, refusent aussi le monde idéal qu'il nous propose et se constituent ainsi les ennemis du bien comme le sont les terroristes et ceux qui égarent les bonnes âmes par leurs idées fallacieuses et subversives. Tu devrais t'estimer privilégié d'être incorporé dans l'armée de notre Suprême Leader. Si tu veux être un bon soldat utile à notre Leader, tu dois apprendre la discipline et comme l'enseigne notre bien-aimé Leader, celui qui aime bien châtie bien.

Sur un signe de Mahoré, les gardiens le tasa à plusieurs reprises, insensibles à ses cris. L'adolescent se recroquevilla, les bras autour de la tête. Après lui avoir donné quelques coups de pied dans les côtes, ils sortirent.

— S'il n'a pas compris la leçon, vous l'éliminez. Un ver est toujours néfaste pour le fruit. Montrez-moi le registre.

Des rapports médicaux lui avaient fait état d'abus sur les jeunes de la meute. À titre personnel, il n'était pas attiré par les garçons, mais il ne s'opposait pas à ce que certains des gardiens assouvissent leurs désirs sur des adolescents ou les enfants à peine pubères. Pour amuser la galerie, il lui arrivait de leur rappeler qu'en attendant d'être de la chair à canon, ces jeunes constituaient une réserve de chair fraîche que leurs tortionnaires pouvaient consommer sans modération. Cet encouragement leur garantissait l'impunité sous réserve que leurs exactions se fassent dans le cadre de la correction infligée aux récalcitrants et autres rebelles.

Mahoré les justifiait par la nécessité d'apprendre à ces petites têtes brûlées la discipline et l'obéissance aveugle aux ordres donnés. Des soldats avec de graves traumatismes dans l'enfance tuaient sans remords, comme une reproduction de ce qu'ils avaient subi. Mais cette rigueur dans leur éducation avait contribué à former une petite armée de fugueurs intrépides, imprévisibles, autant insaisissables qu'efficaces quand il leur prenait envie de mettre la pagaille dans les camps.

Ainsi, le beau système d'oppression, comme il aimait à le qualifier et qu'il avait mis en place avec toute l'ardeur que lui inspirait l'adulation qu'il portait à son maître, commença à se fissurer. Maintenant que la sécurité dans les camps avait été renforcée, Slau lui avait intimé l'ordre de régler au plus tôt les problèmes de Paname avant que tous ces troubles viennent fissurer son autorité et soient portés à la connaissance de la population.

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