Foutue peinture

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Claquant la porte derrière elle, Astride quitta son appartement à pas vifs. Elle descendit les marches rapidement, sortit de l’immeuble et longea les rues de son quartier.

Elle ne supportait plus les disputes incessantes de ses parents. C’était devenu une sorte de rite ; son père rentrait du travail, sa mère l'assommait de questions inconfortables, il craquait et elle criait. Ils haussaient le ton tous les deux, chacun voulait intimider l’autre au point d’oublier l’existence d’une jeune femme. Au début, Astride pleurait durant ces altercations épineuses, elle était effrayée à l’idée d’une séparation. Puis, elle essayait de les raisonner à travers une discussion productive et calme, mais ces mots ne faisaient pas partie du vocabulaire de ses géniteurs. Désormais, elle s’en fichait, elle s’était même mise à espérer le divorce.

Elle arriva à la grande place de la ville où elle tomba sur une brocante. Plusieurs familles s’arrêtèrent pour observer les marchandises proposées, d’autres critiquèrent la niaiserie de certains produits sans jamais être satisfaits. Astride ne fut pas intéressée. Elle s'installa sur un banc avant de sortir de son sac -qu'elle avait emmené avec elle- une palette en bois et des tubes de peinture, accompagnés de plusieurs pinceaux de taille différente.

« Zut ! J’ai oublié mon calepin ! »

Elle se maudit intérieurement. Bien que l’envie de retourner chez elle soit tentante, elle préféra rester assise là qu’à rejoindre cet enfer où deux personnes s’insultaient avec des mots aussi blessants les uns que les autres. Elle s'adossa au dossier du banc et contemplait les passants ; elle s'amusa à deviner leur classe sociale, leurs métiers et leurs situations. Elle s’en lassa bien vite. Elle se releva machinalement en cachant ses outils et se dirigea vers la foule. Elle slaloma entre les personnes qui avaient tendance à gêner le passage à cause d’un coup de téléphone.

Elle n’aima pas tout ce monde, elle ne supporta pas ce contact si régulier entre ces gens et elle. Ils lui donnèrent l’impression de suffoquer. Astride s’arrêta un instant devant un stand pour calmer son rythme cardiaque.

Elle voulait dessiner, attraper un pinceau et vider tout ce qu’elle ressentait à ce moment précis. Le dessin était son échappatoire, un moyen de quitter ce monde le temps de quelques heures.

Son regard chocolat tomba sur une toile vierge. Astride ne réfléchit pas deux fois avant de demander le prix.

« Je vous l'offre, cela fait des semaines qu’il traîne ici. »

La jeune femme ne chercha pas plus loin. Elle prit le tableau et partit -presque en courant- vers le parc de la ville où elle se mit devant un petit lac. Elle se retrouva seule, dans son coin. La blonde plaça la toile et l’observa quelques secondes. Elle attrapa un crayon et dessina la base avec délicatesse et finesse, deux éléments importants dans l’art du dessin. Son professeur lui avait toujours appris à prendre tout le temps qui lui faut, à aller doucement et ne jamais se précipiter. À cette pensée, elle jeta le crayon ; une rage folle s’empara d’elle. Astride vida les tubes de peinture sur la palette et l’étala dans ses mains.

« Fini la gentille et petite fille ! »

Elle éclaboussa du rouge et du bleu, puis du jaune et du noir. Elle mélangea les couleurs avec fureur et colère. Ses ongles, si bien limés, laissèrent des traces de griffures sur la toile. Les couleurs s’incorporèrent, donnant un résultat impressionnant ; bien que la jeune femme n’ait pas respecté les règles de l’art, elle prit en compte la signification des couleurs.

Essoufflée, Astride admira l’œuvre qu'elle créa en quelques minutes. Le rouge fut le plus présent, la moitié de la toile blanche se changea en un tableau écarlate. Légèrement mélangé au jaune, on dirait un incendie qui exprimait la colère de la femme. Accompagné d’un mélange plus sombre, en haut de la toile, le bleu et le noir reflétaient sa tristesse et son désarroi. Au fond, elle ne souhaitait perdre ses parents, leur complicité et amour d’autrefois…

La jeune femme aux longs cheveux cendrés quitta le parc après s’être nettoyée. Elle arriva dans son quartier où elle imagina une sérénité, flottant dans sa maison. Ce fut en soupirant qu’elle découvrit une foule incroyable devant son immeuble. Intriguée, elle se rapprocha de l’assemblée et regarda dans la direction où tous les yeux étaient fixés ; des flammes sortaient d’une fenêtre d’un appartement. Son appartement.

« Oh mon Dieu ! Astride, tu es saine et sauve ! Cria une voisine bien enrobée, les mains tremblantes.

-Que s'est-il passé ?

-Nous ne savons rien, ça a explosé d’un seul coup et j’ai essayé d’appeler ta mère, mais personne ne répondait alors j’ai cru qu’une chose grave s’est produite, j’ai donc essayé de te joindre, mais tu ne répondais pas non plus. Où est ton téléphone ? S'emporta la voisine. »

Astride ne répondit pas. Elle accourra vers l’immeuble et monta les escaliers deux par deux. La fumée l’empêcha de voir au-delà de la porte d’entrée, légèrement entrouverte. La jeune femme toussa plusieurs fois, elle entra dans l’appartement et ce qu’elle vit la fit tressaillir. La scène qui se déroulait sous ses yeux ressemblait à sa création ; ce feu, ces couleurs cette frayeur et tristesse, tout était identique !

Sauf, la présence de cet inconnu aux longs cheveux ébène, vêtu d’une longue robe blanche. La personne était debout, face au mur où deux corps étaient accrochés comme des pantins. Le sang coulait à flot, leurs yeux étaient vides et leur souffle était coupé. Ses parents étaient morts.

Astride cria à en arracher ses cordes vocales, elle s’approcha d’un pas lent vers les dépouilles en ignorant la présence cet inconnu. Les larmes parlèrent le long de ses joues tandis que son beau regard se posa sur ce qui restait de ces géniteurs.

« Pourquoi ? Comment ? Balbutia-t-elle.

-N'était-ce pas ton désir ? »

Ce fut une voix forte déplaisante qui avait laissé un écho qui frissonna la jeune femme. Son corps tremblait, ses jambes ne la soutenaient plus. Elle tourna doucement la tête, ses yeux -déjà écarquillés par l’affreuse voix de son interlocuteur- s’agrandirent encore plus face à l’horreur qui se tenait devant elle ; un visage long, des joues creusées, une grande bouche étirée en un effroyable sourire et des yeux globuleux qui la fixaient avec insistance. Un teint blanc, de longs doigts et des ongles acérés. Une partie de son cou manquait, comme arrachée, laissant paraître la noirceur de son sang.

La sirène des pompiers s’entendait dans tout le quartier, pourtant, Astride n’entendait que les dernières paroles de cette chose qui la hantèrent durant sa vie entière.

« Tu m'as ordonnée de les tuer. »

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