Acte unique

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Décor neutre. Plateau nu.

La trompette sonne. Suit une pantomime :

Entrent Hamlet père et Gertrude, Gertrude l’embrasse et il l’embrasse. Elle s’agenouille et fait à Hamlet force protestations d’amour. Il la relève, et incline sa tête sur sa nuque, il s’étend. Le voyant endormi, Gertrude le quitte. Entre alors Claudius, qui ôte à Hamlet sa couronne, embrasse celle-ci, verse du poison dans l’oreille du dormeur, et le quitte. Gertrude revient, trouve Hamlet mort et s’abandonne au désespoir. Claudius revient, feint de se lamenter avec elle. Le cadavre est emporté. L’empoisonneur courtise la reine avec des cadeaux. Elle semble un moment le repousser, mais à la fin accepte son amour. Ils sortent tous les deux.

Entre Hamlet fils.

HAMLET :

Mort à peine depuis deux mois, non, pas autant, pas deux,

Un si excellent roi, qui était si tendre pour ma mère

Qu’il ne permettait pas aux vents du ciel

De toucher trop rudement son visage. Ciel et terre,

Est-ce à moi de m’en souvenir ? Oh! Elle se pendait à lui

Comme si son appétit de lui croissait

De s’en repaître, et pourtant en un mois,

Un petit mois, les souliers n’étaient pas même usés

Avec lesquels elle suivait le corps de mon pauvre père,

Tout en larmes, elle, oui, elle se mariait à mon oncle,

Le frère de mon père, mais qui ne ressemble pas plus à mon père

Que moi à Hercule…

Ô Dieu, une bête à qui manque la faculté de raison

Aurait pleuré plus longtemps !

Maintenant, public, écoute.

On a fait croire que, dormant dans son verger,

Mon père fut piqué par un serpent. L’oreille entière du Danemark

Est par un récit contrefait de sa mort

Grossièrement trompée. Mais sache, noble public,

Que le serpent dont la piqûre a tué mon père

Porte aujourd’hui sa couronne.

Mon oncle !

Ô traître, traître, traître souriant et damné !

Il me faut le confondre !

Hum, j’ai entendu dire

Que des créatures coupables assistant à une pièce

Furent par l’art de la scène

Si fortement frappées à l’âme que sur-le-champ

Elles proclamèrent leurs forfaits ;

Car le meurtre, bien qu’il n’ait pas de langue, a pour parler

Une voix miraculeuse. Je ferai jouer par des comédiens

Devant mon oncle quelque chose qui ressemble

Au meurtre de mon père. J’observerai ses traits,

Je le scruterai au vif. S’il tressaille,

Je sais ma route.

Le théâtre sera

La chose où je prendrai la conscience du roi.

Je t’en prie, public, quand tu verras cet acte en marche,

De toute la concentration de ton âme

Observe mon oncle.

Rentrent Claudius et Gertrude, qui s’installent à droite de la scène pour assister au spectacle. Hamlet s’installe à gauche. La trompette sonne. Suit une pantomime :

Entrent un Père et une Mère. Le Père rentre du travail. La Mère lui enlève son manteau et son chapeau, il va s’asseoir dans son fauteuil, et elle lui apporte sa pipe et son journal. Il lit un moment, puis s’endort. Entre alors le Facteur, qui se coiffe du chapeau du Père, avant de l’étouffer avec un coussin. Il prend la Mère par la taille, l’embrasse, et tous deux sortent joyeusement. Le fauteuil avec le cadavre est emporté.

Entre le Fils.

LE FILS :

Il y a deux semaines, papa est mort. Maman a un peu pleuré, mais pas assez. Au bout d’une semaine déjà, ses yeux étaient secs. Maintenant, elle fait comme si papa n’avait jamais existé. Je viens de la voir partir avec M. Claude, le facteur. J’espère qu’ils ne feront rien de malséant.

Écoute-moi, prince Hamlet. Il paraît que papa est mort d’une embolie pulmonaire. C’est ce que tout le monde dit. Mais moi, je sais que c’est faux. Sache-le toi aussi, noble Hamlet : l’embolie qui a terrassée mon père porte aujourd’hui son chapeau.

M. Claude ! L’assassin, le meurtrier, le traître ! Mais personne ne me croira, si je dis la vérité. Il me faut des preuves.

Ah ! J’ai entendu dire que, dans certains procès, les accusés se retrouvaient confrontés à des extraits de vidéosurveillance sur lesquels apparaissait leur crime. Devant ces preuves irréfutables, ils cessaient immédiatement de nier et s’effondraient en larmes, et alors ils confessaient tous leurs méfaits.

Je n’ai pas de vidéo de M. Claude, mais je peux lui faire voir une mise en scène qui ressemble au meurtre de papa. S’il te plaît, Hamlet, observe bien son visage, note toutes les grimaces qu’il fera devant ce spectacle, et tu verras qu’il est coupable.

Rentrent le Facteur et la Mère, qui s’installent à droite de la scène, devant Claudius et Gertrude. Le Fils s’installe à gauche, devant Hamlet. La trompette sonne. Suit une pantomime :

Entrent un Vieux et une Vieille en déambulateur. Ils dansent une petite gigue, puis commencent à jouer au scrabble. Entre alors un Clochard, qui poignarde le Vieux. La Vieille rit et le roue de coups avec son déambulateur. Puis elle se déshabille, le Clochard la prend sur son épaule, et ils sortent.

Le Jeu de Scrabble, qui est tombé à terre, frémit et se redresse.

LE JEU DE SCRABBLE :

Merde. Je crois que le vieux est mort. Fait chier. C’était l’un des derniers qui s’intéressait à moi. Quelle faux-cul, cette vieille salope. Je savais qu’elle finirait par le buter. Il est mort de vieillesse, qu’on va dire, c’est normal dans un home, tous les vieux finissent par clamser. Mais excuse-moi, fiston, la vieillesse ça te pète pas des membres comme ça. Non, ça, c’est un putain de meurtre, mon gars. Parole de scrabble. (Il renifle) Tu sens ? Le Clodo est passé par là. Mais si, celui qui rôde toujours autour du home. Il a dû réussir à entrer.

Écoute-moi, fiston : le Clodo va revenir ici, car un meurtrier revient toujours sur les lieux du crime. Je vais lui faire voir un truc un peu comme ce qu’il vient de faire, et tu verras qu’il va se chier dessus ! On va l’avoir, l’enculé !

Le cadavre du Vieux est emporté. Rentre le Clochard, qui s’installe à droite de la scène, devant le Facteur et la Mère. Le Jeu de Scrabble s’installe à gauche, devant le Fils. La trompette sonne. Suit une pantomime :

Entrent un Œuf au Plat et une Tranche de Pain. Ils se saluent, gênés, avant de s’asseoir côte à côte comme à un arrêt de bus ou dans une salle d’attente. Entre alors la Bouche, qui se saisit du pain, le déchire, et en trempe les morceaux dans le jaune d’œuf. Cris d’horreur. La Bouche mange tout, puis s’en va, satisfaite.

Entre l’Omelette.

L’OMELETTE :

Quoi ! Tout manju ! Plus que des miettes ! Comment c’être possible ? Tout a disparé ! Tous morts, tous décédus ! Grosse bouche méchiante ! Tu les as tués-mangés ! Le pain et l’œuf, la faim et peuf, finpeufteufkeufkeuffafépabien ! J’ai triste ! J’ai colère ! Vengeaison ! Vengeaison ! Tuvavoarsketuvavoar ! Regarde bien avec tes yeuzes ! Tu vas reconné ta crimation !

Rentre la Bouche, qui s’installe à droite de la scène, devant le Clochard. L’Omelette s’installe à gauche, devant le Jeu de Scrabble. La trompette sonne. Suit une pantomime :

Entrent une Fonction Exponentielle et une Fonction Sinusoïdale. Elles font des claquettes. Entre alors le Ça Freudien, qui projette la Fonction Exponentielle au sol avec une violence extrême. La Fonction Sinusoïdale cesse de faire des claquettes, et se met à trembler. Le Ça Freudien la regarde longuement, rote, et s’en va en faisant des roulades. La Fonction Sinusoïdale regarde le cadavre de la Fonction Exponentielle, puis le plafond, puis à nouveau le cadavre. Puis elle sort nerveusement, en traînant le cadavre.

Entre la lettre K.

LA LETTRE K, hurlant :

MORT. TUÉ. (Silence.) PREUVE. COUPABLE. SPECTACLE. SPECTACLE. SPECTACLE. SPECTACLE. SPECTACLE. SPECTACLE. SPECTACLE.

Rentre le Ça Freudien, qui s’installe à droite de la scène, devant la Bouche. La Lettre K, tout en continuant de hurler, s’installe à gauche, devant l’Omelette. La trompette sonne, la Lettre K se tait. Suit une pantomime :

Entrent un Tas d’Organes et un Orgue. Pendant un moment, dialogue entre les pets visqueux du Tas d’Organe et la même note de l’Orgue. Entre alors un Organiste, qui glisse sur les organes et s’énuque contre l’orgue. Silence. Entre un Concierge, qui soupire de dépit. Il nettoie le Tas d’Organe, débarrasse le cadavre de l’Organiste, et installe l’Orgue à droite de la scène, devant le Ça Freudien. Puis il s’installe à gauche, devant la Lettre K. La trompette sonne. Suit une pantomime :

Entre un Fœtus. Il fait un peu de corde à sauter avec son cordon ombilical, puis s’arrête, soupire, sanglote un moment, et sort de scène. Il revient avec un tabouret, grimpe dessus, et se pend avec son cordon ombilical.

LE CONCIERGE : Lumière !

LE ÇA FREUDIEN : Lumière !

LA BOUCHE : Lumière !

LE CLOCHARD : Lumière !

LE FACTEUR : Lumière !

CLAUDIUS : Lumière ! Arrêtez la pièce !

HAMLET : Quoi, effrayé par un coup de feu à blanc ?

GERTRUDE : Êtes-vous souffrant, mon seigneur ?

CLAUDIUS : Donnez-moi plus de lumière. Partons.

Tous sortent sauf Hamlet.

HAMLET :

Oh ! public, tu as vu ? Dès qu’il a été question de meurtre ?

Voici venu le temps des nuits de sorcellerie,

Quand bâillent les cimetières, et que l’enfer lui-même souffle

La contagion sur ce monde. À présent je pourrai boire du sang chaud,

Et perpétrer un acte si amer que le jour

Frissonnerait de le voir.

Mais, doucement !

(Il s’interrompt)

Je sens un doute pénétrant ronger mon âme. Ne suis-je pas moi-même le fruit de quelque grotesque pantomime, destinée à démasquer un traître ? Pourquoi ne le serais-je pas, après tout ? Si tel est le cas, où donc se cache ce traître ? Quel est-il, ce meurtrier ? (Il s’avance dans le public) Est-ce toi ? Est-ce toi, coquin ? Ah-ah ! celui-ci pourrait bien être un assassin ! Ô toi, infâme traître ! quel fils as-tu rendu orphelin ? quelle couronne as-tu usurpée ? Prends garde, car la vengeance, tôt ou tard, s’abattra sur toi, comme le vol de corneille sur la charogne putride.

Mais peut-être n’es-tu, toi aussi, qu’un personnage de pantomime. Peut-être que là-haut, te voyant te débattre dans les méandres de ton crime, un dieu vil est torturé de doute et de culpabilité. Peut-être ! Peut-être !

Il se met à rire. Les lumières s’éteignent. Le rire continue dans le noir.

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