Chapitre 3

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Alan tremblait. Mais ce n’était pas le vent froid de la nuit qui le glaçait. Il n’avait pas rêvé, il en était certain. Ses yeux avaient bien vu une femme plonger dans le noir total et disparaître avec une aisance singulière vers les profondeurs. Comment était-ce possible ? Seul un fou oserait tenter de regagner la mer depuis cette grotte, sans visibilité ni équipement de plongée.

Le doute animait ses pas. Il n’était pas pressé de rentrer, mais il savait d’avance que son père serait furieux. Alan ne craignait pas son père d’habitude, mais depuis la mort de sa mère, il était devenu inquiétant. Il s’était mis à boire.

Marchant d’un pas triste, un cri lointain le fit sursauter.

  • ALAN !

La voix d’Erik Sivert portait. Il avait l’habitude : il interpellait les pêcheurs, ces vaillants gaillards au fort caractère, avec ce même ton autoritaire.

Son père se dirigea vers lui avec hâte, finissant les quelques mètres abruptement la distance le séparant de son fils en lui saisissant puissamment le bras.

  • Bon sang Alan !? Où étais-tu, je t’ai cherché toute la soirée ! À quoi tu joues ?!

Alan ne dit pas un mot. Erik s’énerva de son silence.

  • J’ai été obligé d’inventer une excuse de toute pièce pour justifier ton départ ! Je fais tout mon possible pour leur montrer que nous sommes une bonne famille bien éduquée ! Pour ton mariage !
  • Oui ton mariage, moi je n’ai rien demandé ! Ils sont horribles, ces parents, cette fille ! Je les déteste !

Erik s’assombrit lorsque son fils lui répondit. Il gronda.

  • Je cherche à te donner un avenir, espèce d’idiot ingrat. De l’argent, de quoi être à l’abri du danger. Tu connais notre situation, tu sais que ce sera difficile ! Toi, tu es juste bon à peindre tes trucs, tu refuses de t’intéresser à l’entreprise. Tu es égoïste. On ne peut pas toujours faire ce que l’on veut dans la vie !
  • Maman n’aurait jamais accepté que tu me maries de force à une femme que je n’aime pas. Elle aurait compris, elle.

Le veuf s’arrêta brusquement de marcher, piqué au vif. Il décrocha une gifle à son fils, décontenancé, qui tomba au sol. Alan massa sa joue. Erik était furieux, mais c’était la première fois qu’il frappait son fils. Il sembla décontenancé par sa propre violence. L’alcool avait petit à petit rongé son âme et il sembla le découvrir amèrement.

Sans dire un mot ni s’excuser, de peur de perdre la face, il releva son fils et ils marchèrent tous deux dans un silence de mort jusqu’à la maison. Le repas était copieux, mais Alan ne toucha pas son assiette. Son père termina son pain et son fromage en fixant son fils. Père et fils ne se comprenaient pas.

La mère d’Alan avait succombé de maladie quelques années auparavant. Erik et Alan s’étaient succédé à son chevet, l’accompagnant dans une longue agonie. Si l’adolescent s’isolait de plus en plus dans ses mondes imaginaires, Erik avait épousé en secondes noces la bouteille en espérant que sa peine ne savait pas nager.

Depuis cette tragédie, l’épouse et mère ne servait plus ni d’intermédiaire ni de traductrice pour ces deux hommes venant chacun d’une planète différente. Alan tenait bien plus de sa mère, qui lui avait légué sa sensibilité artistique, son calme, sa grandeur d’âme et son humilité. Ainsi que ses yeux vert émeraude.

Si Erik acceptait le côté farfelu de son épouse, il refusait que son unique fils ne lui ressemble pas. Qu’un homme soit sensible et artiste, il ne pouvait le concevoir. Cela réveillait en lui la peur d’une vie d’incertitudes, trop éloignée du matériel et du legs familial que constituait son affaire.

Les deux hommes ne se saluèrent pas avant d’aller se coucher. Erik s’écroula devant le feu de la cheminée, une bouteille de whisky à la main. Alan, lui, partit se coucher à l’étage. Sa chambre lui semblait être une cellule de prison.

Il repensa à l’expérience qu’il avait vécue dans la grotte. La scène se rejouait dans sa tête inlassablement, lui retirant toute envie de dormir. Tournant et virant sous les draps, il finit par se lever et reprendre son sac.

Plus rien n’avait d’importance. Il savait que dès la semaine prochaine il serait à jamais prisonnier de la vie d’une autre, alors il se décida à tenter le tout pour le tout. Passer plus de temps dans cette grotte avec l’espoir d’y recroiser cette chose était la seule pulsion qui animait son corps.

Il descendit discrètement les marches de l’escalier, constatant que son père était assoupi lourdement, la bouteille vide roulant sur le sol.

Alan claqua discrètement la porte derrière lui et s’engagea d’un pas vif vers la plage.

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