Chapitre 1

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La gifle derrière sa tête le sortit brusquement de sa rêverie. Alan se frotta le crâne, regardant son père un instant dans les yeux avant de les baisser, ne supportant pas sa sévérité.

  • Alan, pour l’amour de Dieu, tiens-toi droit et essaie d’être agréable !
  • Pardon Père…

Les doubles portes ennoblies de boiseries exotiques s’ouvrirent sur deux austères silhouettes bien apprêtées. Le couple Floyd, des magnats de l’immobilier et du tourisme, entra d’un pas distingué. C’était une famille à l’ancienne, corrompue jusqu’aux souliers de grande marque par l’argent facile et l’absence de moralité. Leurs visages fermés s'égayèrent d’une prétention et d’une condescendance à la vue de leurs invités s’étant levés.

  • Ah, Erik, je vous souhaite la bienvenue en notre demeure.
  • Et voilà donc le petit…ou devrais-je dire le grand…Alan Sivert.

Les Floyd avaient des voix agaçantes, chacun à leur manière. La voix d’Augustus était grave et froide, rugueuse et forçait à chaque syllabe un ton d’aristocrate de l’ancien temps. Sa femme avait une voix nasillarde qui dissimulait malhabilement un zézaiement de naissance. Elle semblait comme son mari faire la collection de toutes les parures et les artifices prompts à lui offrir une image de femme de la haute société.

Alan regarda un temps ces deux futurs beaux-parents sans broncher, déjà lassé de cette rencontre inutile qu’il aurait échangée même contre un arrachage de dents chez le dentiste. Ce n’est que lorsque son père se racla la gorge qu’il soupira.

  • Bonjour madame et monsieur Floyd, je vous présente mes hommages.

La mère Floyd gloussa comme un dindon.

  • Il parle et en plus il est bien élevé !

Alan ne sut pas si c’était là une remarque ironique ou sincère. Cette commère grasse aux airs supérieurs lui inspirait le plus profond dégoût.

Le père d’Alan s’exprima à son tour, posant une main sur l’épaule de son fils, comme il aurait présenté sa cargaison de poissons à vendre. Il s’adressa à son homologue masculin.

  • Bonjour Augustus, comme convenu je viens discuter avec vous des modalités du contrat de mariage.
  • Fort bien, mon ami, allons dans mon bureau, pendant que mon épouse fera les présentations entre mon petit ange et votre fiston.

Les deux hommes se retirèrent dans l’une des ailes du grand manoir baroque acquis à grands frais par la famille quelques années auparavant. La décoration avait été refaite à leur image, pimpante et surchargée d’œuvres artistiques qui s’harmonisaient plus par leur prix que leur consistance artistique.

Le regard d’Alan croisa celui de madame Floyd qui observa quelques longues secondes le jeune homme sous tous ses atours. Puis soudain, comme une trompette, elle s’écria.

  • Tu peux rentrer ma chérie !

La double porte s’ouvrit de nouveau sous les gestes coordonnés de deux majordomes. Une jeune femme entra dans une longue robe noire comme le ferait un mannequin sur un podium.

La fille Floyd était grande, la silhouette allongée et fine, aux longs cheveux blonds bouclés. Son visage était agréable, même si il manquait de naturel sous l’épaisse couche de fond de teint. Ses formes étaient équilibrées, il est vrai que c’était une belle femme, mais sa grâce était artificielle. Son caractère quelque peu vulgaire venait moins de sa garde-robe très soignée que de son regard espiègle qui mit Alan mal à l’aise.

  • Voici donc mon futur époux, Alan c’est cela ? Je m’appelle…Dilayla !

Sa présentation aurait pu être accompagnée de tambours, tellement elle semblait grandiloquente et burlesque.

Alan ne dit rien, se laissant tourner autour par la jeune femme qui aurait regardé un mannequin de grand magasin de la même manière. Il prit connaissance de la source de son malaise. Il se sentait comme un animal perdu dans le désert, autour duquel tournait un vautour affamé.

Il supporta le regard de la jeune femme le reluquer sans gêne, passer de partout, se sentant aussi agressé que si c’était ses mains. Il restait muré dans le silence.

  • Eh bien jeune homme, tu as perdu ta langue ? rétorqua la mère, amusée par le spectacle de sa fille tournant autour de son nouveau jouet.
  • C’est que madame, je reste sans voix, répondit Alan avec une pointe d’ironie qui ne sembla pas comprise par les deux femmes.

Dilayla avait hérité quelque peu du rire de sa mère, en ayant toutefois remplacé le côté ridicule par un petit grincement inquiétant. Alan en frissonna et se laissa envahir par une profonde tristesse : il serait dès la semaine prochaine obligé de vivre avec cette prédatrice jusqu’à la fin de ses jours. Il ne douta pas un seul instant que la mort ne viendrait pas prendre une créature aussi mauvaise avant qu’il ne trépasse lui-même.

La longue heure qui passa fut un échange inintéressant à base de banalités. Alan se présenta succinctement. C’était un garçon épris d’amour pour l’art et principalement la peinture. Il aspirait à une vie simple, remplie de voyages et d’inspiration. À aucun moment il ne mentionna qu’il accepterait de succéder à son père dans la reprise de l’entreprise familiale. C’était là une bravade à ce que lui avait fait promettre son père. Il le savait, mais cette maigre résistance était le seul coup de canif qu’il pouvait donner à cette union sans amour et cette promesse d’une vie de frustrations.

Dilayla était-elle intéressée par la mode, les belles voitures, les voyages, les collections de chaussures et de parures luxueuses. Elle cita ses marques préférées et le nom de ses deux chiens de la même manière. C’était une femme vide de tout intérêt et d’amour pour l’art. Alan désespéra encore plus de voir sa joie de vivre vampirisée par ce monstre du consumérisme.

Les présentations d’usages étant à présent terminées, il prit congé des deux femmes prétextant des affaires urgentes à régler, sans attendre son père.

Le soleil qui accueillit sa fuite commençait déjà à s’évanouir derrière l’horizon. Qu’Alan aurait aimé fuir avec lui ! À défaut d’être un astre, il espérait que le ciel nocturne cache sa fuite vers son repère secret, où il pourrait ruminer ses noires pensées.

C’est ainsi qu’il s’engagea sur la plage pour remonter d’un pas hâtif vers une grande falaise pendant de longues minutes, crapahutant quelque peu vers une petite grotte sous-marine où il s’aventura sans peur.

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