Partie 6 : Confrontation au tertre

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L’ultime regroupement débuta. Près d’une centaine d’inquisiteurs furent sélectionnés en vue de supériorité numérique, et les apprentis n’y échappèrent pas. C’était la période des interventions en petits groupes dans l’auspice d’une vindicte à appliquer. Restèrent quelques dizaines des leurs pour garder leur repère, pendant que leurs confrères et consœurs précipitaient les préparatifs.

Je vous hais, tous autant que vous êtes ! rugit Hatris. Emiteffe va tous vous exterminer ! Elle a tué des centaines d’ennemis de votre trempe ! Que vous soyez une petite centaine n’y change rien ! Vous courez à votre perte !

Des frissons ankylosèrent Zech dans sa propre avancée, toutefois Taarek l’entraîna malgré tout, sous le poids de son impulsion. De tels murmures se propagèrent insidieusement dans une seule tête sans s’immiscer au-delà. Le jeune homme ne partageait avec personne, il hésitait juste à brandir l’arme pour ce voyage. Le jeune homme ne s’épanchait même pas avec son ami, lequel se claquemurait dans ses idées de vengeance. Car quand tant d’épées se braquaient vers des cibles toutes désignées, comment Zech pouvait-il réprimer pareilles ardeurs ? Lui qui progressait à cadence modérée, confondu dans l’attroupement, peinait à répandre son unique voix dans l’ambition de tout un chacun.

Kalhimon guida ses subordonnés vers l’ouest de sa patrie et Godéra le secondait. Bien au nord d’ardentes terres serpentaient des coteaux embrumés. Par-delà des zones marécageuses s’étendirent des landes de pierre à perte de vue. Perçaient de rares habitations, parfois enfouies à même la terre rocailleuse, aptes à se fondre dans le décor. Le maître subodorait qu’il devait s’y réfugier kyrielles de mages, idéal dans une région aussi peu peuplée, mais ses priorités se situaient ailleurs.

Les informations avaient convergé. Elles s’étaient précisées. Ce serait déjà un grand triomphe pour Kalhimon d’éliminer autant d’engeances le même jour. Ce pourquoi il chemina avec hâte, exhorté par ses semblables, emmené aux recoins tapis de sa nation, des jours et des jours durant. Toujours sa main glissait-elle sur la garde de son épée, dans l’attente de lacérer des mages.

Sous un amoncellement se dévoila le tertre longuement cherché. Des yeux curieux s’ouvrirent dès que les inquisiteurs finirent de grimper sur la butte, ourlée d’escaliers délabrés, touffue d’épars brins d’herbe. Car la roche dominait là où la pierre dominait. Myriades de colonnes distordues allongeaient des pics semblables à des branches. S’y mêlaient des aspérités, soutenues d’un sol tantôt rugueux tantôt sablonneux, où pierres et poussière drainaient toute humidité. Des murs semblaient s’être effondrés autour tandis qu’au loin apparaissait une porte dérobée.

Une vision âpre pour les inquisiteurs. Leurs pires ennemis s’étaient réfugiés dans l’ombre. Leur pupille devait s’élargir pour mieux les percevoir, ainsi leur lumière s’y diffuserait. Tous baigneraient dans leur bénignité.

Mais une barrière magique les en empêcha.

— Quelle est cette sorcellerie ? beuglèrent les inquisiteurs, bloqués.

Hu hu hu hu ! se gaussa l’esprit. Emiteffe est bien plus maligne que vous tous réunis ! Évidemment qu’elle allait anticiper votre venue ! Et puis, si elle aide les mages réfugiés à quitter le pays, il fallait bien qu’elle les protège ! Vas-y, chère amie… Je te soutiens ! Débarrasse-toi de ces imbéciles une bonne fois pour toutes !

Nombreux ils furent à s’acharner. Parmi eux luttait Taarek, tant enclin à abattre son épée qu’il se perdait. Tout juste réussissait-il à créer d’éphémères éclats sur l’égide. Plusieurs vibrations jaillissaient à chaque coup, puis le Myrrhéen s’arrêta net. Il était happé ailleurs, bloqué sur l’instant, et sa mine s’assombrit aussitôt. Comme si son souffle se coupait. Comme si sa vengeance fantasmée se concrétisait après tant d’années.

Emiteffe se dévoila à une dizaine de mètres derrière le bouclier. Cette grande femme conservait le teint typique des Myrrhéens, inscrit jusque dans ses traits, que ce fût son nez aquilin ou ses iris d’un brun foncé. Ses épaisses cadenettes noirs étaient nouées à hauteur de sa nuque et longeaient ses vertèbres. Par sa simple tenue elle dégageait une aura considérable, gorgée de flux rougeâtre et noirâtre, pareille à sa robe sombre striée de lignes carminées.

Vas-y, Emiteffe ! encouragea Hatris. Montre-leur que tu es la plus forte ! Je crois en toi !

Elle s’avança par-devers une vingtaine de mages alliés. Depuis ses gants se canalisait déjà une drastique quantité de magie.

— N’approchez pas plus, avertit-elle. Vous le regretterez.

Taarek limita ses assauts sur la protection magique, forcé d’atermoyer ses intentions une fois encore, imitant ses confrères et consœurs. Tout ce qu’ils pouvaient faire était de se suspendre à la décision de leur maître. Lui ricanait ostensiblement à l’encontre de sa principale adversaire.

— Est-ce donc ton unique parade, Emiteffe Daneb ? méprisa Kalhimon. Tu m’avais habitué à mieux que cela.

— Vous l’aviez déjà rencontré ? s’étonna un inquisiteur.

— À plusieurs reprises, affirma le chef. Chaque fois que je l’affrontais, elle est parvenue à s’enfuir, tuant certains de mes alliés au passage… Elle est l’incarnation de tout ce que j’abhorre. Une meurtrière de sang-froid qui maîtrise la magie à la perfection. Impossible de compter ses victimes.

— Ça c’est sûr…, marmonna Taarek.

— Elle s’attendait à notre venue ! remarqua Godéra. Comment l’a-t-elle deviné ?

Pendant que Zech percevait un rire dans sa tête, la concernée continua de s’avancer vers ses ennemis, impavide. Emiteffe se plaça à ras de son bouclier et fixa Kalhimon du plus profond de sa rancœur.

— Et maintenant, elle s’abrite derrière son bouclier, jugea ce dernier. De la lâcheté typiquement mage.

— Je me moque de ce que vous pensez de moi, répliqua Emiteffe. Vous arrivez trop tard. Vous aviez bien l’intention de pourfendre tous ces innocents contraints à l’exil ? Des parents emmenant leurs enfants, des jeunes protégeant leurs aînés, vous ne leur ferez aucun mal ! Ils sont dans un pays où la liberté de pratiquer la magie existe encore !

— Plus pour longtemps ! L’inquisition s’étendra partout ! Vous serez traqués, exterminés jusqu’au dernier ! Enfin le monde rayonnera, enfin les citoyens pourront vivre sans crainte d’être aspirés dans vos ténèbres !

— Votre frustration ne rencontre aucun égal… Personne n’a oublié vos atrocités. Je me souviens des villages incendiés lorsque vous soupçonniez leurs habitants de protéger des mages ! Je me souviens de tous mes camarades empalés par votre épée ! Et je me doute que vous torturez tous les mages que vous capturez, voilà pourquoi je crains pour Shun et Nilianne… Vous ne vivez que la haine. Même si vous vous débarrassez de nous, vous trouverez une autre communauté à accuser de tous les maux.

Des traits se distordirent, des visages s’enflammèrent, mais Godéra saisit à temps son supérieur par son épaulière.

— Il y a un traître parmi nous ! prévint-elle. Ne trouvez-vous pas cela étrange que ces mages aient été informés de notre présence ? Que bon nombre d’entre eux ait eu le temps de fuir ? Songez-y, maître !

Hu hu hu hu hu ! Je peux te révéler la vérité, Zech, puisque tu ne le répèteras pas ! Te souviens-tu de cette voleuse espiègle, Sadra ? Cette petite fourbe avait promis d’aider les mages en échange d’une aide envers les inquisiteurs. Cela ne consistait pas à voler la bourse de ton ami, ça c’était un bonus ! Elle savait où se trouvaient Shun et Nilianne, donc elle les a prévenus de votre future intervention. D’ailleurs, la coïncidence tombait bien, puisque je suis entré en communication télépathique avec eux pour les prévenir de ma situation. Ils ont alors fait exprès d’être capturé et ont prévenu Emiteffe en avance ! Et elle doit savoir que je me suis immiscé dans ton être.

La gorge de Zech se noua quand Emiteffe le dévisagea. Ses veines se glacèrent lorsque Kalhimon et Godéra firent de même. Et de la sueur perla sur son front, son corps secoué de moiteur, comme son propre ami le jaugeait avec distance.

C’est que je disais vrai ! s’aperçut Hatris. Nous formons un excellent duo, toi et moi ! Ainsi donc Emiteffe semble bien m’avoir découvert… Lui parler nécessiterait beaucoup de flux, et cela la déconcentrerait, mais je suis déjà contente de savoir qu’elle a un tour d’avance sur tout le monde !

— Zech…, fit Godéra. Avais-je raison de me méfier de toi ? Que nous caches-tu, au juste ? Connaissais-tu déjà Emiteffe avant toute cette histoire ?

— Aucune importance ! lâcha Kalhimon. Que Zech soit un traître ou non, nous nous en occuperons plus tard. Notre priorité est d’occire ce groupuscule rebelle… Contre une grande menace doivent être employés les grands moyens.

Les inquisiteurs s’accrochèrent à la méthode de leur meneur. Une aura singulière enveloppait pendant qu’il inspirait dans un acte de sérénité. Lentement il braqua son épée vers le ciel : effleurant sa poignée d’une main assurée, il y transmit deux filets de lumière. Aussitôt elle parcourut la lame et l’illumina toute entière.

Kalhimon abattit son épée sur le bouclier magique qui se désagrégea en quelques secondes.

Mages comme inquisiteurs restèrent bouche bée, yeux écarquillés. Plusieurs secondes leur furent nécessaires pour se remettre du choc, pour appréhender l’action de Kalhimon. Un tel sourire étirait les lèvres d’un maître qui chargeait encore du flux sur son arme.

L’hypocrite… Un infime potentiel magique baignait en lui, comme chaque être humain… Il l’a caché pour mieux l’exploiter !

— Maître…, murmura Godéra. Pourquoi ? Tous vos discours sont pourtant fondés…

— Je suis une exception, se défendit Kalhimon. Parfois, pour vaincre un redoutable adversaire, il faut s’abaisser à ses méthodes. Je me sacrifie pour vous, camarades, et contrairement à eux, je l’utilise à bon escient ! Mon corps souffre… mais il m’appelle. Lançons l’assaut !

Kalhimon œuvra pour que les siens tolérassent son secret. Ils ravalèrent de fait leurs doutes pour mieux se focaliser sur les mages. Aucun mur ne séparait les deux camps, aussi les inquisiteurs scandèrent-ils en se ruant vers les mages. Zech lui-même, mû par son instinct, fut entraîné dans cette frénésie.

Je vais voir des mages mourir…, prédit Hatris. Encore ! Mais ce sera un sacrifice nécessaire pour combattre votre inquisition ! Tu dois te demander ce qu’il adviendra de moi si tu trépasses ? Ne t’inquiète pas, j’ai le pressentiment que tu survivras.

— Qu’importent mes pensées, affirma Zech. Je dois me battre.

Quel courage ! Dommage que tes frissons et ta transpiration te trahissent.

— Je n’ai jamais tué personne… Et je dois le faire aujourd’hui ?

Tu t’es engagé chez les inquisiteurs, tu assumes, maintenant plus que jamais ! Quoique je ne veux pas être témoin d’un tueur de mages…

Zech fusa bien après les autres. Déjà Taarek et ses autres partenaires avançaient par lignes et formaient la mêlée contre l’adversité. Dans cette perte de repère, dans ce tintamarre mêlée d’éclats et de cliquetis, le jeune homme inspira un brin d’air avant de les rejoindre.

Il bondit de biais comme son cœur rata un battement. Des tourbillons de flamme s’élevaient par-delà les pierres et jusqu’au sommet des colonnes. Ce contre quoi des inquisiteurs dressèrent leur cap, lesquelles dévièrent alors les jets incandescents. Les mages écarquillèrent les yeux sans se laisser surmener.

— Ne nous sous-estimez pas ! provoqua Godéra. Nos capes nos ignifugées, évidemment, nous connaissons bien vos principaux sorts ! Nous n’aurions pas pris ce risque.

Mais ces piliers de feu demeuraient dangereux et entravaient l’avancée des inquisiteurs à défaut de les occire. Par-delà les râles, par-delà les cris, la seconde de l’inquisition se fraya une voie entre chaleur et flamboiement. Des spirales verdâtres et violacées lacèrent quelque peu sa tenue, elle para en conséquence et grinça des dents. La mage en face d’elle s’arqua face à une telle résistance. Incapable de riposter, elle ne put assister qu’à son déclin, comme Godéra l’empala net.

Des hurlements se propagèrent, des lamentations s’éteignirent, et la bataille s’enchaîna de plus belle. Ainsi les sorts jaillirent de toute part, tels des éclats dans la pénombre grisaille. Toutes ces lames, bientôt ensanglantées, se heurtaient à une lumière d’obscure incarnation. Kalhimon s’y opposa comme il pouvait, tantôt par estocades, tantôt par projection de ses propres rayons éblouissants.

Ni Emiteffe, ni ses alliés ne désespèrent suite à leurs premières pertes. Au contraire, retirée en un compact regroupement, elle dressa ses deux bras. Des tremblements cisaillèrent les pierres alentour en guise de diversion. Mais l’obstacle contre l’inquisition se matérialisa sous forme d’éclairs dans un contrôle magique du climat. La foudre gronda en prévision d’une chute célère d’arcs. Plusieurs inquisiteurs furent foudroyés sur place, coincés entre les flammes et autres sorts, renversant l’avantage en faveur des mages.

Un sourire peignit le faciès de la meneuse. Sur son élan, elle plaqua ses deux mains l’une sur l’autre, et créa une immense une puissante onde de choc. Une quinzaine d’inquisiteurs fut éjectée sur la déclive du tertre, pour un atterrissage rude voire mortel. De l’adversité s’amplifia autour d’Emiteffe qui dominait son environnement. Elle avait attiré la hargne de ses ennemis. Elle comptait bien l’exploiter.

Continue ainsi ! exhorta l’esprit. Tu es la meilleure !

Ce fut comme un appel. Comme si la meneuse percevait parfaitement les propos de son homologue. Elle n’avait cure d’être submergée, elle se téléporta hors du cercle des lames dressées autour d’elle, et se matérialisa en face de Zech. Le jeune homme eut à peine le temps qu’il tomba sur le dos. Il fut écrasé tant de corps que d’esprit par cette imposante silhouette. Du flux sombre continuait de converger à sa proximité.

— Hatris…, murmura Emiteffe. Contente d’apprendre que tu as survécu. D’une certaine manière, cela dit.

Le plaisir est partagé, chère amie ! se pâma la mage.

Toute joie s’estompa face à l’amère saveur de la bataille. Emiteffe perçut un sifflement derrière et esquiva par réflexe. Ainsi se retrouva-t-elle par-devers Taarek, dont les traits s’étaient considérablement déformés.

— Tu as tué mon père ! tonna-t-il. Et maintenant, tu t’en prends à ton ami ?

— Ton père ? s’interrogea Emiteffe. Qui était-ce ?

— Réald Diosis ! Ne commets pas l’affront de l’avoir oublié ! Tu l’as lâchement assassiné alors qu’il était à la taverne avec ses amis !

— Je vois… Il y a méprise.

— Quoi ?

Taarek rugit avant d’asséner un coup. Ce dont son ennemie se déroba, générant un fin mur magique dans sa lancée. Toujours au sol, Zech fut contraint d’assister à la scène, où la destruction se propageait en toile de fond.

— J’ai bien tué Réald, confirma Emiteffe. Mais c’était par légitime défense.

— Menteuse ! Mon père n’aurait jamais agressé personne !

— Le connaissais-tu réellement ? Il avait sa réputation dans cette taverne, dans laquelle il gaspillait son temps au lieu de s’occuper de sa famille. Il était dépendant des jeux et de la boisson. Comme j’avais un certain penchant pour le premier, j’ai voulu le défier aux dés… Mal m’en a pris, car quand je l’ai battu, il avait déjà dégluti quelques chopes de trop. Il a tenté de me poignarder, j’ai juste voulu le désarmer, mais j’ai planté sa lame dans son cœur…

— C’est faux ! Ses amis ne m’ont pas raconté cette version !

— Je suis désolée, sache-le ! Je ne voulais tuer personne. Et ça m’a contrainte à l’eil quelque peu avant la purge, dans un climat contre les mages…

— Je ne te crois pas !

Alors Taarek frappa, encore et encore. S’abattit une lame à moult reprises, porteuse de haine, comme il niait la vérité. Tant d’étincelles germèrent face à Zech qui ne savait plus où donner de la tête.

C’est bien ce qu’il me semblait ! lâcha Hatris. Il était incohérent qu’elle assassine un innocent après en avoir protégé autant… Je plains ton ami Taarek d’avoir découvert les faits seulement maintenant. Cela ne peut signifier qu’une chose…

Il s’éreintait. Il s’opiniâtrait. Pourtant Taarek ne s’arrêta qu’au moment où une lame entailla sa jambe. Et il s’effondra au milieu des pierres, à l’instar de Zech, écrasé par une présence plus intimidante. Des arcs lumineux parcouraient encore la lame de Kalhimon tandis qu’il s’approchait de son opposante de toujours.

— Ce n’est pas une adversaire de ton envergure, Taarek, dédaigna-t-il. Mais elle raconte la vérité. Vois-tu, si tu t’étais un minimum renseigné, au lieu de partir vers une traque loin de chez toi, tu aurais su la vérité.

— Mais…, souffla le Myrrhéen entre deux gémissements. Vous m’aviez dit que vous connaissiez bien Emiteffe… Que vous m’assuriez qu’elle méritait ma vengeance !

— En effet. Où est le mal à cela ? Autant être opportuniste si on souhaite gagner des alliés. Ton père était coupable dans cette histoire. Cela n’efface pas ses autres crimes.

— Vous avez maintenu le mensonge… pour servir vos intérêts ?

— Voilà, et maintenant, la vengeance sera mienne !

Zech et Taarek, engouffrés au bas de leur ambition, assistèrent à l’entrechoquement des puissances. Deux magies antagonistes et pourtant complémentaires éclatèrent au centre du conflit. Si bien que les apprentis furent balayés à plusieurs mètres, quand les protections ne suffirent plus, quand lames et flux fusionnaient.

Des spirales de ténèbres collisionnèrent contre les jets de lumière. Jaillissaient l’émissivité contre l’absorption, amenés à un tel rayonnement qu’elle captiva toute attention. Mages et inquisiteurs luttèrent au rythme de leur meneur.

Kalhimon comme Emiteffe perçaient les défenses de l’autre. Dans cette convergence naissait une kyrielle de coups à l’intensité grandissante. Chaque belligérant tenait bon, sans flancher, sans exprimer la moindre once de souffrance. Pourtant des rayons fendaient de partout et certains les atteignirent. Plaies et incisions striaient des corps déjà poussés à bout de leurs limites.

— Résistante, comme je m’y attendais ! flagorna le maître. Tu restes fidèle à toi-même malgré tout…

— Tu es trop bavard, Kalhimon. C’est ce qui causera ta perte !

Emiteffe plia ses doigts autour desquels s’amplifia la foudre. Grâce à sa garde, son ennemi absorba le sort, le renvoya, mais la meneuse n’eut aucune difficulté à l’esquiver. Ces arcs lumineux impactèrent alors une colonne qui s’effondra aussitôt. Des éclats se suspendirent dans leur chute. Emiteffe s’en empara, les projeta sur son principal adversaire, lequel échoua à tous les désaxer. Des lacérations maculèrent son équipement, l’incitant à reculer par prudence.

— Tu t’acharnes pour rien ! lança Kalhimon. Le mal ne triomphe jamais !

— Tu t’échines à garder une vision binaire de la réalité, répliqua Emiteffe. Qui s’acharne, dans ce cas ? Tu es un criminel, Kalhimon. Peu importe que tu sois soutenu par le système.

— Redoutable mais bornée… Tu ne comprends pas ? Ce n’est pas une question d’appartenance à quelque pays que ce soit. L’inquisition rassemble les fidèles de tous les pays contre les mages de tous les pays !

— Tu confirmes donc que ton ordre est une secte. Il doit être détruit sur-le-champ.

Ses yeux s’illuminèrent. Ses bras s’ouvrirent. Aussitôt se déploya une vague de puissance, matérialisée sous forme d’une tornade. Emiteffe projeta son sort à une vitesse faramineuse. Tel un déluge il balaya les inquisiteurs sur sa trajectoire. Dans cette bourrasque grandissante, aux victimes étouffées d’un souffle si fort, Zech dut plonger sur Taarek afin de le sauver. Volèrent des morceaux de pierre comme les colonnes s’ébranlèrent sur le choc.

Le mutisme fut obtenu, glacial, obtus. Quand Zech ouvrit ses paupières, il se heurta à la vision d’un duel achevé. Du sang dégoulinait de la lame de son maître. Il avait empalé Emiteffe qui s’était courbée de géhenne, agonisante, suffocante.

— La magie ne triomphe jamais, assena Kalhimon.

— Nous ne nous soumettrons pas ! riposta Emiteffe.

Et la meneuse plaqua ses mains sur les tempes de son ennemi. Des rayons violacés se transmirent de ses paumes jusqu’au front de Kalhimon, ainsi naquit une épaisse gerbe de lumière qui éblouit tout un chacun à la ronde. Soulagée du contact de l’épée adverse, Emiteffe calancha dans un ultime sourire, couchée au sommet du refuge temporaire des siens.

Taarek rampa jusqu’à la dépouille. Il ne savait si c’était la poussière qui le forçait à cligner, ou l’idée d’une vengeance assouvie quoique basée sur un mensonge. La meneuse avait rejoint une dizaine des siens, les autres s’étaient téléportés en sécurité.

Votre sacrifice ne sera jamais oublié…, souffla Hatris.

Les inquisiteurs haletèrent pour se remettre de la confrontation. Près d’une trentaine des leurs avait péri, un coût bien plus élevé en comparaison. Quand les larmes devaient être versées, quand les objectifs devaient être redéfinis, Taarek préféra examiner le corps d’Emiteffe. Aucune rancœur ne déparait son visage : ses traits s’étaient enfin détendus.

— Tout ce temps de perdu…, murmura-t-il. Des idéaux brassés sur du mensonge… Que va-t-il advenir de moi, maintenant ? Peut-être ne suis-je pas fait pour être inquisiteur…

— Ton avenir t’appartient, dit Kalhimon. Il ne te reste plus qu’à savoir comment embrasser ta destinée.

Kalhimon ne cessait d’examiner le cadavre de sa rivale ainsi que son subordonné indécis. Arriva soudain Godéra, inquiète, sondant à la hâte ses blessures.

— Maître ! s’enquit-elle. Qu’est-ce que cette mage vous a fait avant de mourir ? Et puis vos plaies sont importantes… Il faut vous soigner !

— Je ne suis jamais senti aussi bien, affirma le chef. Je m’occuperai de ces insignifiantes égratignures très vite… Autant assumer ma maîtrise des sorts, tu ne penses pas ?

— Et les autres mages ? Nous devons les retrouver !

— Ils sont loin, désormais. Non, enterrons nos morts et partons d’ici. Emiteffe Daneb est morte, cela constitue déjà une grande victoire ! À présent… L’inquisition va évoluer.

Godéra fronça des sourcils, mais comme à son habitude, elle ne contesta aucunement ces propos. Elle se fiait à la parole de son maître, ce malgré son comportement versatile. Kalhimon héla alors ses subordonnés. Peu importait s’il leur avait menti des années durant. Peu importait si leur loyauté vacillait. Ils le suivraient envers et contre tout.

Je n’ai jamais douté de toi, Emiteffe ! félicita Hatris.

— Hein ? chuchota Zech, encore recroquevillé à terre. Mais elle est morte !

De corps, oui… Aurais-tu déjà oublié le sort qu’elle a lancé à Kalhimon. Cette diffusion, ces nuances, cela ne te rappelait bien ? Emiteffe savait quel sort j’avais utilisé pour m’incruster dans ton esprit. Alors elle a utilisé un similaire… plus puissant. Elle a détruit l’âme de Kalhimon pour s’emparer de son corps et a désormais un total contrôle.

— Elle sacrifié son corps pour… pour…

Oui, votre inquisition sera à présent dirigée par une mage ! Rien de mieux pour vaincre l’ennemi que de l’infiltrer, pas vrai ? Bien entendu, coincé dans ton statut d’apprenti, tu es le seul informé de cette histoire… La rétorsion des mages débute !

Tandis que ses collègues amorçaient leur départ, tandis qu’Emiteffe s’avançait triomphalement dans un corps étranger, Zech s’affaissa par terre et exhala un long soupir.

— Alors je suppose que tu resteras dans mon corps jusqu’à la fin ?

Oui, Zech. Jusqu’à la fin.

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