Partie 4 : Première traque

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Cheminèrent au lendemain trois inquisiteurs vers l’extrême nord. Ni Zech ni Taarek n’obtinrent le repos escompté, puisque Godéra, armée d’imparables techniques, les réveilla même avant l’aube. Tout juste eurent-ils le temps d’emballer quelques provisions avant le grand départ. Aucun répit pour ces braves voyageurs qui, à force de fouler biomes après biomes, exploraient bien des recoins de la Belurdie. Peu d’opportunités se dressaient cependant à eux, car leur supérieure ne tolérait pas de dispersements. La mission devait être accomplie avec rapidité et efficacité.

Des murailles se dressèrent quelques jours plus tard. Helingel s’étendait sur une combe étendue, frontière entre fleuves et collines, là où s’entassaient la vétuste brique et la pierre humide. Chaque bâtiment diaprait des nuances grises, entassés tels des blocs au travers toutes les directions, couronnés de toits plats. Ils s’élevaient de hauteur mais guère d’éminence : nul quartier ne se distinguait, tant les rues aux pavés irréguliers, de même que les auberges, commerces et habitations.

Partout circulaient des centaines de citadins, errant parfois sans but, souvent voyageant au gré de leurs occupations. Des fondations aussi aseptisées amalgamaient moult origines ethniques comme sociales dans un environnement d’apparence dépourvu d’histoire et de culture. Si la classe moyenne semblait dominer, plusieurs riches se baguenaudaient parmi eux, tandis que des pauvres mendiaient au détour des venelles plus sombres encore que les allées principales. Il y respirait de mauvaises odeurs outre la banalité de leur quotidien. Délinquance inavouée côtoyait alors la corruption d’une cité sans identité. Même la milice, pourtant chargée de sécurité, peinait à limiter les débordements.

Mais Helingel appliquait aussi les lois de la Belurdie. Ce pourquoi les inquisiteurs furent accueillis sans concession au sein de murailles. Là non plus, Godéra n’autorisa pas le moindre détour à ses subordonnés, filant droit à chaque rue. S’attirer les regards d’une foule ne les intéressait guère, mais Zech n’arrivait pas à s’en dérober. Trop d’yeux distants les jaugeaient au mieux, les dédaignaient au pire.

Vous vous êtes vraiment imposés dans tout le pays…, râla Hatris. Est-ce que les citoyens ont l’air de vous respecter ? Certains, peut-être, mais la plupart vous craignent, ça se voit à leur figure !

— Inutile de me faire la description ! contesta Zech. Je suis encore capable de voir…

Mais pas de mesurer combien ton ordre fait du mal à la Belurdie !

— Les mages ne sont pas le premier problème de cette ville, en effet…

— Tu traînes encore, Zech ! reprocha Godéra. Rattrape-nous, nous sommes presque arrivés là où ils sont censés se trouver !

Devant eux s’ouvrit une large place. Au-delà d’un dallage opalescent, bien mieux entretenu que dans les rues voisines, des piquets soutenaient des toiles aux nuances diverses, sous lesquels les produits étaient achalandés. Ici-bas régnait un tintamarre où beaucoup de potentiels acheteurs criaient pour un meilleur prix. Vêtements, outils, meubles, livres, accessoires, épices et nourriture étaient répartis sur différents étals, entre lesquels les intéressés se partageaient le peu d’espace disponible.

Zech, Taarek et Godéra se heurtaient donc à une limitation de mouvement. Grognant, renâclant, l’inquisitrice retroussa ses manches avant d’interpeller ses deux partenaires.

— Bon sang ! jura-t-elle. Comment allons-nous les retrouver ?

— Avec les informations sur le papier, non ? suggéra le Myrrhéen.

— Pas assez précises ! Tu crois que leur position et leur nom, sûrement des pseudonymes, suffiront à les trouver ? Ils se sont bien gardés de dire qu’ils seraient entourés d’autant de personnes !

— C’est une place publique, il aurait fallu s’en douter. Et ça m’étonnerait qu’ils soient tous des marchands… Serait-ce une brocante où chacun vend ce qu’il veut ?

— Je comprends mieux… Ces maudits mages ont pris plusieurs précautions ! Seule cette voleuse connait leur visage, et elle s’est bien gardée de les décrire !

Vous voilà en difficulté ! ricana l’esprit. Vous croyez que ce serait aussi simple ? Je vous souhaite bon courage pour les retrouver ! À défaut de vous bloquer pour de bon…

Lasse d’être immobile, en quête de ses proies, Godéra étudia le mouvement de foule ainsi que chacun des vendeurs. Des étincelles fendirent alors ses yeux.

— Faisons simple, déclara-t-elle. Ils s’appelleraient Shun et Nidianne. Crier leurs noms ne suffira pas, surtout au vu du bruit assourdissant d’ici ! Mais s’ils voient une inquisitrice approcher, l’épée brandie, ils ne resteront pas indifférent. Oui, autant appliquer la manière forte.

Il n’y eut plus de subtilité ni de politesse. L’inquisitrice défourailla, brisant ainsi la monotonie des lieux. Aussitôt des vagues citoyennes s’écartèrent dans une cacophonie encore plus accrue. Pis encore, Godéra n’hésita aucunement à abattre son épée sur chaque étal, quitte à détériorer des objets, quitte à provoquer davantage de hurlements.

Elle créé la panique ! dit Hatris. Voici donc les méthodes pacifistes de l’inquisition ! Légal peut-être, mais pas populaire !

Zech dut ignorer la voix pour mieux avancer, mais il fut forcé d’admettre les faits. Par ravages, par coups destructeurs, Godéra abusait de son pouvoir au travers de chaque étal, de sorte à libérer de la place, à réduire sa liste de suspects. Bien des vendeurs détalaient face à une telle méthode, aussi les mages pouvaient se glisser dans la multitude. Néanmoins, par-delà la frayeur, incarnée par des citadins suspendus à l’ordre, l’inquisitrice puisa dans son instinct comme dans la portée de sa voix.

— Shun ! Nidianne ! tonna-t-elle. C’est vous que je cherche !

Il suffit d’une inclinaison de tête, d’un simple coup d’œil, et ils furent repérés. Un jeune homme grêle et imberbe, à l’abondante chevelure ambrée, engoncé dans une tunique et un pantalon étriqués aux nuances olivâtres. Une jeune femme svelte et lisse, aux longues mèches auburn, vêtue d’un ample chemisier en lin bleu. Ils occupaient tous deux un étal modeste sur lequel des fruits à dures coquilles offraient leur jus. Shun, Nidianne, ainsi qu’ils se dénommaient, poussèrent un cri aigu en reconnaissant le symbole de l’inquisition Après quoi ils fuirent à toute vitesse vers l’issue la plus proche de la place.

— Où est la milice quand on a besoin d’elle ? rugit Godéra. Zech, Taarek, avec moi ! Nous allons les coincer, les acculer, et s’ils osent riposter, ce sera la preuve qu’ils sont des criminels de la pire espèce !

Nidianne comme Shun s’engouffrèrent entre plusieurs lignes de citoyens estomaqués. Peu importait qu’ils fussent désignés, peu importait que cela leur coûtât leur endurance, ils s’évadèrent pour d’obscurs horizons. Godéra sprinta et s’échina à garder ses cibles à sa portée, non sans renverser des gêneurs sur son passage. Comme elle s’éloignait peu à peu du marché, la place recouvrait une certaine sérénité, quoique nombre d’hommes et de femmes trémulaient à proximité des inquisiteurs.

Qui inspire la terreur ? provoqua la mage. Depuis quand les persécutés sont devenus les coupables ? Depuis quand les oppresseurs incarnent la justice ?

— Tais-toi ! lâcha Zech. J’accomplirai ma mission, quoi qu’il arrive !

Cesse de l’évoquer comme s’il s’agissait d’une noble quête destinée à sauvegarder l’humanité. Je commence à te connaître, mon petit… Tous tes secrets sont cachés à l’intérieur de toi. Tu doutes, pas vrai ?

— Je ne me laisserai pas corrompre !

Tu pourrais te précipiter vers ta perte sans que j’intervienne. Mais ce serait mettre la vie de deux mages innocents en danger.

Une décharge se propagea dans la tête de Zech. Il trottait sur une rue adjacente, cœur et poumons mis à rude épreuve, alourdi par son équipement. Tout se cumula, l’amena face contre pavé. L’inquisiteur se rattrapa à temps, mains plaquées sur les dalles mouillées. Son souffle ralentit. Ses oreilles captèrent à peine de vagues murmures. Au plus bas de sa forme, au bord de l’inconscience, jeté en déchéance de son choix de carrière. Perspectives et décisions se confondaient. Peut-être sombrait-il malgré ses tentatives de se relever. Peut-être s’emparait-il d’un brin de lumière là où la grisaille dominait.

— Relève-toi, Zech ! supplia Taarek. Godéra nous devance, il faut les rattraper !

Son partenaire saisit son poignet et le redressa de toutes ses forces. À peine Zech retrouva-t-il ses esprits qu’il dut se hâter à hauteur de collègue. Point de répit au centre de la course-poursuite, aussi adapta-t-il sa cadence pour ne pas s’écrouler derechef.

Tu es plus résistant que tu n’y parais ! s’aperçut la mage. Ou alors je manque vraiment de puissance, coincée là-dedans…

— Tu ne détruiras pas la lumière qui baigne en moi ! répliqua Zech.

Que tes déclarations sont redondantes… Qui prends-tu comme modèle, au juste ? Du peu que j’en ai vu, Godéra trouble l’ordre public pour son plaisir, traque les mages comme des bêtes. Combien en a-t-elle tué ? Pourquoi s’est-elle soumise à une telle idéologie ? Elle semble… dépourvue d’humanité !

— Son combat est différent du tien. Je ne te demande pas de le respecter, mais de le comprendre.

Quelle lutte ? Une lutte pour protéger un système tyrannique et séparatiste ? Votre combat est basé sur votre ignorance qui s’est muée en peur, puis en haine. Combien d’innocents en ont pâti ? Pas que des mages, je peux te le certifier !

— Il suffit !

Zech ignora cette voix à la persistance grandissante. Tout ce qui importait à ses yeux était de rattraper sa supérieure, laquelle avait bifurqué vers une ruelle au loin. Il s’aventurait aux enchevêtrements d’une cité où toute la population le jaugeait. Où chaque pas propageait d’inintelligibles échos.

Là, sous l’ombre projetée d’épais murs, il redécouvrit une paire de silhouettes sous un angle nouveau. Deux mages recroquevillés, coincés dans une voie sans issu accrochés l’un à l’autre, frissonnant face à l’incarnation de leurs cauchemars. Zech et Taarek se placèrent de part et d’autre de Godéra qui dévisageait férocement ses proies.

Je vois au travers de tes yeux…, souffla Hatris. Je ne peux me détourner de cette vision. Tu me contrains à assister à ça ! Pauvre jeunesse emportée par une société autoritaire et intolérante…

L’inquisitrice réalisa un pas, incitant les mages à se courber davantage.

— Pitié ! supplia Shun. Épargnez-nous ! Nous sommes innocents !

— Un mage n’est jamais innocent, rétorqua Godéra. Je dois dire que vous m’avez bien agacée. Vous fondre comme des lâches parmi la population, fuir une fois repérés… Et vous n’avez même pas riposté ! Ne me dites pas que vous voulez passer pour des martyrs. Le peuple n’est pas dupe : il connait votre véritable nature.

— Nous ne maîtrisons aucun sort offensif ! expliqua Nidianne. Nous sommes des mages de guérison, à la base !

— Calomnies ! La magie est conçue pour détruire, pas pour soigner. Ceci est une insulte envers les médecins dévoués pour notre pays ! Nous aussi, dévoués inquisiteurs, avons pour but de soigner… le fléau que vous représentez. Je vais vous épargner. On ne peut plus souffrir, une fois redevenu poussière.

Godéra se délecta de leur regard horrifié et de leurs tressaillements un moment encore, puis elle les assomma d’un coup de pommeau en pleine tête. Son expression ne s’était pas atténuée au moment où elle se retourna vers ses subordonnés.

— Qu’est-ce que vous attendez ? s’impatienta-t-elle. Ligotez-leur les poignets avec la corde argentée, qu’ils ne puissent plus se servir de leurs mains pour lancer des sorts ! Et portez-les donc le temps qu’il se réveille… Je jure qu’ils ne reverront plus que notre lumière.

Elle peut se mettre sa lumière où je pense ! Ainsi donc je suis condamnée à revivre la traque des miens… Ce n’est qu’une victoire, Zech, mais les mages ne seront pas chassés à jamais !

Extinction de soupir et de gémissement. Zech et Taarek s’appliquèrent à l’ordre : si les deux prisonniers étaient assez légers, ils devaient les transporter sur une longue distance. Le poids d’une inconscience troublée sous l’appel de réponses pesait sur leurs épaules par surcroît. Naguère mages, puis marchands, Shun et Nilianne s’engouffraient dans un chemin empreint de ténèbres.

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