Le vieux confiseur suite et fin

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L’homme arriva chez lui, il déposa le sac ocre aux pieds de l’arbre, il n’y avait toujours pas de traces de la créature. Trop fatigué pour se faire un vrai repas, il grignota quelques restes se trouvant dans le réfrigérateur quand un léger bruit se fit entendre dans l’atelier. Le vieillard pensa immédiatement au petit sorcier africain et se précipita auprès de son arbre. Il y trouva la deuxième noix ouverte en deux et a son côté un tout nouvel être.

Cette fois-ci, la divinité était un renard blanc possédant neuf queues, vêtu d’un kimono rouge-écarlate aux bordures dorées. Un masque ayant des couleurs similaires se situait sur le côté de sa tête et on pouvait distinguer à son oreille une petite clochette en or. Il sortit de sa manche un bâton de bois qui le dépassait de plusieurs centimètres, on pouvait voir à son sommet trois gros grelots et un ruban rouge qui flottait dans les airs, malgré l’absence de vent. Le renard resta immobile quelques instants puis s’inclina respectueusement face au vieil homme. Celui-ci avait cessé de bouger, éberlué par cette nouvelle apparition mystique et répondit mécaniquement au salut en l’imitant. La créature frappa le sol avec son bâton à trois reprises et chaque fois que la pointe touchait le sol, un halo de brume se formait. Le renard agita ses neuf queues à la manière d’un éventail et les couronnes de brume se mirent à grandir tant et si bien qu’après un moment un brouillard épais recouvrait la ville. Le confiseur se précipita à la fenêtre, on ne distinguait plus le haut des immenses bâtiments, ni même les habitations voisines. Seule la lumière évanescente des écrans publicitaires était encore perceptible. Le vieil homme voulut demander des explications, mais l’esprit du renard s’inclina une nouvelle fois puis disparût sous la forme d’un courant d’air.

Bien plus tard dans la nuit, une jeune femme rentrait chez elle. Celle-ci peinait à trouver son chemin. C’était bien la première fois qu’autre chose que la pluie envahissait les rues. Soudain, elle manqua de glisser en marchant sur un petit objet. Elle chercha sur le sol à tâtons et découvrit une petite bille verte claire aux ombres brunes. La femme était en train d’examiner l’objet quand le brouillard s’illumina d’une lueur dorée, à ce moment précis la bille frémit et quelque chose en sortit. La jeune femme lâcha l’objet et partit en courant.

Autour d’elle, le sol trembla légèrement, de gigantesques ombres inondèrent le paysage, à chacun de ses pas l’une d’elles lui frôlait le bras, la jambe ou le visage. Elle était terrorisée. Elle atteignit enfin son immeuble et s’y jeta littéralement. Arrivée dans son appartement au quatorzième étage, elle se réfugia dans un coin de la pièce. Elle pouvait entendre les grondements sourds au-dehors et voir les ombres passer au coin de sa fenêtre.

Au matin, le brouillard s’était dissipé, la pluie était fine, mais toujours présente. Les foules s’étaient amassées dans les rues, et chacun commentait ce qu’il voyait. Le vieil homme se réveilla sur son canapé, les membres endolories de leurs mauvais sommeils. Il avait fini par succomber à la fatigue tout en observant la brume.

Il alla à la cuisine, se prépara une grande tasse de café chaud, l’a bu rapidement, rassembla ses confiseries et après un bref coup d’œil à son arbre, il sortit en direction de son zeppelin. Le confiseur ne savait ou donner de la tête, les badauds chuchotaient, criaient, chacun y allait d’une explication farfelue. Le vieux monta dans son zeppelin et gagna les hauteurs de la ville. Autour de lui et jusqu’à perte de vue, des arbres titanesques, des plantes et des fleurs. La mégapole autrefois grise et terne, se retrouvait aujourd’hui parée de camaïeu de verts, de bruns et de pastels. Il était tellement ému par ce spectacle, qu’il en oublia ses confiseries durant de longues heures, ne faisant qu’observer les milliers de détails qu’offrait cette nature naissante.

Il ne rentra que tard dans la nuit. La troisième noix était à terre et s’ouvrit au moment où le vieux passa la porte de l’atelier. La troisième créature était une femme à la peau brune très foncé, ses cheveux blancs lui arrivaient aux pieds. Elle portait un voile fin et rouge en guise de robe et avait une coiffe ornée de plumes blanches tenue par un épais ruban rouge. On pouvait voir peint en blanc sur son visage un long trait soulignant ses yeux noirs et des points en dessous de celui-ci, ainsi qu’un plus gros sur le front. Elle fit un signe de la main en guise de salut. Le vieux lui répondit avec un geste identique, il voulut parler, mais elle lui coupa la parole.

  • Il te faut la lumière. Sans elle la nature mourra rapidement étouffée par l’air mauvais et noyée par la pluie. L’homme eut d’abord l’air étonné, puis effrayé.

  • Comment ? Où ça ? Réussit il a balbutié.

  • Suis le chemin.

Elle versa de l’eau dans une toute petite coupelle et lui tendit. Il regarda à l’intérieur de la coupelle et vit se reflétant dans l’eau, un chemin de brique bleu nuit ouvert sur un paysage clair. Il n’hésita pas. Après tout, des esprits étaient apparus chez lui, des plantes envahissaient la ville, il ne pouvait que plonger. Ce n’était pas des briques qu’il avait vu, c’était l’océan. Le vieux atterrit, sur une planche de bois au beau milieu d’une vaste étendue d’eau. Il n’y avait rien. Qu’importe où se posait le regard, seule l’eau était visible. L’homme resta ainsi durant de longues heures, un coup debout, un coup assis. Il commença à penser sérieusement que les derniers évènements n’étaient dus qu’à la folie et qu’il ne tarderait pas à mourir ici.

Soudain, le vent se leva et il aperçut des voiles blanches à l’horizon qui se rapprochaient rapidement. À mesure que le petit bateau se rapprochait, il distingua une jeune femme à son bord, ses cheveux étaient coupés court, de couleur miel et elle portait une tenue semblable aux pilotes d’avion. Elle lui fit de grands signes accompagnés d’un sourire radieux.

  • J’vous attendez. Lança-t-elle joyeusement.

  • Ah oui ? répondit le vieux, plus pour lui que pour elle.

  • Montez ! Je vous emmène sur mon île. Le vieux acquiesça calmement et monta sur le bateau de la jeune fille.

  • Je m’appelle Amélia Earhart. Vous pouvez m’appeler Milie.

  • Enchanté Milie. Où sommes-nous ?

  • J’sais pas trop… Ça fait une éternité que j’suis ici, la dernière chose dont je me souviens c’est que j’faisais un tour du monde en avion en été 1937, et puis j’me suis retrouvé là, sur mon île, mais c’est plutôt agréable comme endroit et puis surtout j’peux voler autant que j’le souhaite.

  • 1937… Dit l’homme à voix basse. C’était… comment 1937 ?

  • Comment ? Elle éclata d’un rire franc. Très classique j’dirai. Il n’était pas facile de se faire une place en tant que femme, surtout dans mon métier, mais j’y suis arrivée. On vivait dans les villes ou les campagnes, les enfants couraient dans les champs et s’amusaient à attraper les poules. Certains utilisaient des voitures pour aller à la mer, mais beaucoup se déplaçaient encore avec des chevaux. Tiens, c’est mon île droit devant !

Le vieil homme ne cessait de se répéter « campagne, mer, enfants, chevaux » d’un air triste. Allait-il rester là, comme Amélia lui aussi ? Quand il releva la tête, l’île n’était plus qu’à quelques mètres de distance. Le spectacle devant lui était incroyable, une flore luxuriante étincelait sous le soleil, des oiseaux volaient tout autour des arbres. Il y avait sur la plage un avion jaune, un avion qui n’avait rien de comparable avec ceux qu’il voyait tous les jours. Finalement, rester ici serait peut-être une bonne fin ?

Non, il devait trouver la lumière.

  • Milie, si mon monde est bien le même que le tiens alors, je crois que je viens du futur et qu’il se termine mal.

  • J’sais, il m’avait prévenu. Dit-elle avec une léger sourire.

  • Qui ça « il » ?

  • Celui qui m’a envoyé t’chercher. On va aller l’retrouver, il pourra sûrement t’aider. On va prendre mon avion, tu n’as pas peur de l’altitude ?

  • Non, je travaille dans un zeppelin. Amélia rit de nouveau.

  • La vitesse ne sera pas la même. Ajouta-t-elle en lui donnant un casque et des lunettes d’aviateur.

Ils montèrent dans l’avion jaune et l’hélice se mit à bourdonner si fort, que le confiseur peinait à entendre Amélia, mais son sourire était si merveilleux, qu’il avait confiance.

Ils volèrent ainsi jusqu’à la nuit tombée et une fois la lune levée, la jeune pilote se dirigea droit vers celle-ci.

Au même moment, en 2186, la mystérieuse végétation inspirait une peur viscérale à certains, qui désiraient brûler le tout. D’autres, au contraire, la défendaient avec ferveur. On vit ainsi ,peu à peu, des foules entières prendre conscience de l’importance de ce nouveau cadeau et de l’espérance qu’elle engendrait.

L’aviatrice déposa le vieil homme tout près d’un immense lac, elle lui fit de grands signes de la main avec sa joie habituelle et repartis aussi soudainement qu’elle était venue.

La surface lunaire était granuleuse, argentée, mais la texture dur sol était douce et légère. Le vieil homme marcha un moment avant d’atteindre les bords du lac, une fois arrivé, un homme sans âge était là assis avec une canne à pêche à la main.

Le vieux confiseur le rejoignit et s’assit près de lui. Il ouvrit la bouche pour parler, mais l’homme l’arrêta d’un geste et lui tendit une canne.

Ils restèrent là, a attendre un long moment, chaque fois qu’il voulait raconter son histoire, l’homme le stoppait, esquissait un sourire et lançait une nouvelle fois sa canne.

Une lumière vive irradia soudain à l’horizon et en quelques secondes le soleil fut là.

  • Maintenant ! s’exclama soudain l’homme d’une voix éraillée.

Le confiseur sursauta, retrouva ses esprits et lança aussi fort que possible le fil de sa canne. Celle-ci se retrouva bloquée au milieu de la lumière. Il se retourna vers l’homme qui à présent, brillait d’un éclat sans pareil. Le monde autour de lui disparaissait peu à peu, engloutit par la clarté de l’astre. Il ferma les yeux et se sentit happé au fond du lac. L’eau glacée transperça sa peau de mille morsures, il sentit son corps se tordre sous la pression grandissante, le temps lui paraissait infini. Il ferma les yeux et s’endormit profondément.

Il se réveilla sur un sol dur et froid, la pluie lancinante lui coulait sur le visage, il comprit qu’il était de retour chez lui.

Le vieil homme se releva péniblement, crachant par à coups l’eau qui s’était infiltrée dans ses poumons. Le jour ne s’était pas levé, la pluie continuait de tomber, il avait échoué.

Il retourna jusqu’à sa porte et l’ouvrit le cœur lourd. Sa poitrine lui faisait mal, ses yeux étaient remplis de larmes, le silence était assourdissant.

Le silence…

Le vieillard prit alors conscience qu’il n’entendait plus le bruit caractéristique de la pluie sur le béton. L’embrasure de sa porte se retrouva petit à petit baignée dans la lumière douce du soleil qui se levait.

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