Ma nuit avec Dennis

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«Terminus, tout le monde descend ! Allez dans la salle d'attente et on vous aiguillera pour la suite», avait dit l'homme en uniforme pour vider la rame à deux étages, dernier train «express régional» du soir.

Rarement salle d'attente aura aussi bien porté son nom, si ce n'est que les voyageurs, trop nombreux pour sa contenance, se tiennent en réalité, pour la plupart, debout dans le hall de gare, à la hauteur sous plafond impressionnante. Deux dames de la compagnie de chemins de fer passent, calepin en main, et notent sous la forme de petits bâtons la destination exacte des «naufragés du rail», comme diraient les chaînes d'info en continu.

Un car doit arriver, on ne sait pas quand, tout le monde ne pourra pas tenir dedans, question de capacité.

Un car arrive, effectivement, au bout d'une bonne heure, mais il ne peut repartir de suite, le chauffeur doit s'arrêter, trop d'heures de conduite, question de sécurité.

Trois quarts d'heure minimum.

Un voyageur, excédé, s'en prend à une des dames de la compagnie de chemins de fer. Il n'est pas en vacances et doit travailler le lendemain, se plaint-il fortissimo, et estime que la compagnie devrait offrir le taxi à chacun des naufragés du rail. La dame explique que ce n'est pas possible, question de budget.

Un autre passager s'en prend à la machine à café. À moins que ça soit le contraire. Il s'y reprend à multiples reprises et chaque fois, donne de grands coups dans la vitre de la machine sans qu'on sache exactement ce qu'il cherche à obtenir : un supplément de sucre ou bien l'annulation de sa boisson pour pouvoir recommencer ? Ça défoule, paraît-il. Parviendra-t-il à casser la machine ? C'est la question que tout le monde se pose.

Le car revient et les voyageurs, sans attendre cette fois le signal de «la dame», se précipitent pour avoir une chance d'embarquer parmi les premiers. Eh oui, quand on est naufragé, il faut sauver sa peau, c'est chacun pour sa gueule, question de survie.

Un deuxième car arrive et le chauffeur du premier répartit les voyageurs en fonction de leur destination, pour une meilleure organisation du travail, question d'efficacité.

Il est bientôt minuit et je monte à bord du deuxième car, le plus «express» des deux.

Le car avance dans la nuit et nous ballotte de rond-point en rond-point. Il a l'air de savoir où il va mais le sait-il vraiment ? Il n'emprunte pas l'autoroute comme le font habituellement les cars de grandes lignes. Cela pourrait durer des heures, toute la nuit. Le temps n'existe plus. Seuls persistent le mouvement et le bruit du moteur qui donnent l'illusion d'un semblant de vie. La moitié du car s'est assoupie. Un haut-parleur crachote une musique faiblarde tellement parasitée qu'on peine à reconnaître le morceau d'origine. Le sommeil me gagne à mon tour mais je ne m'endors pas complétement. Je rassemble mes idées et écris quelques mots sur un bloc-notes virtuel.

Deux heures sonnent et le car arrive enfin à la gare. Toutes portes closes et plus de tram à cette heure inhabituelle d'arrivée. J'insiste, une porte après l'autre, quand un agent de la brigade cynophile m'avise, ouvre et me questionne :

— Avez-vous un billet pour prouver tous vos dires ?

– Bien sûr, monsieur l'agent, dis-je en farfouillant.

Talkie-walkie. Agent de la compagnie de chemins de fer. Je l'informe que sa collègue de la gare précédente m'a dit de m'adresser en gare de destination pour régler la question des derniers kilomètres en l'absence de transports en commun à cette heure avancée, non prévue lors de l'achat de mon billet. Certes, la compagnie n'est pas tenue de transporter chacun jusqu'à son domicile mais elle n'est pas censée, non plus, débarquer ses clients, dans une ville morte, au milieu de la nuit, à l'insu de leur plein gré.

Coups de fil, vérifications, «attendez ici». Puis «venez avec nous ». Je trottine derrière l'agent de la brigade cynophile et sa collègue de l'assistance à la clientèle. Nous longeons les quais quasi déserts et l'agent de sécurité ouvre des portillons avec son badge multi accès de haut niveau, jusqu'à la cour, derrière la gare où ils m'abandonnent :

— Un taxi vous attend.

Merci Dennis, tu m'as bien secouée.(*)

(*) Référence à un article de presse de ce matin.

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