Au sommet de la colline apparurent enfin les plates régions de Tartas. Dans le petit matin, au-delà du camaïeu des champs voilés d’une brume légère, l’horizon frémissant laissait entrevoir l’océan sur lequel oscillait la citadelle du Seigneur de Cauna. Mais il ne s’agissait encore que d’une forme opaline et indistincte ; il restait bien des lieues à parcourir.

Mannsseg soupira. Il était éreinté, courbaturé, trempé et de bien mauvaise humeur. Afin de parfaire le tableau, son cheval boitait depuis l’aube. Il venait d’arpenter, en moins d’une semaine, la moitié du duché. Un aller-retour absurde, indigne de sa personne et par le plus vilain temps, pour répondre à la fantaisie d’une écervelée au ventre si rond qu’il en déformait sa robe.

Mannsseg cracha par terre et cogna des talons sa pauvre monture, qui se remit en route sur le petit chemin bourbeux.

Il avait quitté le château un matin pluvieux, toute affaire cessante, sur ordre de son oncle. Une exigence de première importance, que son parent avait pourtant rechigné à dévoiler, le visage rougeaud, la voix tremblante, rongeant ses ongles comme un péquenaud à qui l’on prélèverait précocement l’impôt, bien trop conscient qu’il s’adressait au champion qui avait repoussé l’armée de Tursan sur l’autre rive de la Nivelle. Lorsqu’enfin il avait craché le morceau, Mannsseg était resté perplexe, puis avait éclaté de son gros rire effrayant.

Mannsseg ne riait plus, tandis qu’il traversait le petit village de Ygos encore endormi. Lui qui méritait d’être vénéré comme un prince, à cette heure en train de boire sa soupe au vin, cheminait sous la pluie incessante comme le plus piteux des hérauts, avec dans son bissac un foutu gâteau.