Par-delà les petits carreaux déformants et jaunis, sous les derniers rayons du Soleil qui semble prendre la fuite, la tempête de neige achève de saper le moral. Ses flocons, gros comme des poings, effacent les formes, les couleurs, radient toute perspective ; comme pour souligner la vacuité de notre présence en ce lieu — gravir la montagne, découvrir la région —, se profile derrière la fenêtre une page blanche.

À l’intérieur du chalet, un vieux poêle à bois en fonte patinée, astucieusement placé au milieu de la pièce principale, distribue par ses conduits une chaleur confortable. Dans son fauteuil favori, pieds nus sur la table basse, Mathilde répond au crépitement des bûches par le froissement régulier des pages d’un roman qu’elle dévore depuis plus d’une heure. Alors que je soupire d’ennui, elle pose sur moi ses grands yeux bleus, à peine fanés par les verres de ses lunettes aux montures épaisses. Elle sourit, mais reste muette, m’invitant de trois battements de cils à prendre la parole.

— Tu y vois encore assez pour lire ?

— Je pourrais allumer le lampadaire, si je le voulais.

— Mais ?

— Je meurs de faim !

Elle fait claquer son livre, ramène ses pieds sous elle puis incline la tête. Je reconnais aussitôt cette posture, malicieuse et délicieuse, que Mathilde adopte afin de défier mon imagination. Dans mon cœur frémit une touche d’espoir.

— Dans ce cas, peut-être pourrions-nous préparer quelque chose à manger ?

— Déboucher une bonne bouteille de vin, dresser la table de couverts authentiques et d’une ribambelle de luminions ?

— Peut-être qu’entre la poire et le fromage, l’esprit pétillant et le ventre rassasié, nous pourrions nous bécoter un peu ?

Elle glousse doucement et se lève.

— Quel programme ! Allons-y !