Chapitre 7

14 minutes de lecture

La nuit passa à une lenteur déprimante. Aspen nettoya diverses salles de bain, des toilettes totalement bouchées, des baignoires dans lesquelles diverses femmes avaient accouché, ainsi que les escaliers et les chambres vides. Il travailla deux heures de plus, d’arrache-pied, afin que Marek ne décide de le virer et d’avertir le sluzbe. Persistant dans sa lâcheté, Aspen n’était pas allé le voir dans son bureau et il n’irait pas tant que son supérieur ne le convoquerait pas.

Il avait espéré que s’user à la tâche lui arracherait ses craintes de la tête, mais ça ne fonctionnait pas aussi bien qu’escompté. Vassily s’ennuyait comme un âne mort, cherchait à attirer son attention par tous les moyens. Aspen s'était fait avoir, répondant à ses provocations devant Alba, ce qui l'avait mené à accepter ce rendez-vous ridicule avec une inconnue. Par crainte de reparler à haute voix et être pris pour un fou, il demeurait désormais silencieux. Le garçon était rancunier, malheureusement.

L'unique point bénéfique de cette soirée fut qu’Anya ne travaillait. Un souci en moins.

Les deux jours précédant samedi se déroulèrent en toute tranquillité. Le calme avant la tempête, ne pouvait s’empêcher de se dire Aspen. Vassily fut de bonne compagnie malgré la rancœur évidente que le jeune homme ressentait à son égard. Le jour J, elle décupla, attisée par la perspective de voir Alba. Ce rendez-vous, à ses yeux, ne pouvait être rien d'autre qu'un guêpier dans lequel Vassily l’avait plongé. Il avait bien réfléchi à lui poser un lapin, la fuir et l’esquiver de toutes les manières possibles, mais elle savait où il travaillait et nul doute qu’elle viendrait le chercher lui tirer les oreilles pour obtenir des explications à son comportement. Sans même la connaître, Aspen craignait des réactions incongrues. Et s’il n’y avait que ça…

Ses plaies cicatrisaient, mais se rouvriraient sous les ongles accrochés d’une amante. Il n’avait pas la force de la porter d’une quelconque façon, et vue l’extravagance de la jeune femme, il s’attendait à tout et n’importe quel désir possible. Quelle idée pourrait-elle vouloir essayer avec lui ? Il frissonna rien qu’à cette idée. Tout ça était la faute de Vassily. S’il n’avait pas été là, il n’aurait pas perdu ses moyens.

En se fixant dans le miroir, il cherchait une sorte de lumière pour témoigner de l’existence de ce second homme dans son crâne, mais il n’y avait rien d’autre qu’un iris noir et profond au milieu de prunelles violettes. Il tentait pourtant de relativiser. Zenon n’avait pas mis ses menaces à exécution. Au lieu de le rassurer, ce constat irritait ses nerfs plus acidement qu’il voulait bien le montrer. Pour la première fois depuis des mois, Aspen s’était réveillé ruisselant de sueur après avoir fait face à ses propres et innombrables crimes. Vassily l’avait assommé d’interrogations et ils s’étaient de nouveau chicanés. Le garçon avait tenu bon malgré la fatigue et la panique.

Il avait lâché à Vassily qu’il avait eu de la chance de ne pas tomber sur un vieux pédophile écœurant et bestial, mais valait-il mieux ? Il ne cessait de se poser la question en espérant que la réponse soit oui.

Autant dire que le samedi soir, en arrivant au jardin d’été, Aspen n’était pas au summum de son sex appeal. La nuit, les lampadaires intensifiaient ses cernes déjà bien marqués par son teint pâle en temps normal. Il ne respirait pas la joie de vivre, inquiet, dévisageant avec profondeur n’importe quelle source de bruit pouvant muter en menace.

Alba, elle, l’attendait à l’entrée, aussi rayonnante que les deux premières fois. Son maquillage n’avait pas coulé et un suave rose colorait ses lèvres. Malgré lui, en voyant la jeune femme, son air morne s’adoucit un peu et il sourit. Sa crispation s’apaisa.

« Hey ! » lança-t-elle en s’approchant.

Gêné, il se frotta la joue d’une main. Il piquait. Ce constat amusa Alba qui détailla son visage avec un intérêt apparent.

« Tu as plus de cernes que la dernière fois, quelque chose te tracasse ? »

Surpris qu’elle aille droit au but, il arqua un sourcil et nia.

« Le travail de l’après-midi qui m’a épuisé, c’est tout.

— Tu es transparent Aspen, j’aime bien ça. »

Il n’en était pas certain. Peut-être que son visage était parfois trop expressif pour sa situation, mais il n’en demeurait pas moins difficile à lire, et en avait conscience.

« Tu trouves ? sourit-il. Et à quoi je pense là ?

Elle te plait, ça se voit comme le nez au milieu de la figure.

— Mh… »

Elle réfléchissait en profitant de pouvoir le regarder de près sans que ça ne paraisse louche.

« Tu te demandes comment une aussi belle femme que moi ait pu vouloir un rendez-vous avec toi ! »

Aspen éclata de rire, ne s’y attendant aucunement. Alba avait du répondant et de lourdes chevilles à porter, il trouvait ça bien amusant.

« Au moins, oui. Quelle générosité de la part de la Duchesse de daigner passer un peu de temps avec moi, j’en suis tout ému, railla-t-il. On entre ? »

Alba aimait bien qu’il l’appelle comme ça. Il avait conscience de crasser son égo, toutefois, peut-être cachait-elle quelque chose derrière ? Elle était une fille de riches qui se baladait sans crainte dans l’artère commerciale de Fontanka, ce n’était pas rien. Elle n’avait pas peur de mettre les pieds dans la merde et ne fuyait pas la plèbe. Qu’importe d’où elle venait réellement, il ne tarderait pas à le savoir.

Le jardin d’été était entretenu par l’Égide et aucun marché de stupéfiant n’y sévissait. Édifié comme un musée après l’ouverture des Enfers, Aspen n’avait jamais pu visiter la résidence de Pierre le Grand. Le palais était réservé aux grands dîners, aux réunions des juges, des prieurs ou aux apparitions rares de Kort. Il ne pouvait qu’admirer le château de loin, lorsque les parcs étaient accessibles.

Aspen ne savait pas grand-chose de l’histoire de Saint-Pétersbourg pré-apocalypse, sinon que ce jardin avait été le premier et était le dernier dans un style européen en Russie. Même dans le monde, il ne restait de ces antiques structures que Versailles à Paris, protégée par Obérine, la Divine de la beauté, qui y siégeait, telle la réincarnation d’une reine soleil. Néanmoins, Aspen aimait bien cette nature, ces rangées de clôtures quadrillées formant des passages entièrement couverts de lierre. Les statues, toujours d’un blanc éclatant par rapport à la noirceur du Chaos, brillaient de leurs éternelles jeunesse, figées comme des soldats aux vêtements gracieux et délicats. Elles représentaient tous les Dieux avant qu’ils ne disparaissent et que les Enfers s’ouvrent. Aspen ne connaissait même pas leur nom, seuls ceux des Divins persistaient et méritaient d’être dits à haute voix.

En entrant par le grand portail en fer, ils passèrent aux côtés d’une gardienne de pierre féminine, qu’Aspen imaginait être la déesse de la beauté, antérieure à Obérine. À peine vêtue, elle tendait une main drapée vers la ville, accompagnée d’une femme tout aussi majestueuse, mais armée d’une longue lance. La divinité de la Discorde ou des Tempêtes ? À moins que ce ne soit la beauté également, mais autrement représentée.

« Tu crois qu’elles nous surveillent ? demanda Alba en suivant son regard. Qu’un jour elles sortiront de leur prison de marbre pour se jeter sur nous ? »

Quelle étrange question. Aspen dévisagea les statues, puis secoua la tête.

« Ce n’est que des cailloux. Qui ont une forme humaine, oui, mais des cailloux quand même.

— L’Ancien Monde n’aurait jamais cru que des créatures puissent émerger des enfers, comme les harpies ou les garmes. Et pourtant, tous les démons sont là sur terre.

— Tu es bien sombre ce soir », sourit-il.

Elle lui tira la langue et Aspen ne put s’empêcher d’en rire. Dans un sens, elle avait raison. Qu’est-ce qui leur assurait que jamais les statues ne prendraient vie ? Le Chaos recelait bien des secrets inexplicables, alors peut-être avait-il le pouvoir de donner vie à des objets inanimés ? Le garçon ne préférait pas y penser. Leur monde était déjà un bordel suffisamment intense et sombre pour ne pas l’imaginer plus effroyable encore.

Alba s’étira et le tissu de ses vêtements suivit la forme plate de son ventre. Aspen releva les yeux, conscient de cet égarement qui le mettait plus mal à l’aise qu’autre chose. Si elle croisait un tel regard, elle se dirait qu’il voulait quelque chose dont il n’était pas capable.

« J’espérais que tu me changerais les idées, avoua-t-elle après. Mais tu préfères mater des femmes de marbre plutôt que des femmes de chaires !

— C’est pas vrai ! Je… »

Pris sur le fait, il rencontra son regard rieur. Alba se moquait ouvertement de lui.

« Je ne mate pas des femmes de marbres, Alba. Je m’intéresse à l’histoire.

— Pfeuh, je ne te savais pas intellectuel.

— Tu ne sais pas grand-chose de moi.

— C’est vrai, sourit-elle. C’est pour ça qu’on est là, pour apprendre à se connaître l’un l’autre. »

Aspen opina et ils continuèrent leur route jusqu’à atteindre une fontaine cubique aux coins incurvés. Le bruit délicat de l’eau en mouvement apporta fraîcheur au jeune homme. Tout était calme. Les passants cheminaient sans les remarquer, tenant la main d’un conjoint et appréciant le clair de lune. Ils s’assirent sur le bord de la source et Aspen s’étira, le dos engourdi. Il leva la tête vers la cime des arbres, passif.

« Je ne m’étais pas sentie libre depuis un moment, admit-Alba.

— Ah ?

— Oui. Je suis la cousine des Glinski, une Lilova, alors tu t’imagines bien que je n’ai pas trop le droit de respirer en dehors de Vassilievski.

— Non, je n’imagine pas. »

Aspen n’avait plus souvenir que de deux modes de vie : celui à l’orphelinat et celui au Wioletta. Il n’avait aucune idée de l’existence que menaient les aristocrates et riches Saint-Pétersbourgeois. Alba sourit de sa sincérité, puis retira ses chaussures.

« Eh bien, on doit toujours avoir l’air présentable ! Toujours la tête bien droite et fière, parce qu’on est les derniers survivants des plus grandes familles russes de tout le continent ! »

Elle parlait avec sarcasme et se moquait de ces codes qu’elle détestait. Le dégoût qui s’échappa de sa voix n’était pas inconnu au garçon.

« Relève tes épaules, ne mange pas courbée. Ne ronge pas tes ongles, ils ne doivent pas montrer ton anxiété ! Oh, et tes cernes ! Non Alba ce n’est pas possible il faut que tu les caches ! »

D’un geste rageur, elle balança ses chaussures un peu plus loin et remonta les ourlets de son pantalon.

« Qu’est-ce que tu fais ? s’étonna Aspen en la regardant.

— Je vais m’amuser. »

Elle sauta sur le rebord de la source et se laissa tomber. L’eau n’était pas profonde, mais Alba cria de douleur avant d’éclater de rire :

« Iiiiih ! C’est froid !

— Bien sûr que c’est froid, on est en en octobre. Et ils ne font pas chauffer les fontaines. »

Il faillit ajouter qu’elle ne devrait pas rester dedans où elle risquerait de s'enrhumer, mais il se souvenait très bien de ses paroles au Kholli : « est-ce que j’ai l’air d’avoir besoin de tes conseils ? » La réponse était toujours oui, selon lui.

Cependant, la jeune femme s’amusait, les aspergeait en admirant la surface de porcelaine qui tapissait le fond de la fontaine, qu’importe si l'eau lui rougissait les pieds. Aspen la regardait sans se cacher, un fin sourire aux lèvres. Il avait du mal à croire que ce genre de personne, qui puisse se divertir dans une simple source, existe encore aujourd’hui. Il en avait perdu l’habitude. Finalement, ce n’était peut-être pas cette froide soirée d’automne qui était vivifiante, mais cette fille.

« Tu vois, je te l’avais dit. Elle te plaît, Aspen, admets-le ! jaillit Vassily de sa conscience.

— Tu viens ? »

Les joues rosies et le visage éclairé par les lampadaires, Alba lui tendait des mains tremblotantes.

« Elle est un peu fraîche, mais si on bouge ça va.

— Je suis frileux, mentit-il.

— Aller ! Tu ne vas pas me faire faux bond maintenant ! À moins que mon valet ait peur de l’eau ? »

Piqué au vif, il arqua un sourcil.

« Ce n’est pas en me provoquant que tu vas arriver à quoi que ce soit. »

Avec les pas d’une féline, elle se rapprocha de lui, toujours assis sur le bord. Leur visage n’était plus qu’à quelques centimètres l’un de l’autre.

« Alors me feras-tu le plaisir de me rejoindre, pour que je n’ai plus à être provocante ? »

Elle n’allait visiblement pas en découdre. D’un grognement, Aspen capitula et se pencha un avant pour retirer ses chaussures et remonter son pantalon. Son dos le brûla dans le mouvement, mais il ne grimaça pas, gardant un contrôle total sur son corps. Il pivota et déposa lentement ses pieds dans l’eau. Immédiatement, le contact glacial l’irrita. Il n’était pas frileux, les chambres de l’orphelinat étaient désastreusement isolées et le chauffage absent, mais cette eau-là était douloureuse. Par souci de ne pas mouiller encore plus son manteau, il le retira et le mit en sécurité au bord de la fontaine avec ses chaussures. Il attraperait la mort à rentrer dans des vêtements complètement trempés.

« Alors ? Elle est bonne, non ? » s’esclaffa Alba.

Aspen ne cacha pas sa grimace comique et leva un pouce en l’air.

« Parfaite. J’adore l’eau à dix degrés, ça me rappelle de vieux souvenirs.

— Comme ? »

Debout, les mains sur les hanches, la jeune femme le fixait.

« Quand les tuyauteries de mon orphelinat étaient gelées et qu’on se lavait avec l’eau des cuisines.

— Un orphelinat ? T’étais un mauvais garçon ? Du genre à voler et rendre fous tes surveillants en ne respectant aucun horaire ? »

Aspen fronça les sourcils. Elle avait un regard naïf sur ce qu’était un internat, son organisation et encore plus sur comment les gosses y vivaient. Il n’était pas celui qu’elle tentait de dépeindre, loin de là. Non, son rôle était celui du môme chétif et silencieux, peu désireux de s’attirer des quelconques foudres sur les épaules. Il ne tenait pas tête à ses surveillants, qui s’avéraient être la plupart du temps ses sauveurs de la violence immature des gamins brisés.

« Non, assena-t-il avec dureté.

Sois pas rabat-joie, tu vas tout gâcher ! »

Je réponds à sa question.

« T’y réponds froidement, je commence à te connaître. »

Alors quoi, je dois répondre en souriant maintenant ? Et arrête de nous espionner, ça m’agace.

« Tout t’agace. »

Vassily !

« Ce n’est pas très grave », dit enfin Alba.

Elle s’approcha de lui et tendit ses fines mains aux ongles parfaits.

« Je peux me contenter d’un garçon sage et un peu triste.

— Triste ?

— Oh, tu ne vois pas tes yeux ! rit-elle comme si elle parlait de la pluie et du beau temps. Mais t’es clairement pas dans ton assiette. Aller viens ! »

Elle lui fit signe de prendre ses mains et Aspen se leva sans la toucher. Vassily se retenait de rétorquer quelque chose, il le sentait. Et ne pas savoir quoi l’irriter, en plus de savoir l’image qu’Alba se faisait de lui ; celle d’un mauvais garçon des rues qu’il n’était pas. Elle laissa retomber ses bras le long de son corps tandis que l’eau des jets les éclaboussait, mouillant leurs cheveux comme leurs vêtements. Il allait tremper sa chemise et ses bandages, quelle plaie. Évidemment, il avait aussi mis un haut blanc – enfin, plutôt blanc cassé que blanc pour dire vrai – mais ça ne changeait pas grand-chose à sa transparence.

Il se maudit d’avoir retiré sa veste, surtout en remarquant le regard de la jeune femme sur lui. De son côté, ses cheveux attachés recommençaient à chuter sur ses joues et ses tempes avec délicatesse. Elle était déjà trempée, mais son tee-shirt noir ne dévoilait pas grand-chose, et heureusement. Aspen se serait beaucoup trop senti mal à l’aise. Au moins, Vassily ne pouvait pas admirer la vue.

Alors qu’il ne s’y attendait pas, Alba forma une coupe avec ses mains et lui balança l’eau contenue au visage. Ses cheveux blancs ruisselants, il la considéra, frigorifié.

« Alba.

— Oui ? »

Son ton innocent valait toutes les justifications du monde. D’un sourire, Aspen se lança sur elle pour l’attraper et la hisser jusqu’aux jets glacés. Elle se débattit en hurlant de rire et le garçon grimaça de douleur. L’eau calmait ses brûlures et anesthésiait sa peau, lui permettant d’oublier encore un peu sa peine et de profiter de ce petit instant de paradis.

Ils ne sortirent que de longues minutes après, gelés jusqu’à l’os, tout tremblants. Aspen se passa une main dans les cheveux et renfila ses chaussures en espérant se réchauffer. Alba se tenait les côtes en claquant des dents. Elle n’avait pas retiré sa veste et était trempée de la tête aux pieds elle aussi. À la voir ainsi, toute petite et fragile, Aspen sourit.

« Des regrets ?

— J-j-ja-ja..-jamais ! »

Il rit et lui, en remettant son manteau, se rendit compte de son impolitesse. Devrait-il le lui proposer ? Mais si elle partait avec et ne revenait jamais ? Il en avait besoin pour aller travailler et n’en avait qu’un. L’argent lui manquait aussi trop pour se permettre un tel rachat. Pensif, il continua de la regarder et elle lut son doute.

« On peut partager ? suggéra-t-elle.

— Partager ?

— Ben oui, tu le mets, je me mets contre toi, et tu le refermes sur nous. »

Ses pommettes rougirent à cette idée. Alba était parfois trop entreprenante. En temps normal, il aurait sûrement salué cette proposition sans hésitation, mais tout avait changé.

« Aller, ne sois pas gêné, je ne vais pas te manger.

— C’est pas ça. »

Il soupira, las de se prendre la tête, et une fois son manteau enfilé, ouvrit les bras pour l’inviter à s’y fourrer. Elle plaça son dos contre son torse et ils s’assirent sur le rebord de la fontaine. Aspen sentait ses omoplates contre lui, saillantes et pointues, malgré ses couches de vêtement. Alba n’était pas bien grosse, au contraire, et il ne s’en rendit compte qu’en cet instant. Elle tremblotait contre lui si puissamment qu’il se demanda si elle n’allait pas se briser comme une statue de verre. Il resserra ses bras autour d’elle. Leur chaleur corporelle aidait mine de rien, elle avait raison. Son manteau serait trempé, mais il en avait vu d’autres.

« J’ai besoin d’un palais comme celui-là, lança-t-elle soudainement.

— Comme celui de Pierre le Grand ?

— Oui.

— Et pourquoi ? »

Elle fit la moue.

« Parce que c’est ce que je mérite.

— Rien que ça ? s’amusa Aspen. Tu devrais surveiller tes chevilles ou tu ne pourras plus marcher. »

Elle leva ses jambes et admira sa peau rougie par le froid.

« Qu’est-ce que tu racontes ? Elles sont parfaites mes chevilles.

— T’es toujours aussi orgueilleuse ?

— Je n’aime pas ce mot. Je ne suis pas orgueilleuse, je suis une Lilova. »

Et Aspen savait que ce n’était pas rien.

Ils se séparèrent peu après, transis, mais un peu réchauffés par la chaleur de l’autre. Aspen avait le cœur léger, comme s’il venait de boire trois verres de kvas cul sec. Vassily était fier de lui.

« Alors ? Des regrets ?

— Fais pas le malin.

C’est pas une réponse ça.

— C’est la seule que t’auras. »

Et malgré cette mauvaise foi évidente, ce froid qui lui remontait le long de la peau et ses plaies douloureuses, Aspen souriait.

Annotations

Vous aimez lire Wergelde ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0