La Belle au Bois Dormant

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Plongeant leurs lèvres rustres dans l’écume d’une blonde, des hommes brandirent cette légende, entendue au coin d’une rue sombre : il était une femme endormie dans les bois qui attendait l’homme, et qui, docile, se laissait faire.

« Tu déconnes mec !

- C’est pas possible.

- La salope, elle fait quoi ?

- Elle fait rien la salope, tu lui écartes les cuisses, elle fait semblant de dormir ! Et toi, tu prends ton pied.

- C’est génial, ça !

- Ça ne te fait pas penser à un conte ?

- Un conte ? Pitié, ça me rappelle l’école !

- Mais si, un conte, la Belle au Bois Dormant. Elle dort comme une conne et seul son prince peut la réveiller avec un baiser.

- C’est débile !

- Ouais, sauf que là, elle se fait baiser et elle se réveille pas. Comme ça elle gueule pas qu’elle veut pas ! C’est le pied, quoi !

- Je la réveillerai bien à coups de queue moi ! T’as pas dit : elle est bonne au moins ?

- Grave, elle est sexy, elle se la ferme et t’as même pas besoin de payer pour ça.

- Cool ! T’as que les avantages, sans les inconvénients. Pas de : pas comme ci, pas comme ça…

- C’est parce que tu sais pas y faire, ça !

- Déconne pas mec ! Elles finissent toutes par être chiantes une fois qu’elles savent qu’elles t’ont ferré, surtout si elles te pondent un chiard.

- Tu peux toujours te barrer, on s’en fout des mioches ! Y a rien de tel pour foutre son fric en l’air.

- Ouais… N’empêche qu’il a raison. Mettre une bite dans un trou, ça devrait pas être aussi compliqué. Limite faut tout un protocole maintenant. Avec un mot de passe. Et tout le tralala. Est-ce que les animaux en ont besoin ?

- Putain, j’aimerais bien être un lapin pour décharger à cent à l’heure dans n’importe quel trou. Ce serait bon.

- Tope-là ! T’as trop raison ! Ils niquent quand ils veulent. Et pas besoin de bla bla pour chauffer la meuf.

- C’est où que ça se passe ton truc ?

- Dans la forêt d’Angeles.

- Me dit pas qu’il faut grimper pour lui monter dessus !

- Si, si elle est en altitude, dans une clairière à Pine Mountain, en direction du nord.

- De toute façon, c’est des conneries tout ça !

- Ouais. C’est nawak !

- On l’aurait su avant si c’était vrai.

- Ben moi, j’y crois, s’exprima Mick, plus sur de lui que jamais.

- Pourquoi t’y crois ?

- Je sais pas, une intuition !

- On devrait y aller, continua Jason. C’est difficile de baiser les femmes, maintenant qu’elles se cadenassent de partout et crient au harcèlement dès que tu leur fais un compliment. Saleté de lois ! Quelle idée d’élire une femme présidente !

- Tu l’as dit, depuis le temps que ça nous pendait au nez, ça… la déchéance ! Bon, on fait quoi ? Ça vous dit un trip oldschool ?

- On y va les mecs ! On a rien à perdre. Au pire, ce sera une virée sympa entre potes.

- Ah ! Ah ! Vous êtes trop drôles les gars, se moqua Pete qui préférait discuter football américain : un ballon procure bien plus de plaisirs qu’un vagin ! Et moins de mauvaises surprises. Puis bon, y a d’autres moyens de se vider les burnes… »

Cette discussion fort animée fit son chemin en Trent, ancien quaterback de son équipe au lycée, et roi de la promo. Courtisé par les pom pom girls, il les enfilait match après match, sans prendre soin de demander leurs prénoms. Il se contentait de les entendre entonner les syllabes du plaisir : F-U-C-K-M-E-B-A-B-Y. Toujours, elles se pâmaient comme des idiotes, et réclamaient de l’amour à ne plus savoir qu’en faire : il le versait en elle, comme un doux poison. Quelques-unes tombaient enceintes, c’était inévitable. Alors, il passait son chemin. Ce n’était pas gênant, puisque, honteuses, elles ne venaient plus en cours.

Hélas, le printemps ne dure jamais et la beauté se fane comme les roses. Avec les années, des rides abjectes se creusèrent sur son visage d’ange, son corps d’athlète, mal entretenu, prit de l’ampleur jusqu’à ce que sa peau rugueuse craquelle en sillons, marquant sa laideur au fer rouge. Son torse fier, musclé selon la norme, s’affaissa comme de la gelée. Son abdomen, autrefois dessiné à la serpe pour affûter le désir, ne devint qu’un sac de viscères, recouvert d’une bonne couche de gras qu’il remplissait sans fin de bouffes immondes et d’alcools. Son pénis en dépassait parfois, mais seules les quelques prostituées qu’il s’offrait pour son anniversaire parvenaient à le dresser convenablement.

Loin du pinacle de ses prouesses d’antan, son sexe le désespérait ! Les quelques femmes gratuites qu’il traînait dans sa couche, force de promesses stériles, ne lui faisaient guère d’effets : molles, coincées, idiotes… elles se cramponnaient à lui en vue de fonder un foyer. Elles parlaient trop et dépérissaient, comme ses désirs, à vue d’œil. Il lui fallait une jeune femme, belle et curieuse, affable et vigoureuse, mais les rares qui daignaient l’approcher n’en avaient qu’après une seule et unique chose : sa bourse, au singulier. De l’argent, il n’en avait que pour vivre et rembourser ses prêts : juste ce qu’il faut. Sa situation, désormais modeste, condamnait son bonheur possible. Trent était devenu ce dont il se moquait dans sa prime jeunesse : un raté.

Bercé par une nostalgie féroce qui ne le quittait plus, allant jusqu’à s’insinuer au plus profond de ses rêves, il passait du temps à consulter son year book et s’émouvait à chaque croix rouge qu’il avait marqué, sous le portrait des filles les plus belles.

« Je l’ai baisée, celle-là, et celle-là ! » qu’il chuchotait dans un relent d’alcool.

Que restait-il de ses amours ? De cette fougue d’antan ? De cette liberté absolue ? De cette jeunesse fracassante ? De cette époque où l’homme menait la danse ?

Plus rien.

Du vent.

De l’espoir ?

Pas une once.

Pourtant, Trent surprit une conversation sur Pine Mountain dans le métro. De jeunes gens d’une vulgarité sans borne en parlaient avec entrain, avec de curieuses variations : d’après eux, les hommes qui allaient à Pine Mountain disparaitraient les uns après les autres ! Après quelques recherches sur internet, il en apprit un peu plus : une chaîne YouTube enfonçait le clou dans un top 10 consacré aux légendes urbaines les plus sexy : il existerait une belle au bois dormant qui, plongée dans un coma profond, aux frontières de la vie et de la mort, attendrait son prince. Elle se laisserait culbuter, jusqu’à choisir le bon, et disparaître avec lui. Tout un programme ! Le fantasme de l’homme à l’état pur ! La vidéo se concluait sur une invitation au voyage : « essayez, vous n’en reviendrez pas ! »

Obsédé par ces mystères, l’esprit de Trent errait souvent du côté de Pine Mountain. Au creux de ses rêves fantasmatiques, il imaginait cette déesse dans une robe blanche en coton, jambes écartées, le teint délicieusement glacé, les lèvres pulpeuses, une blonde sérielle, à forte poitrine. Il s’imaginait camper, non loin d’elle, la besogner le matin et le soir, au gré de ses envies. Peut-être se réveillerait-elle, un jour. Alors, évidemment, elle le suivrait comme une chienne, et ils seraient heureux, sans enfants, vivant de cyprine et de sperme. Dévouée comme une mère, elle serait amnésique, et muette : la femme parfaite !

Trent se masturbait copieusement à cette idée, jusqu’au jour où la branlette ne lui suffit plus ; le fantasme ne se substituait plus à ses désirs, toujours plus tangibles, concrets, réels : il était prêt à la rencontrer !

Equipé de ses chaussures de randonnées, d’un sac à dos rempli à ras bord de nourriture, et d’une tente, il se dirigea vers le nord, armé d’une boussole et de sa résolution : retrouver cet enivrement perdu, ce parfum de jeunesse, en se faisant du bien.

Quand il la vit au terme d’une longue marche, son cœur s’emballa : son cœur d’en bas, qu’aussitôt il déballa ! Sa viande palpitait sévère, ses veines, au point d’éclater, battaient la mesure comme jamais ! Superbe femme, malgré sa chevelure brune, sa peau basanée, lui qui l’imaginait blonde, teint de poupée. Sa poitrine majestueuse, mise en valeur par un décolleté prodigieux, ses lèvres délicieuses et carmin, sa respiration lente et paisible, son odeur de fleur qui l’enivrait, qu’il reniflait à en baver aux échancrures de sa robe… il n’en pouvait plus !

Il ne lui vint pas à l’idée de se présenter, juste de s’introduire : en moins de temps qu’il n’en fallut, il lui monta dessus comme un soldat sur son char, prêt à tirer une salve bien sentie. Or, alors que son pénis fourrageait entre les jambes à la recherche de son orifice, qu’il l’écrasait de ces quatre-vingt-quinze kilos bien tassés, la jeune femme ouvrit les yeux, puis le foudroya du regard.

Était-il le prince charmant ?

Inutile de palabrer, de se présenter : il n’était pas là pour ça, mais pour enfoncer son chibre en elle ! Ce qu’il ne put faire, hélas : cette allumeuse l’en empêcha en lui tenant un drôle de discours, avec une voix déterminée qui lui faisait penser à celles, hystériques, des féministes qui battaient le pavé, autrefois.

« Vous êtes en état d’arrestation ! »

Mais tais-toi donc, pensa-t-il ! Les femmes, toujours à trouver de drôles d’excuses pour ne pas forniquer ! Il s’apprêtait à la besogner quand il entendit d’autres voix, derrière lui. Des voix menaçantes, incongrues, des voix qui achevèrent ses désirs profonds en quelques mots, des voix appartenant à des hommes en uniformes, armés jusqu’aux dents :

« Les mains en l’air ! Vous êtes en état d’arrestation pour viol.

- Mais… elle n’a pas dit non, objecta Trent, paniqué, le sexe dégonflé.

- Les mains en l’air monsieur !

- Mais… mon gland n’est même pas rentré ! se défendit-il, dégoulinant de sueur.

- On s’en fiche ! Les mains en l’air ! Tout de suite ! Vous avez le droit de garder le silence. Tout ce que vous direz pourra et sera utilisé contre vous devant la cour. Vous avez le droit à un avocat. Si vous n’en avez pas les moyens, un avocat vous sera commis d’office. Comprenez-vous les droits que je viens de vous lire ? »

Et c’est ainsi que Trent fut arrêté pour viol, chimiquement castré et devint, avant que de reprendre le cours de sa misérable existence, la princesse d’un autre, une blanche neige défraichie à la solde de quelques nains mafieux : corvéable à merci, disponible à toute heure du jour et de la nuit pour satisfaire les besoins répugnants de quelques vieillards vicieux, cela, malgré des réticences dont tout le monde se fichait, à moins d’en rire à gorge déployée ou de deviser, jusqu’à plus soif, sur l’implacable ironie du sort.


*


Tant que l’homme réfléchira avec sa bite, il n’ira pas très loin : tout juste avancera-t-il de quelques centimètres - au fond de son propre trou.

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