L'étendard de la mort

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Il faisait chaud.

La transpiration perlait à nos tempes et le soleil brûlant rendait nos armures incandescentes. Comme des pierres polies, nous nous renvoyions la lumière les uns sur les autres, rendant le supplice plus terrible encore. Un mince filet de sueur glissait dans nos nuques exposées et nous n'osions pas bouger de peur d'effleurer le métal rougeoyant qui nous couvrait.

De fait, nous cuisions.

Au sens propre du terme. Autour de nous, de petits cliquetis résonnaient dans les rangs, nombreux étaient ceux qui trépignaient sur place, dans l'attente d'une action providentielle qui abrégerait un peu leur souffrance.

L'attente était insupportable.

Immobiles, les archers devant nous jouaient discrètement avec la corde de leur arc en carbone, faisant vibrer l'air un peu plus intensément. Par ailleurs, je pouvais presque voir de grandes ondes de chaleur balayer les rangées d'hommes armés qui semblaient se flétrir à leur passage.

Les yeux plissés, je tentais aussi d'observer l'espace vide entre l'ennemi et nous. Le sol, probablement recouvert d'herbe autrefois, était graveleux et sec avec quelques touffes végétales jaunies ça et là.

L'air ondulait comme un feu flamboyant.

L'adversaire avait le soleil en pleine face et je ne pus m'empêcher de ressentir de la pitié pour ces soldats aux armures étincelantes qui attendaient leur tour, à quelques encablures, les puissants rayons marquant au fer rouge leurs visages.

Humant l'air, je regrettai aussitôt mon geste quand de lourdes effluves s'introduisirent dans mes narines : cela sentait l'homme en sueur - de toute évidence - , le fer chaud, la poussière suffocante et même l'urine. Un mélange terriblement chargé, à tel point que je me demandai s'il restait une petite part d'oxygène respirable dans cet air ... Ma gorge me brûla et s'assécha tandis que ma langue goûtait une substance pâteuse recouvrant mes lèvres déshydratées.

Mon corps me lâchait, le traître.

Ouvrant la bouche dans un élan désespéré pour haleter, mes compagnons me lancèrent des oeillades en coin et se mirent aussi à froncer le nez devant l'odeur persistante qu'ils n'avaient pas remarquée. Des regards noirs me transpercèrent de toute part, alors que je tentai vainement de reprendre mon self-contrôle. Tout autour se répandit une vague de toussotements et de raclements de gorge qui me firent me ratatiner un temps soit peu sur moi-même.

Avant de reprendre mon garde-à-vous solennel.

De toute façon, j'étais un soldat. Un homme fort, bardé de stéréotypes, qui s'accrochait à la vie mais aussi au désir de batailler pour une cause. Au diable ces bougres ! Ils auraient bien fini par savoir ...

Pour l'odeur.

Sentant mes jambes me démanger, je me trémoussai d'un pied sur l'autre. Comme j'étais fantassin de première ligne, je portai une élégante mais simple lance dans ma main droite ainsi qu'un bouclier d'acier dans l'autre main. En cas de besoin, un sabre moyen pendait à ma ceinture et j'avais même dissimulé en cachette un fin poignard à l'intérieur de ma cuisse. On ne sait jamais ce qui peut arriver. D'autant que l'armée ne pouvait pas souffrir de ce qu'elle ne savait pas ...

Parfois, il ne faut compter que sur soi-même. Surtout pour rester en vie.

Soudain, un grand brouhaha remua les allées. Un peu inquiet, je vis les troupes se tourner vers l'Ouest et une grande rumeur monta à l'extrémité des rangées de soldats. Une énorme bourrasque, provenant tout droit de la mer, soufflait sa fraîcheur sur les hommes en attente : une salvatrice bénédiction.

Lorsqu’elle passa sur nous, je sentis le vent humide siffler dans mon casque et contre mes joues chaudes. Toutes les pores de ma peau crièrent grâce et je fermai les yeux tout en ouvrant mes bras pour profiter de ce cadeau de la nature. Parce que c'en était un.

Quand elle disparut à l'Est, nous crûmes tous qu'un mirage nous avait aveuglés car une sorte de bulle d'air chaud retomba sur nous dès que la bourrasque fut partie. L'instant avait été bref mais pas sans effets.

Le moral était remonté légèrement et l'odeur avait diminué un peu, ce qui convainquit nos généraux. Ceux-ci, à cheval devant les archers agenouillés, parcouraient une ligne imaginaire le long de notre armée et se mirent à s'échanger des signaux avec leurs bras.

Après quelques minutes, un cor sonna. Puis deux. Puis tous se mirent à sonner. Une clameur monta comme une flèche vers le ciel et, tapant ma lance contre mon bouclier comme mes frères, je hurlai ma rage de vaincre avec eux. Les chevaux de nos chefs se cabrèrent devant la puissance de nos voix et ceux des cavaliers derrière nous renâclaient nerveusement leurs mords. La cavalerie en puissance se réveillait.

Un cor plus profond que les autres retentit sous le soleil et nous nous mîmes en marche, doublant les archers au passage, qui nous tapaient la cuisse en signe d'encouragement. Nous étions la première ligne. Derrière nous, toute l'armée se mit en branle.

L'attente de la bataille était terminée.


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