Pâques en tartare

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Philippe quitte la cuisine et retourne dans le salon où le couple, rejoint par Omar, s’est calmé et la fête continue. Rassemblant son courage, il s’approche de Mélanie qui discute avec Pamela dans le grand canapé.

Philippe (d’un ton séducteur) : Hey, les filles, une bière ?

Pamela (en levant un regard dédaigneux) : Pas Mélanie.

Mélanie (sans même lever les yeux) : Ni Pamela.

Philippe (désarçonné par tant de refus) : Bon, bah je vais aller voir ailleurs, hein.

Philippe s’éloigne vers Omar, Jérome et Valérie, qui admirent la collection de haches du premier.

Pamela (reprenant comme si de rien n’était sur le ton de la confidence) : Oooh ! Il est si beau, very sexy.

Mélanie (en pouffant, un peu éméchée) : J’aime les barbus virils, c’est tellement *hips*ter.

Pamela (en s’enroulant une mèche autour d’un doigt) : Il est bucheron, je crois.

Mélanie (en vidant sa coupe de champagne) : Hmmm, j’aimerais bien voir son rondin.

Pamela (riant bêtement) : Oh yes, je voudrais bien aussi. Il parait que c’est un vrai tueur au lit.

Mélanie (en lançant un regard brillant d’alcool vers Omar, plus loin) : Hmmm, s’il veut avoir du sang sur les mains, ça tombe bien, c’est le festival de Cannes dans ma culotte.

Pamela (interdite) : Wait, quoi ?

Mélanie (vaseuse mais pédagogue) : C’est tapis rouge, tu débarques ou quoi ?

Pamela (confuse) : Ooooh sorry, pardon chérie, c’est parce que je suis anglaise.

Mélanie (confuse aussi) : Non, c’est moi, chérie, je n’aurais pas dû m’énerver.

Pendant que les filles se font un câlin de réconciliation, à l’autre bout de la pièce.

Omar (décrochant une hache du mur) : Et celle-ci, c’est une reproduction d’une francisque mérovingienne. L’une de mes plus belles pièces. Attention, elle est affûtée.

Jérome (soupesant la hache d’un air aviné) : C’est sacrément lourd, dites-donc. Et vous savez lancer ?

Omar (avec passion et fausse modestie) : Je dois bien avouer que je me débrouille.

Philippe (une bière dans chaque main) : J’aimerais bien vous voir à l’œuvre.

Omar (en faisant un petit moulinet avec sa francisque) : Vous en aurez peut-être l’occasion, mon cher Philippe.

Jérome (en ricanant) : Si vous cherchez une cible, mes voisins ont un fils.

Valérie (le coupant) : Tu ne vas pas remettre ça sur la table, poulet.

Jérome (soupirant) : Ça va, je plaisante.

Valérie (mordante) : Tu ne fais rire personne, et tu me mets mal à l’aise.

Omar (en bon maître de maison) : Du calme, du calme, je suis sûr que c’était une plaisanterie bien innocente, on passe une bonne soirée, détendez-vous.

Pamela (qui vient d’arriver avec Mélanie) : A propos de se détendre, Omar, on pourrait te parler one minute ?

Omar : Bien-sûr.

Pamela (se mordant la lèvre) : Seules à seul.

Omar hoche la tête et s’éloigne avec les filles, laissant Philippe de nouveau seul et désespéré au milieu de Jérome et Valérie.

Jérome (resservant une coupe de champagne à tout le monde) : Et vous, Philippe, vous faites quoi dans la vie ?

Philippe (deux bières dans une main et une coupe de champagne dans l’autre) : Je suis agent de liaison. Et vous ?

Jérome (vidant sa coupe) : Policier, hé ouais, un vrai dur. Combien vous levez au développé-couché ?

Philippe (hésitant) : Heu, aucune idée.

Jérome (passant un bras protecteur autour du cou de Philippe) : C’est important le sport, vous savez, votre corps c’est une arme, comme cette hache, il faut l’affûter. Hé, moi, là avec mon corps d’athlète, vous vous dites que je suis préparé à toutes les situations. Hé bah ça ne m'empêche pas de toujours avoir mon arme de service sur moi. On n’est jamais trop prudent. Vous voulez la voir ?

Philippe (essayant de se dégager) : Non merci, sans façon, je…

Omar (appelant depuis l’entrée du salon) : Philippe, venez par ici, mon ami.

Philippe remercie Dieu et son hôte de s’en tirer à si bon compte et rejoint ce dernier.

Omar (complice) : Mon cher, c’est votre jour de chance. Mélanie est là haut, dans une chambre, attendant que vous la rejoigniez.

Philippe (déglutissant) : Quoi ? Mais, mais, mais, que… quoi ?

Omar (le secouant un peu à bout de bras) : Allez, ne faites pas l’enfant. En vérité, elle m’attend moi, alors n’allumez pas la lumière.

Philippe (la tête qui tourne) : Mais, et vous, vous n’y allez pas ?

Omar (avec un clin d’œil) : Je vais m’occuper de Pamela en personne pendant ce temps, ne vous en faites pas.

Philippe (en train de réaliser) : Je, je ne sais pas quoi dire.

Omar (le poussant vers l’escalier) : Pas de quoi, ça me fait plaisir. Et n’oubliez pas, porte de gauche, et n’allumez pas la lumière.

Philippe, un peu perdu mais excité, grimpe l’escalier, arrive sur le palier où il dépose ses bières et ouvre la porte de droite, dévoilant Simon chevauchant Marie-Garance, les yeux dans le vague.

Philippe (choqué) : Je… Pardon, je me suis trompé de porte.

Simon (en se tirant Marie-Garance) : Philippe, attendez, ce n’est pas ce que vous croyez.

Philippe (secouant la tête) : Je ne crois rien du tout.

Simon (en se retirant) : C’était dans les dernières volontés de mon frère.

Philippe (une main devant les yeux, fébrile) : Je ne vous juge, pas, je m’en vais.

Simon (sentencieux) : Si, je sens bien que vous me jugez. Même les handicapés ont le droit à l’amour Philippe, vous savez.

Philippe (battant en retraite) : Je m’en vais, je n’ai rien vu...

Simon (criant alors que la porte se referme) : Vous savez ce que vous êtes, Philippe ? Un validiste, un sale validiste intolérant !

Philippe reste quelques secondes interdit avant d’ouvrir la porte de gauche. La chambre est plongée dans l’obscurité. Philippe entre et referme sans allumer.

Philippe (murmurant et essayant de camoufler sa voix) : Mélanie ?

Mélanie (dans un souffle) : Philippe ?

Philippe (paniqué) : Heu, non, c’est Omar.

Mélanie (dans un soupir las) : Je ne suis pas idiote, Philippe, allez viens quand même.

Philippe (cessant la comédie) : Bon, je préfère ça, ça m'embêtait de me faire passer pour un autre pour profiter de toi.

Mélanie (mélancolique) : Tu es gentil, toi, au moins. Tu veux bien me prendre dans tes bras ?

Philippe (tout content de s'exécuter) : Avec plaisir, je… Tu sais, je te trouve très belle.

Mélanie : Il fait noir.

Philippe : Je veux dire, je te trouvais belle tout à l’heure. Mais, mais, que… Tu saignes ?

Mélanie (dans un soupir agacé) : Oui, j’ai mes règles. Quelle importance ?

Philippe (indécis) : Aucune, mais je voulais dire tu saignes, là, de ton torse.

Mélanie (confuse) : Oh, pardon, oui, c’est à cause du coup de hache, j’avais oublié.

Philippe (perplexe) : Un coup de hache, oublié ?

Mélanie (dans un soupir songeur) : Il faut dire, ça a été si soudain. Il m’a poussée sur le lit et chtank, coup de hache. Un vrai professionnel.

Philippe (essayant de ne pas trop se tacher) : Omar ?

Mélanie (dans un soupir rêveur) : Qui d’autre ? Quel homme, tu ne trouves pas ?

Philippe (un peu jaloux mais honnête) : Si, quelqu’un de très généreux, je suis ravi de le connaître.

Mélanie (baillant doucement) : Je suis épuisée, je crois que je vais mourir un peu. Merci pour le calin, Philippe. À bientôt.

Philippe (murmurant) : À bientôt ?

Mélanie (dans un souffle endormi) : Oui, on se retrouvera bientôt dans le trou, au fond du jardin. On aura tout le temps... de faire... plus ample connaissance...

Philippe reste quelques secondes puis se lève et sort de la chambre. Il récupère les bières et descend l’escalier. Le salon est vide et il entre dans le garage d'où viennent des bruits étranges. Sur un grand établi se trouve Jérome, que Omar scie.

Omar (souriant à l’arrivée de Philippe) : Ha, alors ce petit tête à tête ?

Philippe (une bière dans chaque main) : C’était pas si mal, je crois qu’elle est d’accord pour qu’on se revoie, elle m’a dit à bientôt.

Omar (détachant la jambe droite du corps de Jérome) : Tant mieux, je suis fier de toi, Philippe.

Philippe (souriant gauchement) : Une bière ?

Omar (s’essuyant les mains et approchant) : Tu as ouvert mon frigo ?

Philippe (tendant l’une des bouteilles) : Je cherchais une bière, je digère mal le champagne à cause des bulles.

Omar (s’asseyant sur une table et décapsulant) : Tu as bien fait. Il est bientôt minuit, au fait. Joyeux Noël.

Philippe (trinquant avec Omar) : Joyeux Noël.

Ils boivent, assis côte à côte dans le garage, en silence.

Philippe (poussé par la curiosité) : Pourquoi toute cette soirée ?

Omar (entre deux gorgées) : Pour refaire le plein. Je suis un cannibale, Philippe.

Philippe (faisant tourner sa bouteille entre ses mains) : Tu ne manges que de la viande humaine ?

Omar (pince sans rire) : Tu sais c’est varié la viande humaine, regarde, ce soir j’ai eu du poulet, de la dinde, du cochon, et puis, on peut peut-être même considérer que Marie-Garance compte pour un légume.

Jérome (s’esclaffant) : Hahaha, j’adore l’humour noir, je suis scié en deux.

Omar (reprenant plus sérieusement) : Hélas non, ce n’est pas si facile de se nourrir d’humain. C’est pour ça que j’organise ces soirées de Noël.

Philippe : Comment-ça ?

Omar : Si tu es assez seul et désespéré pour venir passer ton réveillon avec un bûcheron croisé une fois ou deux, c’est que tu n’as pas de famille ou d’ami, et que ta disparition sera moins vite remarquée. Et puis comme ça, je ne mange que des personnes qui ne manqueront pas à grand monde. Tant qu’à faire.

Philippe (admiratif) : Tu es vraiment quelqu’un de très généreux et d’altruiste.

Omar (ému) : Merci, mon cher Philippe, je t’ai gardé pour la fin parce que tu as vraiment été le meilleur. Je suis très heureux de t’avoir connu.

Philippe (touché par ce compliment) : Moi aussi, Omar, moi aussi. Et, avant que ça se termine, je voulais savoir…

Omar (serrant gentiment l’épaule de Philippe) : Comment j’allais te cuisiner, c’est ça ?

Philippe (hochant la tête) : Oui.

Omar (avec gourmandise) : Mon cher ami, pour toi, j’ai concocté ma meilleure recette, qui nous vient tout droit du pays basque. Je l’ai appelée le Philippe à l’Etchebest.

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