La Chouette Jeffrey

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— Jeffrey ? releva Litchi d'un air interrogateur. Comment savez-vous le nom de cette chouette, Sardine ?

L'étudiante dodelina de la tête, lentement mais sûrement gagnée par le sommeil.

— Écrit sur le mur... marmonna-t-elle avant de tomber face contre terre comme une loque.

— Rhum 1, Sardine 0 ! proclama Netarine en sortant un sifflet.

Kiwi avait perdu le fil de la discussion et s'était plongé dans la lecture d'un manga douteux. Les deux enquêteurs se retournèrent vers le mur que Sardine avait désigné, étonnés. La stupéfaction, teintée d'horreur, se peignit sur leurs visages. Les lettres sanglantes se détachaient clairement sur le placo blanc, étalant sous leurs yeux ce spectacle macabre.

— Quelle horreur ! s'exclama Litchi, qui tomba et perdit connaissance.

Alors qu'elle venait de réussir à décrocher Sardine de ses baskets, Netarine s'approcha, comme hypnotisée.

— Aucun doute possible, il s'agit de la même écriture que sur les messages papiers... souffla-t-elle.

Voyant que personne ne lui prêtait attention, Laitue se dit que c'était le moment où jamais pour se débarrasser de l'inspectrice et retourner dormir chez lui. Mais alors qu'il s'apprêtait à lui écrabouiller les phalanges une par une pour se venger de toutes les fois où elle lui avait écrasé la main "par inadvertance", son réveil inopiné le força à abandonner temporairement la mise à exécution de son plan.

— Ah, Litchi, tu vas bien... rit-il nerveusement. Tant mieux, ça me rassure !

Sans dire un mot, l'inspectrice se releva d'un bond, arrangea ses cheveux roux en bataille et tenta de masquer la pâleur cireuse de son visage.

— Bien, alors, qu'est-il écrit cette fois-ci ? demanda-t-elle d'une voix qui se voulait autoritaire.

Personne ne lui répondit.

— J'en ai aucune idée, déclara le sergent, mais y a quelque chose qui me turlupine. Comment ça se fait qu'on n'ait pas vu un truc aussi évident qu'un énorme graffiti sanglant ? Et pourquoi c'est la fille complément bourrée qui l'a vu en premier ?

— Bien vu ! s'exclama Nectarine. Mais voyez-vous, Laitue, il s'agit d'un fait psychologique avéré, notre cerveau, lorsqu'il est sollicité de façon aussi intense qu'actuellement pour remarquer des choses, se focalise sur les détails infimes et fait totalement abstraction de ce qui parait évident, de sorte que...

— Merci pour vos explications, professeure, la coupa Litchi qui n'avait rien compris. Cependant, une question demeure : que signifie la présence d'une chouette en un endroit pareil ? La victime posséderait-elle une chouette comme animal domestique ?

— Une seule façon d'en savoir plus... conclut la criminologue d'un air sombre. Demandons à Sardine ce que dit le message cette fois-ci ! Il semble être différent des autres puisqu'il est question d'une chouette et non de Laitue... Peut-être que les deux sont liés, qui sait ?

Litchi acquiesça et secoua sans vergogne l'étudiante assoupie qui ronflait comme un tracteur.

— Eh ho ! Sardine ! Réveillez-vous !

L'intéressée sursauta et ouvrit grand les yeux.

— Qui que quoi ? On nous attaque ?

— Tout va bien, Sardine, vous êtes seulement complètement ivre... la rassura l'inspectrice. Pouvez-vous nous lire à voix haute ce message, s'il vous plaît ?

L'étudiante hocha la tête, les yeux brillant d'une lueur nouvelle, et s'exécuta.

— "Die Eule Jeffrey fliegt durch die mondlosen Nachte une schläft in ihrem Nest."

— Qu'est-ce qu'on est censés comprendre, c'est du chinois ! s'énerva Laitue.

— C'est de l'allemand, ta gueule, le rabroua Sardine. Laisse-moi finir au moins, ça veut dire "La chouette Jeffrey vole à travers les nuits sans lune et dort dans son nid."

Un long silence s'ensuivit, finalement coupé par Litchi.

— Hehem... C'est... euh... ésotérique, c'est le moins qu'on puisse dire...

— Effectivement, c'est assez obscur, renchérit Nectarine.

— Ouais, c'est pas faux...

— Laitue, si tu ressors une réplique de Perceval, je te casse la gueule.

— Pff, ça va, si on peut même plus rigoler... grommela-t-il.

— Déjà que j'ai du mal avec ton humour douteux d'habitude, alors tu comprendras que je ne le tolère pas tant que nous sommes dans la même pièce qu'un cadavre. Vu ?

— Vu.

Litchi éloigna son poing de la figure de son subordonné en constatant son abandon.

— Toujours est-il que ce message est très différent des précédents, reprit-elle comme si de rien était. Tout d'abord, la langue dans laquelle il a été écrit est passée du latin à l'allemand. Ensuite, la meurtrière ne déclare pas sa flamme à Laitue mais parle d'une chouette nommée Jeffrey qui, comme je l'ai dit la dernière fois, est aussi appelée Dame Blanche. Coïncidence ? Je ne crois pas.

— Hé, mais c'est moi qui l'avais dit ! protesta Laitue.

Pour une fois qu'il disait quelque chose d'intelligent, il était écœuré de voir que sa supérieure s'accaparait sa découverte.

— Tsss, ferme-la, sergent.

— Est-ce que tu insinues que je raconte des salades ? s'insurgea-t-il.

— Laitue, pas tant que nous sommes dans la même pièce qu'un cadavre, j'ai dit...

— On n'a qu'à partir alors, suggéra Nectarine, toujours très diplomatique. Ainsi, nous pourrons continuer à réfléchir au calme dans nos bureaux autour d'un café-croissants, plutôt que dans cette arrière-boutique glauque avec ce graffiti et ce cadavre.

— Bonne idée, professeure, approuva Litchi. Allons-y alors. À la prochaine, docteur Kiwi !

— Salut ! répondit-il en levant le nez de son manga. Ah oui, c'est vrai, j'ai pas fini mon boulot moi...

— Bye bye, Kiwiiii !

— Allez Sardine, on y va, l'incita Nectarine.

— Je te suivrai jusqu'au bout du monde !

— Commence par me suivre jusqu'à la maison, ça sera déjà un bon début...

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