Chapitre 3 - La Grosse Pomme (5)

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Vendredi 16 juillet 1965, New York, NY

— Bonne idée, dit Séverin, mais je ne sais pas si cet appareil supporte l’humidité et je devrais me rhabiller pour aller le chercher.

— On pourrait faire les photos dans notre chambre lorsque nous aurons terminé le reportage, proposa Koen.

— Dans votre chambre ? fit Dennis. Que diront les autres hommes qui la partagent ?

— Rien, pas de souci à avoir. Ce sont nos compagnons et deux Canadiens du même bord que vous et nous.

— Vous faites comme vous le sentez, dit le photographe. Si vous êtes d’accord, j’aimerais encore prendre quelques photos de vous dans le vestiaire.

— C’est pour une exposition ? demanda Gary.

— Non, c’est pour ma collection privée.

— Et peut-être pour le journal dont j’ai parlé, ajouta Koen, ils ne publient cependant pas de sexes en érection pour ne pas avoir de problèmes.

— Sans bander ? dit Gary en riant, ce sera difficile. On essaie, Dennis ?

— OK, on essaie. Je pourrai attendre encore une heure avant de voir si ta bite est aussi grosse que la mienne quand elle est dure.

Les deux jeunes gens prirent des poses très naturelles, se regardant avec tendresse, posant leur bras sur les épaules de l’autre. Ils se déplacèrent selon les désirs de Séverin pour avoir la lumière optimale avec le contraste de leur peau noire et blanche.

— Parfait, dit celui-ci, vous avez vraiment l’air amoureux, je vous laisse, nous devons aussi voir le reste de la piscine.

— On vient avec vous, dit Gary, c’est l’heure de la finale et de la distribution des prix.

— Nous n’avons pas été sélectionnés, fit Dennis, je préfère le basket.

— Et moi la peinture.

— La peinture ? C’est une occupation inhabituelle. Il faudra en parler à Daniel.

— C’est qui ce Daniel ?

— Un de nos compagnons. Il désire étudier l’histoire de l’art.

Ils se rendirent vers le bassin, les bas des parois étaient décorés de céramiques bleues qui rappelaient celles du Portugal ; les hauts étaient peints en blanc ; les fenêtres en ogive avaient des vitraux de carrés colorés, décoration assez inattendue en ces lieux.

Les huit finalistes étaient au bout, prêts à plonger ; les autres participants au camp sur le côté ; les spectateurs, essentiellement des spectatrices, assis sur des gradins. Séverin mit un téléobjectif, personne ne faisait attention à lui et il y avait d’autres personnes qui prenaient des photos, il put donc compléter sa collection de photos érotiques. Koen, lui, prenait des notes dans son carnet, il essaya même de faire des croquis des bites les plus intéressantes, sans se soucier de la compétition. Le vainqueur fut acclamé.

Un homme, resté habillé puisque c’était un représentant de l’YMCA, remit des médailles aux trois premiers, puis fit le discours de clôture du camp, insistant sur les valeurs chrétiennes de l’association et la nécessité de refuser le racisme et toutes les autres discriminations. Gary et Dennis se tenaient discrètement la main. Ils eurent une surprise puisqu’on les appela afin de leur remettre un prix spécial, leur attitude ayant été exemplaire pendant le camp. Une prière conclut la cérémonie, puis tous entonnèrent l’hymne national, la main posée sur le cœur.

Koen, prenant son rôle de journaliste très au sérieux, se rapprocha de ce responsable et lui demanda s’il pouvait l’interviewer. L’homme accepta, un peu surpris par les questions du Néerlandais portant surtout sur la fin de la nudité dans les piscines, que l’YMCA avait dû accepter, certains milieux lui reprochant d’être un lieu de rencontre pour les gays. L’homme était cependant optimiste, d’autres structures allaient prendre le relais.

Koen et Séverin se rendirent ensuite au vestiaire, se rhabillèrent et rejoignirent les deux Américains dans le lobby.

— Félicitations, dit le photographe, un prix spécial !

— Nous ne le méritions pas, dit Dennis, nous ne faisons qu’appliquer ce que tout chrétien devrait faire.

— L’amour, pas la guerre ! ajouta Gary en riant. Nous allons passer dans notre chambre chercher nos affaires et nous vous rejoignons.

— Chambre 401.

Dix minutes plus tard, les jeunes Américains étaient dans la chambre des Suisses, avec leurs valises et un carton à dessins.

— Tu nous montres tes peintures ? demanda Séverin à Gary.

— Ce ne sont que des gribouillages, c’est le terme qu’a utilisé le professeur lors de l’atelier.

Il ouvrit le carton et en sortit quelques peintures, l’une d’entre elles intéressa particulièrement Koen, on y voyait un personnage à tête de mort avec un membre rouge entre les jambes.

— J’ai dit que je ne n’aimais pas l’art moderne, dit le Néerlandais, je vais réviser mon jugement, c’est original.

— Ma mère m’a offert un traité d’anatomie, fit Gary.

— Je crains que tu aies pris quelques libertés avec la réalité.

Séverin alla chercher son Polaroïd dans sa valise. Gary et Dennis hésitaient avant de se déshabiller, Koen leur demanda si quelque chose n’allait pas.

— Non, répondit Gary, c’est juste le cadre qui est un peu différent, cela parait moins naturel qu’à la piscine.

— Je crois qu’il serait préférable de ne pas nous photographier, suggéra Dennis.

— Bien sûr, pas de problème, dit Séverin, c’était pour vous puisque je n’aurais pas pu garder de copie. Désirez-vous qu’on sorte de la chambre et qu’on vous laisse seuls ?

— Non, vous êtes chez vous. Et vous nous avez déjà vus à poil.

— On ne va faire autre chose et ne pas vous observer comme si vous étiez les acteurs d’un spectacle.

— Je devine ce qu’est cette autre chose, fit Gary. Vous êtes en couple les deux ?

— Non, mais nous avons le droit de nous amuser ensemble, expliqua Séverin, nos partenaires ne sont pas jaloux, et le mien est en ce moment avec je ne sais qui dans des bains gays.

— Vous ne croyez plus à l’amour ?

— Bonne question, merci de l’avoir posée. Je te laisserai y répondre dans quelques années, quand tu auras mon âge.

Les Américains oublièrent rapidement qu’ils n’étaient pas seuls. L’attente de ce moment-là depuis plusieurs jours était enfin terminée. Ils enlevèrent rapidement leurs tee-shirts, chaussures et jeans. Leurs slips blancs pouvaient à peine contenir leurs sexes dressés mais, plutôt que de les libérer pour une branlette frénétique, comme les nuits précédentes, alors qu’ils étaient seuls dans leurs lits, ils prirent le temps de se regarder, de se parler, en chuchotant dans un anglais new-yorkais que les Européens ne pouvaient pas comprendre.

— Tu crois à l’amour, Dennis ?

— Oui, Gary, j’y crois, pas comme le photographe.

— Tu me resteras fidèle ?

— Pour toujours. Et toi ?

— Je te serai aussi fidèle, pour toujours.

— On peut y aller, alors.

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