Les matins d'Isidore

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Isidore se réveillait tôt pour prendre le premier train. Il allumait la radio et lisait Le Griot sur internet. Seulement les gros titres. Il organisait son début de journée en fonction des voix des journalistes. Café en compagnie du timbre suave et sensuel, il dirait même sexuel, de Barbara. Puis, douche avec l’info économique d’un professionnel volubile et passionné qui employait tout un jargon qu’Isidore détestait. Même s’il avait de l’argent pour la bourse ou pour un livret A, il n’écouterait pas ces jactances, il saurait à qui donner. Ensuite il s’habillait au rythme des débats d’idées souvent animés qui commentaient les événements de la veille.

Mami Kimia ouvrait ses verrous, il était bientôt l’heure de partir. Elle grattait à sa porte comme un chat qui vient chercher sa tasse de lait.

Ohé Isidore, bien dormi ?

Le rituel quotidien, si affectueux et si bref, se déroulait avec le sourire.

Bonjour Mami Kimia ! Le vent a cogné les volets. Tu n’as pas été réveillée ? Tu n’as pas eu peur ?

Oh mon garçon, ce n’est pas l’accent du vent qui trouble le sommeil, c’est celui de la tornade quand la malédiction se lève ! Tiens, je t’ai préparé un poulet Yassa avec du piment frais et du riz gras.

Merci, je l’ai déjà senti quand tu as cuisiné. C’est le parfum de ma mère que tu m’as offert. Après le travail, comme je serai heureux de manger ton plat !

Émue, elle est repartie en fouillant sa poche. Elle aurait voulu placoter avec le jeune homme. Chacun aurait raconté ses souvenirs du pays. Ils auraient voyagé à dos d’âne dans les rues poussiéreuses de la ville, croisé des marchands ambulants de boubous chamarrés ou de bouillies de maïs et de soupes. Ils auraient prié aussi pour chasser les esprits mauvais et attirer sur eux la chance et l’argent. Ils auraient pu ensemble demander la santé aux esprits de la nature. Ils auraient partagé les récits truculents des griots avant de dormir paisiblement et plus riches de leur échange.

Elle n’avait pas encore refermé sa porte. Elle essuya ses yeux fatigués et se moucha fort. La porte de son voisin grinça, le signal du départ.

Bonne journée Isidore !

Merci Mami Kimia. Bonne journée à toi !

Il amorçait la descente des escaliers quand il l’entendit poursuivre :

J’ai une grande bouche, tu le sais… On pourrait faire palabre quand tu rentreras ?

Elle avait un fieffé bagou, c’est vrai, mais d’habitude, elle ne parlait pas d’elle. Elle était fière, se tenait droite malgré son grand âge, et souriait toujours, même quand la fatigue ou encore la maladie troublaient sa quiétude. Il comprit que ce jour-là le rituel joyeux se fissurait. Il comprit que Mami Kimia avouait à demi-mots une sombre nostalgie, un spleen enveloppant, un blues désespéré. Sa joie de vivre habituelle et ses bavardages cachaient la douleur de la séparation.

Quand il rentrait après avoir caïmanté sans aucune pause il voulait entendre et respirer le silence de sa chambre. Mais ce soir il ferait exception.

Mami Kimia, je viendrai chez toi avec un jus d’ananas et tu me parleras de ta vie là-bas.

Il n’était pas l’heure de verser dans le détail, et il s’exprimait souvent avec sobriété. Elle avait gardé son mouchoir dans sa main. Elle susurra tendrement « merci mon fils ». Leurs regards complices et chaleureux parlaient pour eux dans la pénombre de l’étage. Malgré le risque d’arriver en retard au travail, il eut du mal à s’éloigner ce matin-là.

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