La vieille Beira

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 Une forte pluie bien écossaise tombait dans les Highlands en cette fin de journée du 31 octobre. Aigneas et Fergus suivirent les résistants en file indienne à travers les chemins escarpés des monts Grampians. Ils s’arrêtèrent au sommet d’une chute d’eau, et l’un des résistants souleva une pierre sous laquelle était cachée une longue et solide corde. Après qu’il l’eut attachée à un rocher, chacun descendit la pente à côté de la chute d’eau en rappel, excepté un combattant resté au sommet chargé de défaire, cacher la corde et monter la garde. Aigneas fut la dernière à descendre plus lentement que les autres, prenant des élans calculés entre chaque bon. Son pied glissa à deux reprises sur la paroi mais à chaque fois, elle tint bon la corde, évitant de tomber. Le résistant resté au sommet comme sentinel, prit la mallette contenant les codes et la lança vers Fergus qui l’attrapa. Une fois le groupe au complet, les résistants longèrent la paroi et passèrent sous la chute d’eau pour aboutir dans un long couloir rocheux plongé dans l’obscurité. Guidé par un combattant muni d’une lampe-torche, les autres le suivirent dans ce qui étaient les entrailles des Highlands. Au bout de ce long couloir, Aigneas, Fergus et les résistants débouchèrent dans une haute caverne éclairée par des ampoules accrochées au plafond. Dans cette salle se trouvaient des résistants, les uns discutant en petits groupes, d’autres nettoyant leurs armes, buvant du whisky, ou dansant sur les sons des cornemuses.

 — Dis, Fergus, dit Aigneas, j’ai l’impression que les résistants n’ont pas tous le même accoutrement que ceux que nous avons rencontrés. Ce sont des unités avec des rôles bien spécifiques ?

 — En fait, répondit Fergus, il existe au sein de la résistance différentes factions avec des aspirations et idéologies différentes. Celle dont nous faisons partie mobilise des symboles de la culture celtique qui n’est autre que celle de nos ancêtres.

 — J’avais cru comprendre ! À l’instar des nazis en Allemagne, vous réutilisez la culture et le folklore national à des fins politiques !

 — Ne nous compare pas ainsi à ces criminels ! Notre identité celtique constitue un signe de ralliement et de fierté dans notre lutte contre le régime de Mosley ! Nous ne l’utilisons pas pour justifier notre combat qui s’inscrit dans une lutte pour l’indépendance après des siècles de conflits contre les Anglo-normands ! Comme les autres mouvements, nos combattants portent un kilt ou un tartan mais se différencient par les peintures de guerre sur nos visages comme le faisaient les Pictes. Nous luttons non seulement contre les fascistes mais préservons aussi notre patrimoine culturel que le régime tente d’éradiquer en interdisant les cornemuses ou encore le kilt et le tartan !

 — Et quelles sont donc les autres tendances ?

 — Il y a des royalistes voulant remettre sur le trône d’Écosse un descendant de la dynastie des Stuarts exilés en France. Ils sont péjorativement surnommés néo-jacobites et sont reconnaissables à la licorne cousue sur leurs vêtements. Ceux qui portent la croix de Saint-André sont inspirés par les préceptes de John Knox, fondateur du presbytérianisme, en opposition à l’anglicanisme soutenant la monarchie anglaise. Et pour finir, les Claymore souhaitent réinstaurer le système clanique aussi vieux que l’Écosse et sont reconnaissables par le port régulier d’une claymore, la longue et lourde épée des Highlanders.

 — Et ces différentes tendances arrivent-elles à coopérer malgré leurs divergences ?

 — Il y a ponctuellement des réunions afin de décider et superviser des attaques contre les infrastructures du régime mais aucune véritable cohésion stratégique, chacun gardant ses renseignements et ressources pour lui. Seul le général Montgomery et son état-major soutenant Churchill et le roi George décident d’une stratégie commune entre les différents groupuscules de la résistance. Bien que cela soit à contrecœur pour des officiers anglais de s’allier avec des Écossais aspirant à l’indépendance ou soutenant une autre dynastie que celle des Windsor.

 Fergus regarda par-dessus l’épaule d’Aigneas qui se retourna. Ils virent s’approcher d’eux une vieille femme courbée et habillée d’une longue tunique grise décrépie dont le visage était partiellement dissimulé sous une capuche.

 — Aigneas, dit Fergus, je te présente la vieille Beira, le chef de notre groupuscule ! Beira, voici…

 — Je sais, Fergus, interrompit la vieille dame aux allures de sorcière, ce n’est autre qu’Aigneas, la sœur d’Alea venue nous remettre les codes.

 A la vue de de la vieille femme, Aigneas ne sut quoi répondre car le regard de celle-ci la troublait. De ses yeux vifs malgré son âge très avancé, Beira semblait avoir lu dans l’esprit et l’âme de la jeune fille comme dans un livre ouvert.

 — Je vois que tu as été très affectée ces derniers jours, mon enfant, observa Beira en pointant Aigneas de sa main squelettiques aux ongles crasseux, après la mort d’Aigneas, tu te reproches d’avoir été injuste à son égard car tu ignorais les véritables motivations qui l’ont poussée à travailler pour l’ennemi. Sache cependant une chose, jeune fille : la mort n’est pas la fin de l’existence mais le départ vers l’Autre-Monde. Car je sais ce qui est arrivé à Alea et tu la reverras très prochainement…

 Sur ces mots, Beira quitta les jeunes gens, laissant Aigneas intriguée par ses propos. Fergus posa une main sur l’épaule de l’adolescente et lui dit:

 — Étrange personnage, n’est-ce pas ? Moi aussi, elle m’a fait une drôle d’impression la première fois que je l’ai rencontré. Ce n’est qu’après que j’ai entendu dire qu’elle serait la descendante d’une longue lignée de sorcières. Détentrice d’un savoir ancien et mystérieux, elle nous sert de guide spirituel dans notre lutte comme l’étaient les druides, les prêtres-magiciens des sociétés celtiques préchrétiennes.

 — Etes-vous certaine que ce n’est pas une charlatan qui profite de votre crédulité et vos croyances, demanda Aigneas dubitative, car je doute que ce soit à l’aide de potions ou de tours de passe-passe que nous vaincrons les fascistes.

 — Je pensais la même chose quand j’ai rejoint la résistance jusqu’à ce qu’elle me convaincque qu’il existe d’autres forces que celle de la volonté du régime ou de la pression sociale qui déterminent le cours de notre vie et de ce monde. Ça tombe bien que tu sois arrivée ce soir car tu en auras la démonstration. En attendant, allons nous reposer, nous en avons bien besoin après ces escapades !

 Fergus et Aigneas s’installèrent dans une grotte où étaient disposés des lits de camps. Tandis que Fergus avait le dos tourné, la jeune fille ouvrit discrètement la mallette sans faire de le moindre bruit. Elle en extirpa un dossier contenants des papiers sur lesquels étaient tracées des lignes de mystérieux signes, tous composés d’une variation de traits verticaux souvent barrés d’un ou plusieurs traits en diagonal. Aigneas les observa et essaya de dégager une logique à cette écriture mais ne pouvait comprendre la signification de ces signes.

 — Je vois que la curiosité a fini par l’emporter, la surprit Fergus, ce sont des Oghams, un système d’écriture utilisé dans les pays celtiques avant la christianisation qui a été par la suite remplacé par l’alphabet latin. À l’exception de quelques universitaires l’ayant étudié, seul des d’initiés comme Beira savent les déchiffrer. Elle a eu l’idée d’enseigner cet alphabet archaïque uniquement à nos agents en charge de la communication et a interdit d’utiliser des dictionnaires ou lexiques afin que le secret soit préservé. Comme tu le vois, Alea pouvait écrire avec des oghams mais moi, j’en suis totalement incapable.

 — Penses-tu que Beira me l’enseignera un jour pour que je puisse reprendre le rôle de ma soeur ?

 — Peut-être… Seule Beira peut décider de qui est digne d’en connaître les secrets ! Surtout que cette écriture a une aura sacrée.

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