Le vilain petit canard

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Il était une fois un petit canard très laid.

Toute son enfance, le vilain petit canard fut brimé par les autres canards. Ses plumes n'étaient pas comme les leurs. Son corps trop grand ne leur inspirait pas confiance. Ses cris leur faisaient se boucher les oreilles.

Le vilain petit canard, devenu grand, se regarda dans l'eau du lac et se trouva encore plus différent des autres qu'avant. On lui avait pourtant dit qu'une fois adulte, il deviendrait comme eux... Son apparence lui faisait honte. Ses plumes blanches lui semblaient fades. Quant à ce bec orange, il était bien trop voyant.

Un jour, il vit passer une famille de cygnes. Les poussins, malgré leur étrange apparence, étaient aimés de leurs parents, et, à voir les adultes nager la tête haute, le vilain petit canard se rendit compte de leur beauté.

Il approcha timidement les cygnes. Il nageait maladroitement, perturbé par ses grandes pattes qu'on lui avait dit tant de fois de cacher. Les parents le saluèrent d'un air digne, et, pour la première fois, il put leur parler d'égal à égal. Ils discutèrent de tout et de rien, mais, en repartant, le vilain petit canard se tenait déjà plus droit.

Le lendemain, il vit à nouveau les cygnes. Ceux-ci furent ravis de le retrouver et lui proposèrent de venir prendre le goûter dans leur nid.

Ce fut un après-midi calme et plein de joie. Les cygnes se parlaient d'une voix douce et n'échangeaient aucune des brimades auxquelles le vilain petit canard avait été habitué avec ses congénères. Les petits jouaient dans la paille, ignorant tout de leur étrange apparence. Même avec leurs plumes grises, on leur enseignait qu'ils étaient les plus beaux bébés du monde.

Le vilain petit canard fut si marqué par cette expérience qu'il se sentit obligé de tout raconter à sa famille.

Les colverts, dans leur nid de brindilles, furent horrifiés. Les cygnes, selon eux, étaient des imbéciles dangereux et marginaux. D'ailleurs, il n'y avait pas de cygne dans la nature, seulement des canards plus grands que les autres et qui, lésés par la génétique, avaient développé des plumes monochromes. Ils restaient entre eux et s'inventaient une supériorité pour oublier leur laideur.

Le vilain petit canard sentait bien que ce n'était pas vrai, mais sa famille le consola. Certes, il ressemblait à ceux qui se faisaient appeler les cygnes, mais il était l'un des leurs. Il était peut-être laid, mais avec des efforts, il pourrait s'adapter. Il lui faudrait juste aller contre sa tendance naturelle à l'apitoiement et à l'anticonformisme.

On se mit à teindre les plumes du vilain petit canard avec de l'argile qu'on trouvait sur le bord du lac. On lui demandait d'éviter de prononcer le mot cygne, pour ne donner aucun poids aux idées tordues de ces énergumènes. Surtout, il devait couper tout contact avec ses amis.

Si le vilain petit canard croisait les parents et leurs poussins, il ne répondait pas à leurs saluts. Il détournait la tête et nageait plus vite. S'il était avec un autre canard, celui-ci s'assurait de lancer aux grandes bêtes blanches quelques piques bien senties pour leur faire baisser ce stupide cou.

Le vilain petit canard n'oublia jamais sa douleur, mais il apprit à l'ignorer. Ses amis canards ne pouvaient pas être si loin de la vérité : il les avait toujours connus. Jour après jour, il essaya de se convaincre qu'ils l'avaient sauvé du chemin épineux où il se serait embarqué avec ces étranges bêtes que les siens n'aimaient pas.

Il était peut-être vilain, mais au moins, il était un canard.

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