IL

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IL:

Il était arrivé tôt. Trop tôt à vrai dire. Tellement en fait qu’il avait même eu le temps de déjeuner dans le café d’en face. Il avait fait son plus beau regard à la jeune serveuse blonde, mais sans résultat. Elle lui avait lancé son plateau au visage comme tout le monde. Avec la note trônant au sommet comme une cerise sur un gâteau en forme de doigt levé. Il avait donc mangé en silence comme tout un chacun ici. L’odeur d’huile rance venait graisser jusqu’à ses naseaux bouchés par un rhume persistant.

Il avait dévoré ses saucisses et ses œufs comme s’il n’avait pas mangé depuis des lustres. Ce qui n’était pas si faux au final. Il avait attendu ce moment depuis longtemps. S’était préparé minutieusement. Peaufinant chaque détail. Repassant en revue chaque éventualité. Se remettant en question à tous les instants. Avant d’en ressortir à chaque fois plus décidé qu’avant. Jusqu’à arriver à ce jour et à atterrir dans ce café.

Il but son café par longues gorgées, se brûlant quelque peu au passage. Mais ce n’était pas grave. Plus rien n’aurait bientôt d’importance à cette échelle. Il remit son bonnet et sa veste et sortit. Il alluma une cigarette et sortit une petite flasque en argent. Il but un peu de whisky paisiblement. N’écoutant que le chant des oiseaux dans les arbres et des requins sur le trottoir. Il s’adossa contre un muret, ferma les yeux et réfléchit. Il repensa à sa vie actuelle. Son licenciement, le départ de sa femme, le mutisme de sa fille à son égard. À quinze ans, qui parlait encore à son père après tout, se dit-il.

Il regarda sa montre. Encore huit minutes. Il alluma une seconde cigarette. Il s’était promis d’arrêter. Ou plutôt, il lui avait promis d’arrêter. Plus rien de cela n’avait d’importance désormais. Pas à cette échelle.

Il jeta son mégot terminé et but une nouvelle lampée de breuvage. Il regarda sa montre, il était l’heure. Il traversa la route, manquant de se faire écraser par un bus. Ce n’était vraiment pas le moment. Il arriva sur le trottoir d’en face. Une porte en face de lui. Il regarda à gauche, puis à droite et entra finalement. Il vit les nombreux visages défilants devant lui comme un essaim de moucherons attiré par une lumière chaude sur une plage en été. Tout le monde tournait autour de lui. Il se sentait noyé dans cette foule sans âme. Il se sentit aussi invisible que chez lui. Aussi invisible qu’au bureau. Aussi invisible que tous les jours. Il décida de remédier à cela dans les plus brefs délais. Il détendit son bras le long de son corps en avançant tranquillement face à lui. Rien ne pouvait le perturber désormais. Il était étonnement calme. Même lui fut surpris.

La première personne qui le remarqua parut intriguée. La seconde fut effrayée. Il le sentait. Ce pouvoir quasi divin qui émanait de sa main gauche. Qui se propageait le long de son bras tendu devant lui. Qui emplissait toute la salle. Maintenant, ils le voyaient. Maintenant, il se sentait vivant. Puissant. Important. Maintenant, il existait. Aucun mot ne fut échangé entre lui et le reste de la salle. Nul n’en avait besoin pour comprendre la situation. Elle était limpide. Le monde voyait enfin de quoi il était capable. L’échange se fit rapidement et sans le moindre esclandre. Il remit sa toute-puissance dans sa poche et ressortit lesté de quelques kilos au bout de son bras droit. Il repassa la porte en sens inverse comme s’il ne s’était rien passé. Calmement. Comme il l’avait appris. Imaginé.

Il fit quelques pas sur la gauche en sortant. Regardant en l’air. Admirant la belle journée qui s’offrait à lui. Puis il buta dans quelque chose. Plutôt quelqu’un en fait. Un homme, taillé comme lui. Une seule chose les différenciait. Une chose infime. Minuscule. Ridicule même. Mais bien réelle. Un képi.

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